Sympathiques, les Gracques !

N’est-il pas intéressant de montrer par les faits que dans toute société, à n’importe quelle époque, il a fallu se battre pour instaurer un droit qui ne soit pas simplement la loi du plus fort ?

Nous sommes 12 autour de la table mise en carré. Les étudiants reçoivent des documents. Dans l’armoire, dictionnaires, ouvrages de référence, et puis les notes de cours et les souvenirs, j’espère, des cours précédents. Papotage récapitulatif. On se replonge dans le lieu et dans l’époque. Nous sommes à Rome aux temps héroïques des débuts de la République.

Un organigramme et un schéma détaillés permettent de découvrir les institutions de la république. Mais tout n’est pas lisible. Des questions surgissent ; elles portent sur le fonctionnement, sur l’accès aux différents plans de pouvoir. Qui peut faire quoi et à quelles conditions ? Qui est électeur ? Qui est éligible ?

Petite réflexion d’ensemble. Bernard est assez vite dans l’hypothèse de classes sociales aux droits inégaux. Je réponds à certaines questions précises, j’en laisse d’autres en suspens.

Suivent des documents écrits, à décrypter, à critiquer. Les étudiants découvrent la lutte séculaire, y compris armée, de la plèbe pour l’égalité des droits ; pour n’être plus condamné à l’esclavage pour dette ; pour obtenir les mariages mixtes plèbe/patriciat ; pour accéder, l’une après l’autre, à toutes les magistratures, jusqu’au consulat.

Plus tard d’autres cours permettront de découvrir les tentatives de réforme agraire des frères Gracques, tribuns de la plèbe après les guerres contre Carthage. Quand les paysans soldats, petits propriétaires terriens, ruinés par la concurrence des blés des provinces conquises, devront céder leurs terres aux grands propriétaires, toujours plus grands, sénateurs de surcroit, qui lancent la république dans des guerres continuelles qu’ils financent et qui les enrichissent, eux.

Ils sont sympathiques, les Gracques. Plutarque et les autres en ont tracé le portrait enthousiasmant. Ils ne pouvaient qu’échouer face au Sénat et disparaitre assassinés, l’un après l’autre, à 10 ans de distance.

La méthodologie est classique. L’histoire par les sources, critiquées, confrontées, questionnées, en cherchant ensemble puis en écoutant le prof qui parle toujours trop.

Cette pratique n’est pas spécialement de gauche. Importe avant tout l’écoute, la reconnaissance de chacun, la place que chacun doit pouvoir prendre. Même s’il faut pour cela devoir lancer au prof : « Vous parlez trop, la prochaine fois on apporte du sparadrap.»

Le choix des contenus n’importe-t-il pas avant tout ? Dans l’immensité des faits et des matières historiques susceptibles d’être objet d’apprentissage, les conflits politico-sociaux, appuyés sur une économie donnée et ancrés dans une culture spécifique, ne sont-ils pas le moteur d’une histoire qui n’en finit pas de se répéter ? Et cela ne vaut-il pas la peine de voir à l’œuvre le combat de ces hommes, puis de ces femmes, pour avoir une part de pouvoir et de culture, même quand ils ne sont pas, et pour cause, parmi les maitres de l’économie ?

Parce que, sans faire de grande phrase, il me parait utile de voir combien des utopies invraisemblables d’hier sont les réalités évidentes d’aujourd’hui ; que les arguments du conservatisme sont, presque comiquement, toujours les mêmes ; nourris par une même conviction, inébranlable, des classes dirigeantes, arc-boutées sur leurs monopoles qu’il faudra bien leur arracher un jour.