Les professeurs pourraient-ils cesser d’avoir deux fonctions antinomiques : faire apprendre avec bienveillance et ensuite sélectionner ? Caresser puis gifler ?
Comment en sortir ? Soit en refusant les examens notés pour préférer l’usage du portfolio et d’autres formes d’évaluation douce, dont le chef-d’œuvre pédagogique. Soit en pratiquant en classe l’autosocioévaluation accompagnée de notes exigées par la direction.
Voici comment cela peut se passer pour les professeurs qui veulent faire apprendre en s’éloignant de l’instrument à exclure.
Cours de mathématique ou de langue ou de sciences ou de musique : le prof respecte le programme et l’obligation éventuelle qui lui est faite de mettre des notes, mais les élèves sont prévenus qu’ils doivent étudier pour répondre à deux, livre fermé, et ceci à deux reprises aux questions toutes difficiles du professeur qui constitue les duos.
Dans un pre-mier temps, c’est la phase auto où A et B répondent isolément au contrôle. Ensuite, ils fondent leurs trouvailles, le mieux possible, dans une réponse concertée.
Puis, dans un troisième moment, A rencontre C, tandis que B fait équipe avec E ou F ou G… qui viennent déjà de répondre de leur côté. Ce second et nouveau duo, reprend les questions de l’examen et y répond le plus adéquatement possible, sans consulter les sources.
Par la suite, on forme de façon aléatoire des quatuors qui réalisent chacun une grande affiche avec leurs réponses. Pour l’évaluation chiffrée, qui incombe désormais aux élèves et plus au professeur, les affiches passent d’un quatuor à l’autre ; on y souligne en rouge tout ce qui parait exact et on ajoute en vert d’éventuelles corrections ou ajouts.
Enfin, chaque quatuor retrouve son affiche à laquelle il attribue lui-même une note qui figurera sur le bulletin de chaque équipier.
Toutefois, si l’on veut que l’apprentissage prime complètement sur le contrôle des connaissances, on peut envisager que les étudiants confrontés à des questions qui les submergent, qui les bloquent et ainsi les découragent fassent appel aux lumières du professeur ou recourent à des sources livresques. C’est à chacun de moduler les formes de l’autosocioévaluation selon des opportunités particulières.
Le prof découvre ainsi des élèves sereins, sérieux, appliqués, coopérants, créatifs, calmes, tenaces, sans stress, sans peur, bref studieux… comme il ne les avait parfois jamais vus !
On casse la machine à exclure remplacée par une procédure pour apprendre non seulement la matière, mais aussi la citoyenneté. Adieu le burnout des enseignants en phase avec leur idéal.
On gagne ce temps où les étudiants n’apprennent rien en répondant seuls, vaille que vaille, à des questions arbitraires, puis où ils sont en roue libre lorsque les profs corrigent les épreuves, lors des insupportables jours blancs propices au vagabondage.
On peut donc maintenir les examens notés, ce qui satisfait les traditionalistes, mais en les humanisant, en les transformant, ce qui libère les profs et prépare la jeunesse à affronter les périls qui pèsent sur la vie sur Terre grâce à la solidarité renforcée.
Je vous recommande de mettre en place, discrètement d’abord, l’autosocioévaluation avec vos élèves, de les faire filmer par un tiers — avec leur accord évidemment — de leur demander ce qu’ils pensent et d’enregistrer leurs réactions, de produire de l’écrit/témoignage.
En outre, il est bon de faire équipe avec un ou plusieurs collègues prêts à tenter l’aventure afin qu’ensemble, en une escouade de profs et d’élèves, vous rencontriez la direction de votre établissement. La diplomatie est d’autant plus de mise que les réticences de la direction sont fortes. Il s’agit surtout de motiver cette nouvelle attitude, en affichant des valeurs imposées par le décret Missions du 24 juin 1997.
J’ai emprunté le concept d’autosocioévaluation à Philippe Eenens, astrophysicien belge, professeur à l’université au Mexique qui a renoncé à noter ses étudiants sur leurs réponses individuelles aux questions d’examens (voir sa narration sur : « Évaluation émancipatrice à l’université » dans www.panote.org, rubrique « Témoignages » dans « Voix pour l’abolition ».) J’ai simplement aménagé son dispositif et ajouté des étapes dans la procédure en introduisant une notion nouvelle l’autonotation collective. Il est clair que chacun apporte ses variations préférées…
Merci à lui d’avoir ouvert cette voie lumineuse, d’avoir permis la une sortie triomphante d’un pénible paradoxe.