Avec nos étudiants de première année, de futurs instituteurs préscolaires, nous avons mis en place une collaboration entre deux de leurs cours : celui d’étude du milieu et celui de langue française. Le dispositif d’apprentissage s’est porté sur la germination des graines. Notre intention était de préparer les étudiants à leur premier stage.
Il nous paraissait essentiel d’amener nos étudiants à expérimenter l’observation de la germination, afin de mettre en lumière le rôle que pouvait jouer le langage dans le développement des concepts liés au monde du vivant. Pour amener le questionnement autour des graines, nous avons lu l’album L’histoire du bonbon d’Anaïs Vaugelade et accueilli leurs réactions. Il fallait se rendre à l’évidence, beaucoup ne disposaient que de notions floues. Qu’à cela ne tienne : il nous fallait (re)parcourir nous-mêmes, avec eux, le sentier de cet apprentissage ! En groupes, ils ont trié divers objets, graines et non-graines : émission d’hypothèses, mise en place des étapes de l’expérimentation, recueil des observations, vérifications… Les étudiants ont ensuite identifié les étapes de l’activité et repéré les savoir-faire sollicités tant d’un point de vue scientifique (observer, concevoir une procédure expérimentale, émettre des hypothèses…) que langagier (prendre la parole, respecter le temps de prise de parole d’autrui, exprimer une démarche, réagir à la suite d’une activité vécue, rechercher et utiliser des mots pour décrire un objet, écouter une consigne…)
Derrière le vécu, des mots
(et pas n’importe lesquels)
Au départ, pour les étudiants, il s’agissait uniquement d’une activité d’éveil, dans laquelle ils se sont d’ailleurs pleinement investis. Le fait d’observer, de manipuler et d’échanger leurs impressions entre pairs les a motivés. Avec surprise, ils se sont rendu compte qu’un nombre équivalent de savoir-faire étaient mobilisés en langue française et en éveil. La collaboration entre les deux disciplines, un peu étrange au départ, a dès lors pris tout son sens. C’était une prise de conscience de l’importance du langage dans les apprentissages. Ainsi, bien que les termes « semer », « planter », « germination » et « croissance » leur sont familiers, beaucoup les utilisaient à mauvais escient. Le concept de graine a été approfondi par l’observation de graines de haricot. Les étudiants en ont repéré et nommé les différentes parties (cotylédon, tégument, plantule…). Une mise à l’écrit des diverses observations a été l’occasion d’une traduction de ce qui avait été dit et les caractéristiques du texte descriptif, tant d’un point de vue syntaxique que lexical, ont été dégagées. À tout instant est apparue l’importance de la rigueur et de la précision du langage non seulement pour bien comprendre le phénomène scientifique observé, mais aussi pour communiquer de manière efficace avec ses pairs.
Après cette expérience vécue et analysée, il s’agissait à présent de réfléchir à la transposition de ces séquences pour les rendre accessibles à de jeunes élèves de classes maternelles.
Comment organiser la classe, quel matériel prévoir, par quelles étapes cheminer étaient certes les questions de départ. Mais cette fois, notre volonté était surtout de réfléchir à la place du langage dans les séquences à vivre. Le langage de l’adulte et celui des élèves en herbe.
En lien avec leur propre expérience est ressortie l’importance de formuler des consignes précises et des questions claires, de donner la parole à tous les élèves et de faire respecter l’écoute, de reformuler les propos de l’enfant, de cibler l’apport de vocabulaire et la formulation de phrases descriptives. Oui, certes, mais à quel niveau de langage ?
La notion d’étayage langagier avait déjà été abordée, de manière théorique, dans le cours de français. Maintenant, il fallait attirer leur attention sur le principe selon lequel les interventions langagières nécessitaient une préparation et une réflexion sérieuses au même titre que le matériel et le dispositif pédagogique qui ne suffisaient pas. Nous les avons encouragés à lister très concrètement des mots, des structures simples dont ils anticipaient l’utilité avant même l’expérience de la classe.
Une des questions les plus délicates fut celle du vocabulaire à mobiliser avec ces très jeunes enfants. Ainsi, le mot « tégument » apporté aux étudiants a pu être remplacé par le mot « enveloppe », plus simple et tout aussi correct d’un point de vue scientifique. Certains termes tels « cotylédon » ou « radicule » ne sont pas indispensables pour décrire une graine avec les plus jeunes et ont été mis de côté. La manière d’introduire ce vocabulaire a aussi été abordée : nous leur avons conseillé de partir de l’observation et de la verbalisation spontanées des élèves pour nourrir, élargir et reformuler, petit à petit, en intégrant les mots nouveaux. Nous nous sommes aussi appuyés sur la découverte de divers albums de la littérature enfantine, pour solliciter cette mobilisation du langage, en entrant par des portes différentes : parler et écouter, mais aussi, lire et garder des traces écrites des expressions des élèves.
Nous étions persuadées de la nécessité d’inciter nos étudiants à proposer des activités favorables au développement de la langue de scolarisation. Cette première collaboration nous a confortées dans cette idée et a enrichi nos connaissances et pratiques respectives, d’autant qu’elle est facile à mettre en place d’un point de vue organisationnel. Cette séquence vécue à l’École normale a fait apparaitre la place du langage dans toutes les activités. Néanmoins, en vérifiant les fiches de préparation, en assistant aux activités de stage, nous avons constaté que, malgré l’expérience vécue et analysée, nos étudiants ont éprouvé encore bien des difficultés à accorder au langage la place qui lui revenait. Ceci a pu être confirmé lors de l’évaluation effectuée après le stage et nous amène à prendre la juste mesure du travail à accomplir avec nos étudiants sur la durée, tout au long du cursus. La section préscolaire de notre Haute école réfléchit actuellement à une modification du canevas de la fiche de préparation, intégrant entre autres la dimension langagière pour toutes les activités. Davantage encore qu’une pure formalisation dans des documents, nous comptons, fortes de nos premiers constats, réitérer l’expérience de collaboration entre didactique du français et didactique des autres champs disciplinaires. Notre espoir est ainsi d’impulser une véritable « culture » du langage afin que celui-ci imprègne toutes les vigilances.