Sans papiers, réfugiés, demandeurs d’asile, illégaux… On n’arrête pas d’en parler. Brièvement le plus souvent. Il en faut des images fortes pour que ces femmes et ces hommes nous sortent de notre torpeur !
Les naufrages des vieux rafiots surchargés, on en a trop vu, c’est trop loin. Terrible banalisation. Les grèves de la faim et de la soif, c’est plus près de chez nous et plus émouvant. La mort rôde. Il faut quand même le vide de l’été pour qu’elles occupent la Une des médias. Et des voix « autorisées » rappellent que « La loi, c’est la loi ». « Pas question d’accepter ce chantage ! » ajoutent des gens plus « responsables » les uns que les autres. Là-dessus, nos ministres partent en vacances. Restaient les grues ! Voilà des images spectaculaires au cœur de l’été bruxellois. Elles ont d’ailleurs été vendues à toutes les télévisions de la planète. Aujourd’hui, elles sont oubliées.
Mais voilà, une actualité chasse l’autre et l’approche des JO. de Pékin méritait « évidemment » des analyses beaucoup plus fouillées que le drame des clandestins. Et puis, c’est plus commode et plus valorisant pour nous d’épingler ces méchants Chinois qui restreignent les libertés de la presse, qui bafouent les droits de l’homme, qui militarisent la « grande fête » olympique… _ Pour nous faire vibrer au rythme des exploits des athlètes de tous pays, nos médias n’ont pas lésiné sur les moyens. Surtout la RTBF. Ah, si on consacrait ne fut-ce qu’une once de ces moyens à analyser en profondeur les questions migratoires et les drames humains vécus par les clandestins tout au long de leur errance. Évidemment, ça ne nous donnerait ni le beau rôle, ni bonne conscience.
Un journaliste italien, Fabrizio Gatti, envoyé spécial de l’hebdomadaire L’Espresso, a voulu partager pendant de longues semaines l’errance des candidats à l’exil. Parti de Dakar, il a traversé le Sénégal, le Mali, le Niger, pour atteindre la frontière lybienne. Non sans risques, même si sa nationalité et la couleur de sa peau l’ont protégé de la plupart des violences infligées à ses compagnons de route. Il faut lire son reportage [1]F. Gatti, Bilal, sur la route des clandestins, Ed. Liana Levi, 2008. Article paru sur le site de l’association Le Foyer : www.foyer.be. pour réaliser l’horreur de ce périple. Outre le désert assassin, ce sont les incessants contrôles et les incessantes spoliations et humiliations qui tuent moralement et parfois physiquement. Mais l’Italien ne s’apitoie pas sur son sort. Il fait partager les rêves de quelques-uns des compagnons qui ont accepté de se confier à lui. Et aussi, le courage nécessaire pour quitter sa famille, ses amis, son pays. Les sacrifices pour réunir les sommes indispensables. Les souffrances, les humiliations, les violences, les angoisses… chaque jour, chaque nuit. Tout au long d’une expédition qui, pour nombre d’entre eux, s’arrête au Niger ou en Lybie. Où ils mènent des vies d’esclaves modernes.
Non content de partager cette expérience, Fabrizio Gatti a voulu témoigner du sort réservé à celles et ceux qui arrivent vivants à Lampedusa, en Europe. Sur cette petite ile qui mêle tourisme de luxe et camp dit « d’accueil » pour ceux que le désert et la mer ont épargnés. Le journaliste s’est transformé en kurde échoué sur les plages de l’ile. Il a été arrêté et a vécu l’accueil que l’Europe réserve aux candidats à la « terre promise », qui seront presque tous renvoyés en Lybie ! Un séjour qui, certains jours, rappelle l’horreur des camps : coups, humiliations en tous genres, désespoir… Encadré par des militaires italiens dont certains, pas tous, n’ont rien à envier aux fascistes des pires époques. Tout cela se passe en 2005-2006. C’est l’application de Schengen, c’est « notre » Europe forteresse qui se protège !
Dernier voyage partagé par Gatti : celui de celles et de ceux qui se retrouvent dans d’autres camps, en Lybie. Après avoir été expulsés de notre Eldorado, ils vont entamer le chemin du retour vers leurs pays d’origine. De nouveau, le désert, les passeurs, trafiquants de toutes espèces, les accidents, les maladies… la mort pour certains. Nos belles démocraties veulent une Europe forteresse. Rien ne les arrête pour réaliser ce projet plein d’humanité ! Ainsi, l’Italie s’est ingéniée à réhabiliter le colonel Khadafi. On avait besoin de lui pour protéger notre paradis et pour quelques autres contrats juteux. Son régime est donc devenu convenable puisqu’il a accepté de participer à l’opération « expulsions » et a ouvert des camps qui n’offrent même pas le « confort » de Lampedusa !
C’est loin ? Non, ce sont leurs frères, nos frères, qui campent dans nos églises. C’est leur sort que nous ne sommes pas foutus de régulariser depuis le 21 mars, date d’un « accord » politique. Tu parles d’un accord qui n’est toujours pas concrétisé aujourd’hui. Nous sommes tous et toutes complices de cette situation. La mort rôde dans nos églises, comme tout au long du chemin des clandestins. Quelques cris d’indignation, quelques protestations, des manifestations peu suivies… Pas de démissions. C’est moins important que notre « pouvoir d’achat ». Pas de crise. C’est bien moins important que le sort des bourgmestres de la périphérie… Faire un bout de route avec les clandestins nous amènerait surement à plus d’humanité et à une plus juste évaluation des priorités de notre temps.
« Le long des 2 040 km entre la capitale du Niger et la frontière lybienne, il y a en tout 12 postes de contrôle. Ce qui signifie qu’entre Niamey et Madama, chaque immigré subit au moins 12 rapines. Chaque fois, des soldats ou des policiers lui demandent l’équivalent de 15,4 euros. (…) Mais s’ils trouvent plus d’argent au cours des fouilles ou des passages à tabac, ils raflent tout. La traversée du Sahara peut rapporter 150 euros par personne. Plus le cout du transport, environ 95 euros. Si on multiplie 150 par 15 000, nombre de personnes qui voyagent chaque mois, on obtient le chiffre d’affaires au Niger seulement. Bénéfice net. Sans frais de production. Si ce n’est l’effort physique de fouetter, tabasser et torturer les immigrés lors des perquisitions. C’est fou. » (pp. 220-221)
Notes de bas de page
↑1 | F. Gatti, Bilal, sur la route des clandestins, Ed. Liana Levi, 2008. Article paru sur le site de l’association Le Foyer : www.foyer.be. |
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