La souplesse est un des éléments clés de la réussite dans l’enseignement spécialisé. Dans notre classe, nous nous sentons capables de faire preuve de souplesse. Mais comment composer avec les obstacles institutionnels pour mener à bien nos missions ?
Dans l’enseignement spécialisé, la nécessité de répondre aux besoins spécifiques de chaque élève nous oblige à vivre une mue permanente du métier. Pour accepter et composer avec les modes de fonctionnement et les difficultés de chaque élève, il faut se débarrasser de l’image de l’élève standard et être à l’écoute. Les mêmes apprentissages ne sont donc pas abordés de la même manière avec David et avec Kévin, même s’ils sont dans la même classe. Si David est capable de lire, comprendre et donner du sens à un texte seul, pour Kévin, l’exercice est plus difficile. Il doit être accompagné, oralement, dans la lecture du texte pour le comprendre. Parce que les difficultés de chacun sont spécifiques, les enseignants doivent adapter leurs dispositifs à chaque élève présent. Malheureusement, trop souvent, leurs tentatives pour inventer et mettre en œuvre ces dispositifs individualisés se heurtent à la structure et à l’organisation de l’école.
Les cours généraux dans l’enseignement spécialisé de forme 3[1]Type 1 forme 3 : enseignement professionnel qui vise l’insertion socioprofessionnelle. sont les premiers à pâtir de ce manque de souplesse. Alors qu’ils devraient être au service de et constituer un appui solide aux cours pratiques, ils sont bien trop souvent relégués au second plan. Malgré nos efforts, des contraintes font obstacle : manque de communication entre les membres du personnel pédagogique, manque de moyens logistiques et matériels, impossibilité d’obtenir les aménagements nécessaires…
En tant que professeurs de cours généraux dans l’enseignement spécialisé, nous peinons à imposer la légitimité de notre cours. L’enjeu pourtant est important : quand ils sont détachés des autres apprentissages, les cours généraux ont un caractère abstrait plus difficilement appréhendable par nos élèves. Il est impératif de les aider à percevoir le sens de ce qu’ils apprennent en créant des liens directs entre nos cours et les cours pratiques. Il est également indispensable de transférer ces apprentissages au quotidien.
Dans une classe de sept élèves, section boulangerie-pâtisserie, les niveaux d’apprentissage sont différents, les comportements fluctuent avec l’humeur du moment, tantôt imperturbable, puis subitement imprévisible. Difficile pour Kévin souffrant de troubles de l’attention de rester assis et concentré pendant deux heures de cours. Pour certains, comme Bryan et Théo, le défi est carrément impossible à relever.
Pour ce qui est de l’institution, les horaires des professeurs d’une même section ne sont pas adaptés, car ils ne permettent pas aux professeurs de cours généraux de travailler en parallèle avec ceux des cours de pratiques. De plus, l’obligation d’atteindre certaines compétences nous nous impose des contraintes. Si on se disperse et qu’on met beaucoup d’énergie pour faire les liens avec les cours pratiques, peut-être n’arriverons-nous pas à travailler toutes les compétences. Comment trouver la bonne équation afin d’optimiser l’apprentissage et lui donner du sens pour chaque élève ?
Dans le programme de français (forme 3), le savoir-lire constitue un axe important dans le cursus de formation. La lecture est le point d’achoppement de tout acte d’apprentissage. Dans le cas d’une section boulangerie, savoir lire une recette apparait comme un prérequis nécessaire et cohérent… tout comme le transfert de cet apprentissage à la vie quotidienne.
Avec les enseignants des cours pratiques, nous décidons de créer des liens entre nos matières et le métier de la boulangerie. Nous profitons des moments institués de travail en équipe dans l’enseignement spécialisé, pour construire un projet interdisciplinaire autour de la création d’une recette d’une pâtisserie revisitée. Prennent part au projet le professeur de français, de mathématiques et des arts plastiques. Chacun va travailler dans ce projet des savoirs et des compétences liés à sa matière : la lecture d’un texte injonctif, la compréhension des consignes, le champ sémantique, les mesures de masse et de capacité, la règle de trois, le plan budgétaire, la présentation visuelle de la pâtisserie, la technique du modelage, celle du pochoir, la gestion des commandes…
En groupe, les élèves se voient confier des tâches spécifiques où la matière est introduite pour concrétiser le projet. Chaque élève évolue dans le groupe à son rythme, profitant des forces des autres. Notre travail consiste à rester vigilants à ce que chaque élève soit actif, trouve sa place au sein du groupe et participe aux apprentissages. Au-delà des compétences disciplinaires, les compétences transversales sont également travaillées (collaboration, valorisation, respect, écoute, prise d’initiatives…).
À la suite de ce projet, d’autres ont vu le jour. Une vie de groupe s’organise. Les élèves apprennent à découper leurs projets en étapes, à planifier, à respecter des délais, à chercher les ressources et les aides nécessaires. Ils sont de plus en plus autonomes.
Lors des élections provinciales de cette année, des élections ont été organisées au sein d’une section afin de désigner un délégué. Les élèves ont écrit leur programme et préparé leur campagne au cours de français. Ils ont réalisé des affiches au cours d’arts plastiques. Ils ont étudié la politique belge ainsi que le fonctionnement des élections au cours d’éducation sociale.
Mieux encore ! Maintenant, les élèves nous proposent des projets qu’ils ont envie de mettre en place. Ces projets sont souvent en relation avec le métier étudié, mais également avec leurs loisirs, leurs centres d’intérêt ou les problématiques qu’ils rencontrent à l’école ou à la maison.
Adrien veut sortir un album de rap. Il écrit ses textes au cours de français, débat de ses thèmes en éducation sociale et travaille sur son identité visuelle en cours d’arts plastiques. Le professeur de math profite même pour revoir les fractions en découpant le texte en fonction du rythme.
Les élèves veulent organiser une sortie ? Ils préparent eux-mêmes le projet en calculant les couts, en prenant contact avec les musées, en écrivant une lettre explicative à l’attention des parents et de la direction…
En étant acteurs de leurs projets scolaires, les élèves sont directement confrontés aux contraintes extérieures et s’habituent à concrétiser leurs projets de vie.
Notes de bas de page
↑1 | Type 1 forme 3 : enseignement professionnel qui vise l’insertion socioprofessionnelle. |
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