Dans la perspective des élections de mai prochain, la Plateforme de lutte contre l’échec scolaire a présenté au monde politique francophone un appel pour ouvrir le débat en vue d’une refondation de l’Ecole.
Le méga-scrutin du 25 mai approche à grands pas. En cette période de campagne électorale, chaque parti politique affûte ses armes et prépare son programme. L’Enseignement, plus grosse compétence au niveau de la Fédération Wallonie-Bruxelles, figure souvent comme l’un des principaux chevaux de bataille des partis en lice.
Dans la perspective des élections de mai prochain, la Plateforme de lutte contre l’échec scolaire a récemment présenté “un appel en vue d’une refondation de l’Ecole” aux représentants des différents partis politiques francophones. Anne Chevalier, secrétaire générale de ChanGements pour l’égalité (CGé) – l’un des membres fondateurs de la Plateforme – détaille pour “La Libre” les tenants et aboutissants de cette démarche.
Parmi les signataires de l’appel, on retrouve une trentaine d’associations, les syndicats et des représentants du monde académique. Une première ?
La plateforme de lutte contre l’échec scolaire existe depuis 10 ans. Dès sa fondation, elle a réuni les univers associatif, syndical et académique. C’est peut-être une première interpellation commune aux politiques en vue des élections, mais l’institution existe et a déjà émis des positions à certains moments. Ici, il y a, collectivement, un consensus assez fort autour de cet enjeu.
Cet enjeu, c’est lancer un appel au monde politique pour lui demander d’ouvrir le débat en vue d’une refondation de l’Ecole. Votre démarche se fonde sur des constats. Quels sont-ils ?
La Plateforme s’appuie sur deux grands constats. 1° Notre système scolaire est inégalitaire, à savoir que l’échec scolaire est corrélé à l’origine sociale des élèves : les élèves les plus pauvres iront dans les écoles de “pauvres” et les plus riches, dans des écoles de “riches”. 2° Le système scolaire belge fait échouer beaucoup trop d’élèves : en fin de parcours, plus de 50 % des élèves ont doublé au moins une fois, sans compter les 20 % d’élèves qui ont disparu de la circulation avant d’arriver à la fin du secondaire. La dernière enquête Pisa montre qu’il n’y a pas d’aggravation, mais pas d’amélioration non plus, tant au niveau des inégalités que du taux d’échec. Et ce, malgré, disons-le quand même, un certain nombre de tentatives au cours de plusieurs législatures.
Précisément, vous demandez au gouvernement “d’arrêter la course aux réformes”…
Oui. Ce qui nous inquiète, c’est la succession des législatures, où chacun y va de ses réformes – dans un certain esprit de continuité, ça, on le reconnaît; depuis le décret Missions de 97, il y a une vision. Mais chaque parti au pouvoir a pris le problème par un côté ou par un autre, en se faisant nécessairement et automatiquement critiquer, certainement par les partis de l’opposition, voire par ceux de la majorité. Nous disons “Stop !”. L’école est trop importante pour qu’elle fasse le jeu des politiques et des partis successifs, qui font, défont ou refont un peu différemment ce que les autres avaient fait, sans jamais s’attaquer à l’ensemble du problème.
Un exemple ?
Prenons la réforme du 1er degré. Ca fait 20 ans qu’on essaie de faire quelque chose de ce 1er degré. Depuis Di Rupo et jusqu’à maintenant, je pense que chaque législature a rajouté une couche, en faisant ou en défaisant ce que son prédécesseur avait mis en place. A un moment donné, il y a de quoi devenir fou comme enseignant ! Si ça ne marche pas, c’est parce que les choses ne sont pas pensées globalement, avec un amont et un aval.
Qu’attendez-vous concrètement des hommes et des femmes politiques ?
Nous attendons d’eux qu’ils fassent des choix sur l’organisation de ce débat. A savoir, au moment de la constitution du gouvernement, qu’il y ait dans la déclaration de politique générale, un choix clair de se dire “on va pENser l’école” plutôt que de “pANser l’école”. Et ce, avec le plus de partis politiques possibles et pas exclusivement les partis d’une majorité, si on veut que cela puisse progresser sur plus d’une législature – nous disons deux au moins. Le choix de mettre ce débat en place, c’est un choix politique. Après, les politiques peuvent confier l’organisation de ce débat à d’autres acteurs (les parents, les enseignants via les syndicats, les directions d’écoles, les pouvoirs organisateurs, etc…).
Pour faire évoluer le système scolaire, il faut, dites-vous, lever les tabous. Quels sont-ils ?
Notre enseignement est organisé sur la base de réseaux, l’articulation primaire-secondaire, les filières, un temps scolaire rigide, un mode d’évaluation extrêmement compétitif, et un marché scolaire, avec la double liberté du choix du père de famille et pédagogique. Tout cela met notre système scolaire en compétition. Or, on ne pourra jamais avancer si notre système scolaire met tous les acteurs en compétition. Il faut donc aller vers une coopération au sein de la classe, entre les enseignants et entre les écoles (qu’elles soient ou non d’un même réseau).
Tout est-il à jeter ?
Non. Le décret Missions reste un fondement. Il est très ambitieux et donne un objectif. Mais après, il y a la structure à changer. Les ministres Simonet (CDH) et Schyns (CDH) ont ainsi travaillé exclusivement sur la culture, c’est-à-dire en disant “C’est la politique des petits pas, des bonnes pratiques”. Tout ça n’est, bien sûr, pas à jeter. Il faut continuer à travailler avec les enseignants, sur leurs pratiques; les analyser; valoriser ce qui permet d’avancer, etc… Mais on n’en sortira pas si, à côté, on ne change pas la structure. Or, depuis le décret Missions, on n’a pas changé la structure.
C’est-à-dire ?
Par exemple, quand y aura-t-il un DOA (degré d’observation autonome) qui sera réellement indépendant des écoles secondaires et des filières dans ces écoles pour permettre aux élèves entre 12 ans et un âge à déterminer d’avoir une vraie formation commune en vue de choisir des options par après ? Car si un élève est dans une école qui propose telle ou telle filière, il va être formé avec la perspective de ces filières-là. Ou encore, l’école sera-t-elle un jour obligatoire avant six ans et doit-elle rester à tout prix obligatoire jusqu’à 18 ans ? Ca, ce sont des changements de structure.
Vous retrouverez cet article sur le site de La Libre.be – 09/02/2014