Isabelle, au « Tour de parole » de notre Conseil des profs du vendredi : « Je suis contente de la soirée pédagogique, mais qu’est-ce que je suis contente que ce soit passé ! »
En effet, le mercredi soir, nous avions organisé une grande soirée dont le but est d’expliquer le projet pédagogique de l’école. Les parents du Conseil de participation nous l’avaient demandé l’an passé, vers le mois de mai : « Dites, il y a quatre ou cinq ans, vous aviez présenté le projet pédagogique de l’école et comme beaucoup de nouveaux parents sont arrivés, ce serait bien de refaire une telle soirée ».
Nous en avons reparlé en septembre pour donner notre accord de principe, mais les semaines suivantes, nous ne sommes pas parvenus à nous mettre d’accord sur ce que nous allions y faire, à cette soirée. Les plus « anciens » avaient l’impression que faire comme la fois passée (mélanger les parents au hasard dans des ateliers actifs) n’apportait pour certains aucune réponse à leurs questions, pire, que c’était plus déroutant qu’autre chose pour les parents peu habitués à s’exprimer en groupe. Les plus jeunes étaient terrorisés à l’idée de parler en public devant les parents. On savait ce qu’on ne voulait pas. Mais pas plus d’idées précises.
En janvier, je suis revenu avec le problème en insistant qu’il fallait être clair pour les parents. Ce n’était pas obligatoire si on ne le sentait pas. Michel, un de nos collègues a pris la parole. « Ce serait bien que l’on montre ce qu’on fait bien, et, surtout qu’on puisse présenter à plusieurs un même thème ou une même problématique et raconter comment elle est abordée quel que soit l’âge des enfants ».
Enthousiasme prudent, mais la discussion permet de préciser ce dont on est fier. Et de définir un canevas de soirée dans lequel on se sentira suffisamment en sécurité pour « affronter » les parents sans se sentir jugés ou sans avoir l’impression de se justifier. On présentera nos trucs et puis on recueillera les questions en suspens auxquelles on apportera des réponses plus tard, mais pas à chaud, en direct. Mes collègues ont très peur d’être pris à partie en public, que des prises de position ne fassent déraper la soirée, que des inquiétudes individuelles ne prennent toute la place. Le fait de ne pas s’obliger à répondre tout de suite, mais de répondre quand même, rassure tout le monde. On peut se mettre à travailler.
Il nous a fallu la moitié d’une journée pédagogique pour définir quatre ateliers, la procédure d’invitation des parents (ils devront faire deux choix) et surtout le calendrier des réunions les temps de midi, après quatre heures pour que les quatre groupes puissent produire quelque chose de « montrable ». En effet, le premier lundi après les vacances de Pâques, re-journée pédagogique pendant laquelle les quatre groupes apportent aux autres ce qu’ils vont présenter aux parents, comme dans une grande répétition générale.
Les quatre ateliers étaient les suivants : « Apprendre oui, mais comment ? » – deux collègues font le pari de faire apprendre par cœur trente mots en une demi-heure à des adultes en classe hétérogène, « Le gout de lire et d’écrire, de la maternelle à la 6e » – trois collègues présentent ce qui se passe en maternelle, en 1ère et 2e primaire et dans les plus grandes classes pour « créer l’envie » d’écrits, « L’organisation et l’autonomie » – quatre collègues racontent tous les petits rituels qui fondent la tradition orale dans l’école, « Conseils et lieux de parole » – trois collègues et moi présentons les tours de parole et différentes institutions qui donnent du poids à ce devoir de parole généralisé, et ce, de nouveau des plus petits aux plus grands.
Nous avons eu cent-vingt inscriptions, donc trente personnes par atelier.
Comme disait Isabelle, tout s’est bien passé. L’enjeu était énorme. Nous avons reçu la reconnaissance de tous les parents de l’immense travail de préparation. Plusieurs parents nous ont partagé l’impression agréable d’être devant un projet d’équipe, avec des valeurs et des pratiques qui sont répandues, malgré la différence des âges des enfants et malgré les différences de personnalités des enseignants.
Les collègues se lâchent. J’apprends, amusé, que les granules homéopathiques de toutes sortes et autres « fleurs de Bach » ont circulé pendant les jours précédents notre show, chacun essayant de trouver le bon truc pour être détendu.
C’est impressionnant de voir l’absence de légitimité qu’ont les enseignants par rapport à leur travail où à ce qu’ils croient que les parents pensent de leur travail. C’est comme si les parents, plus malins qu’eux parce que certains sont universitaires, allaient leur en apprendre. Alors que leurs trouvailles, leurs créations, leurs inventions permanentes sur le terrain des urgences quotidiennes de classes multi-âges, sont inégalables et incomparables.
C’est impressionnant de voir qu’il est important de se protéger, à plusieurs, quand on s’expose. Que c’est le fait de ne pas être seul qui rend la rencontre, le « confrontement » entre parents et professeurs possible. Espérons que ces rencontres réussiront à augmenter la conviction que, quel que soit l’étage où on vit, il existe plein de paliers où le dialogue est possible.