Suffit-il donc que l’on se parle ?

Le Contrat pour l’École s’occupe, in extrémis, des familles dans la dernière priorité « Renforcer le dialogue écoles/familles ». Mais, il aurait peut-être été préférable qu’il ne s’en mêle pas…

Dans notre, désormais fameuse, série « Impolitique » sur le non moins célèbre Contrat, voyons ce que cette ultime priorité signifie et propose.

Le Contrat justifie cette priorité par deux arguments : La qualité des relations établies entre la famille et l’école constitue un élément qui influe considérablement sur la réussite de l’élève. Il est donc primordial d’améliorer ces relations tout en tenant compte des différents vécus et des différents établissements. Ces deux arguments dévoilent tacitement deux réalités irréfutables : la reproduction par l’Ecole des inégalités sociales et la diversité des familles et des écoles. Le problème qui se pose ici est bel et bien d’ordre social : malgré son idéal démocratique et ses efforts d’émancipation des plus faibles, l’Ecole continue à renforcer cette fatalité qui fait que naître et grandir dans telle famille déterminent l’échec et la réussite scolaire.

D’accord avec ce diagnostic sous-jacent mais pas d’accord avec le constat énoncé, où le problème viendrait de la qualité des relations et non de la relation elle-même ; on serait en présence d’une mauvaise communication. En toute logique, le Contrat propose dès lors d’agir sur le dialogue, de le renforcer, suggérant ainsi que la solution du problème social consiste prioritairement à agir sur le relationnel en améliorant les contacts entre parents et enseignants.

Cette option est confirmée par les trois actions projetées par le Contrat :

1. Mettre en place des projets visant à renforcer les liens « familles – écoles » et à organiser la participation des parents à la vie de l’école.

2. Doter les associations de parents d’élèves d’un cadre décrétal afin de clarifier et renforcer leur rôle de lien entre les familles et l’école.

3. Conclure des contrats « écoles – familles ». Pour que les devoirs et les droits de chacun soient clairement définis, ces contrats (…) aborderont des thèmes tels que le respect et la non-violence, la nécessité d’écoute, la nécessité d’informer les parents, de respecter l’enseignant…

1. Des projets

La première opération a eu lieu en 2007 : elle a suscité une vingtaine de projets subsidiés . Ces pratiques dites bonnes ont certes poursuivi l’objectif louable de renforcer le dialogue et d’améliorer les relations entre les personnes. Elles ont sans doute fait du bien, mais sont assurément restées impuissantes à résoudre le problème fondamental de la relation Ecole-familles car elles sont restées à sa surface en croyant qu’il suffirait d’apprendre aux parents et aux enseignants à mieux se parler et s’écouter ou à faire n’importe quoi ensemble pour que les chances de réussite de tous les enfants s’égalisent. Ces mêmes pratiques ont sans doute aussi encouragé des parents à participer à la vie de l’école : ils sont venus à l’école … mais qu’y ont-ils fait ? Sont-ils venus, comme d’habitude, l’entendre dire ce qu’ils doivent faire pour que leur enfant réussisse ou pour l’aider dans sa propre gestion ? Ou sont-ils -et ce serait un scoop !- venus débattre sur un pied d’égalité, entre partenaires, de la question primordiale, celle du partage de la responsabilité éducative entre Famille et Ecole ?

2. Des AP renforcées

La deuxième action confirme que le Contrat situe son analyse au niveau de la qualité de la communication : en donnant aux associations de parents (AP) un pouvoir légitimé par la loi et une puissance instituée par des moyens d’action, le Contrat considère que le problème est de l’ordre de la participation des parents à l’école et qu’il faut, pour améliorer celle-ci, organiser leur représentation. Il n’a pas tort, car représenter tous les parents est un défi majeur qu’il faut relever si l’on veut installer une réelle participation. Cette tâche des AP a l’avantage d’établir entre Ecole et familles un rapport de force plus institutionnel, mais elle est lourde et difficile car il s’agit de construire une stratégie collective et rationnelle à partir de familles qui fonctionnent dans l’affectif, l’individuel et le particulier. Il n’en reste pas moins que, en renforçant les AP, le Contrat pour l’Ecole n’atteint pas encore le cœur du problème : ce n’est pas parce que certains parents participeront davantage à la vie de l’école que tous les enfants auront des chances plus égales de réussir leurs études.

3. Des contrats

La troisième action proposée par le Contrat pour l’Ecole a l’ambition de cadrer les relations avec les familles dans les limites d’un contrat. Qui dit contrat dit égalité et liberté des parties. Mais ici, la famille est d’emblée infériorisée, car suspectée d’être laxiste, violente, irrespectueuse envers une Ecole qui se doit de l’informer de ses droits et (surtout) de ses devoirs. On imagine facilement les devoirs que ces contrats imposeront unilatéralement aux parents : être ponctuels (dans les horaires mais aussi dans les délais, notamment de paiement), assurer le suivi du travail scolaire de leur enfant, faire confiance aux enseignants, participer aux réunions et aux fêtes. Ces demandes, légitimes si l’on croit à la démission parentale, sont depuis bien longtemps adressées par l’Ecole à toutes les familles, mais elles ne sont pas reçues partout de la même manière : les familles qui ont intégré la culture scolaire les considèrent comme allant de soi, naturelles, évidentes, faciles à satisfaire car elles les voient comme des libertés. Mais pour toutes les autres familles, ces demandes sont vécues comme des contraintes car elles représentent des missions périlleuses voire impossibles, d’autant qu’elles sont loin d’être les seules car implicitement, sans jamais en parler ouvertement (sans le savoir peut-être ?), l’Ecole demande aux familles de s’adapter de mille et une manières à sa présence et à ses exigences. Dès que l’Ecole entre en jeu, toute famille entre en révolution : elle doit modifier la gestion de son temps et de son budget, aménager son espace, adapter les tâches des parents (afin de produire chaque jour un enfant capable d’être un élève), chambouler ses principes et méthodes d’éducation, sa maîtrise de l’avenir et de l’évolution de l’enfant, transformer l’image de soi donnée et reçue, ajuster sa vie privée et parfaire son insertion sociale .

L’idée de mettre tout cela dans un contrat reviendrait à

➢ Traduire ces profonds bouleversements des familles en une simple liste de devoirs des parents ;

➢ Ne retenir que les tâches les plus visibles et les plus contrôlables par l’Ecole (le temps, les devoirs à domicile, la présence des parents, l’information) et oublier voire nier les multiples efforts invisibles mais réels des familles pour s’impliquer, s’engager dans la scolarité ;

➢ Gommer les disparités fondamentales entre les familles en obligeant tous les parents à signer le même contrat ;

➢ Soumettre la scolarité des enfants au respect obligé d’un contrat inepte tant dans sa forme que dans son contenu.

Cette contractualisation est aberrante car elle conforte la vision de familles coupables de ne pas faire réussir leurs enfants par manque d’intérêt et de volonté. Elle est dangereuse car elle persiste à vouloir changer les familles en les obligeant à ressembler davantage à l’Ecole, donc en se dénaturant. Elle est inéquitable car elle exige la même chose de familles totalement différentes. Elle est violente car elle officialise le rapport de domination des familles par l’Ecole.

Trois actions, trois méprises ?

Au total, cette priorité 10 ne risque-t-elle pas de faire plus de tort que de bien ? Tout est lié : l’analyse tronquée de la relation Ecole-familles renforce le préjugé sur la démission des familles et désigne les parents coupables comme principaux acteurs du changement : le problème serait résolu s’ils participaient plus (via le dialogue et la représentation) et s’ils remplissaient mieux leurs devoirs (formalisés via le contrat).

Le Contrat pour l’Ecole rate ainsi largement l’objectif d’égalité des chances car il fait de l’effet une cause et n’atteint pas le cœur du problème. Il risque au contraire de pourrir la situation en érigeant la participation et l’implication des parents au rang de condition sine qua non de la scolarité. En instituant, via ce contrat, la discrimination entre les bons parents (qui remplissent leurs devoirs) et les mauvais (qui démissionnent), il disqualifie toutes les familles distantes de la culture scolaire et déresponsabilise charitablement l’Ecole tant dans ses pratiques didactiques, pédagogiques et socialisatrices envers les élèves que dans ses contacts relationnels avec les parents.

Car c’est bien là, au cœur de chaque cours, de chaque leçon, de chaque tâche, de chaque devoir à domicile, que l’inégalité fondamentale des familles se traduit, minute après minute, en inégalité scolaire, donc en réussite pour les uns et en échec pour les autres. Car les enfants ne viennent pas nus en classe : comme les tortues, ils emportent partout leur maison, leur famille ; elle est là, sur leur dos, avec eux, en eux. Ils en sont le produit direct et ne peuvent jamais s’en défaire.

Le problème Ecole-familles ne se limite donc pas, loin s’en faut, à ce qui se voit, aux rencontres entre adultes, aux dialogues parents-enseignants, à la communication. Il se niche dans la partie immergée, à savoir les relations sociales entre deux groupes fondamentalement différents chargés d’éduquer les enfants : la famille (communauté fonctionnant sur l’affectif, l’individuel, le particulier et le gratuit) et l’Ecole (institution fonctionnant sur le cognitif, le collectif, l’universel et l’évaluatif). Il s’exacerbe dans la diversité des familles quant au rapport au Savoir et à l’Ecole, rapport construit sur base de leurs conditions de vie, leur histoire et leur expérience.

Résoudre ce grave problème exige que l’Ecole

➢ renonce à scolariser les familles (en leur demandant de lui ressembler) et admette enfin qu’elles sont des familles, pas des succursales scolaires ;

➢ cesse de croire que tous les enfants savent ce qu’il faut faire pour réussir et enseigne explicitement et systématiquement le métier d’élève ;

➢ aide les élèves à dépasser le scolaire pour atteindre le sens culturel et social des savoirs notamment en leur confiant un travail à domicile plus culturel que scolaire .

Trois pistes qui, à l’opposé des actions proposées par le Contrat pour l’Ecole, respectent les familles dans leur nature et leur diversité, réhabilitent les parents dans leurs compétences éducatives et familiales et confortent l’Ecole dans sa fonction d’instruction et dans sa mission d’émancipation.

Danielle Mouraux