Pendant six semaines, à raison de trois heures hebdomadaires, les élèves de 1re et de 2e
en différenciée vont construire des tables de nuit en bois.
Au terme de ces séances, chaque élève devrait repartir chez lui avec sa production et avoir engrangé une série de savoirs et de savoir-faire dans le cadre du cours de technologie et plus largement, des compétences transversales comme observer, anticiper, s’organiser, s’entraider…
La classe, composée d’une dizaine d’élèves, découvre l’atelier. Maxime, le professeur de technologie les dirige vers la petite pièce annexe équipée de chaises et de bancs. Sur le tableau, il a noté l’horaire : 10 h 10 cahier des apprentissages, 10 h 25 objectifs opérationnels et intentions pédagogiques : comment on trace, comment on scie, 10 h 45 premiers traçages et sciages de la table de nuit, 12 h 10 cahier des apprentissages et rangement.
Le professeur s’assure que tout le monde suit : « Qu’est-ce que c’est un objectif opérationnel ? » Ricardo répond : « En gros à chaque séance, il faut avoir fini un truc ? » Maxime précise : « L’objectif du jour, c’est de terminer la découpe des trois côtés de la table. L’intention, c’est ce que je voudrais que vous appreniez. Par exemple : à la fin de la séance, vous serez capable de réaliser un lexique avec les mots utilisés. »
Les élèves notent l’horaire dans leur carnet des apprentissages (CDA) et reviennent dans la pièce par laquelle ils sont entrés. Elle sent le bois fraichement coupé, il y a trois grands établis, aucune chaise, un mur où sont suspendus les outils (scies, presses, équerres, marteaux…) et, au centre, le modèle de la table de nuit à réaliser. Elle a de l’allure, petite, en bois clair avec un tiroir, quatre pieds reliés deux par deux par une pièce en bois trapézoïdale.
« Il ne faut pas confondre les côtés de la table de nuit et les côtés du tiroir qui sont plus fins », prévient Maxime. « Et qu’est-ce qu’on fait avant de scier ? On mesure et on trace ! »
« Tracer et mesurer, c’est la même chose », dit un élève.
« Eh bien non et je vais vous en faire la démonstration. On va utiliser un outil que même les architectes des pharaons employaient déjà : l’équerre ! Elle a un angle droit de 90°. La partie épaisse s’appelle le talon et la fine : la lame. L’équerre se tient d’une seule main. »
Les tables de l’atelier ont été fabriquées par un autre groupe d’élèves, Max leur explique l’usage du panneau-martyr que l’on doit glisser entre la pièce et l’établi avant de commencer la découpe. Il passe en revue les différents outils dont ils auront besoin lors de cette séance : la presse, la cale, la scie à dos, le marteau et il leur montre comment les utiliser. Il est particulièrement exigeant sur la position du corps au moment de scier. Poignet, coude, épaule : tout sur le même plan, une main à hauteur de la cale et un travail relax, sans utiliser de force.
Il distribue à chaque élève une longue planche dans laquelle ils devront découper les trois côtés de ce qui formera le coffre de la table où viendra s’insérer le tiroir. Max insiste pour qu’ils ne se fient pas à la justesse du côté déjà coupé : « Les planches sortent de l’usine, d’une scierie et par sécurité, il faut effectuer un premier traçage pour être sûr que l’on a bien un angle droit impeccable. »
Les élèves se sont répartis autour des tables et ont chacun les outils nécessaires. Max circule : « Enlève ta chaine, Sanjali, c’est dangereux quand on manipule des outils. Trace une flèche pour indiquer que tu viens de scier ce côté et que l’angle est bon. Évite de scier dans un nœud. On met la cale du côté de ce que l’on va garder. »
Pour que les mesures soient correctes, chaque élève a reçu la face supérieure de la tablette, déjà aux bonnes dimensions, les élèves alignent leur longue planche pour marquer la taille. Pour les deux courts côtés, c’est assez facile. Mais lorsqu’il faut faire le plus long, c’est plus compliqué, car ils doivent soustraire au long côté l’épaisseur des deux petits déjà coupés. Pas de latte, Maxime leur montre comment procéder en posant sur la tablette supérieure les deux morceaux déjà sciés. Attention à la précision et au crayon bien taillé. Chaque millimètre a son importance.
Ricardo qui a déjà fréquenté l’atelier l’année passée aide Sanjali qui ne s’en sort pas avec la presse. Birgal se sent compétent et va aider Ouiam. Maxime complimente ceux qui rangent leur espace de travail. Il fait poncer les côtés : « Ce ne sont pas vos yeux qui doivent voir, mais vos doigts qui doivent sentir. »
Birgal embrasse la découpe que Maxime vient de valider. Ricardo qui a fini est envoyé au tableau de l’atelier pour faire le dessin exact de la tablette supérieure, mais sans se servir de celle-ci comme gabarit. « Juste la mesure de ma PS4 ! On pourrait faire un trou derrière pour passer les câbles ? »
Birgal est aux anges : « J’ai tout compris ! »
Vient le moment du rangement. Chaque outil a sa place, les morceaux sciés sont scotchés entre eux et on y met l’initiale du jeune. Balayage du local : tout le monde s’y met et retour dans le local annexe avec les bancs disposés en fer à cheval pour compléter le cahier des apprentissages avec la consigne donnée. Birgal reçoit deux phrases qui viendront se rajouter à celles qui lui servent à entrer en lecture : « J’ai été à l’atelier pour construire une table de nuit. J’ai utilisé un marteau, une presse et une scie à dos. »
La semaine suivante, je viens voir l’avancée du travail des élèves. Tout un univers ! La voix de Cesaria Evora sert de musique de fond, l’odeur du bois fraichement coupé flotte. Elzée tient une visseuse à la main. Yasin a enfilé des lunettes de protection et un masque. Ils en sont à l’assemblage du caisson. Ils ont dû mesurer et marquer sur les tablettes inférieures et supérieures l’endroit où vont venir les vis. Ils doivent d’abord forer et ensuite visser les deux tablettes aux trois côtés.
Maxime : « Omeya, j’ai une bonne et une mauvaise nouvelle. À la fin, tu auras une super table de nuit. La mauvaise : un des côtés est trop court, il faut recommencer cette pièce… »
Une semaine plus tard, je les retrouve à nouveau en plein travail. Birgal se sent tellement à l’aise avec les outils qu’il en oublie de mettre le panneau-martyr sous la pièce à scier. Souleyman ne trouve pas encore ses marques « Il est où le bois à scier ? » Maxime reprend patiemment : « Quels sont les 5 outils nécessaires pour scier ? »
Elias, pris dans la fièvre du forage, est prêt à faire des trous même là où c’est juste de la colle qui fait tenir les pièces. Le travail avance et les objectifs de la séance sont respectés. Au moment de compléter le cahier des apprentissages, Maxime leur demande de citer deux erreurs ou imprécisions lors de la séance écoulée.
Sanjali : « Scier droit ». Le professeur le reprend : « Sois plus précis dans les mots ! » Ouiam : « J’ai un peu coupé la table, car ma scie n’était pas droite. » Maxime la reprend : « horizontale. » Kyann : « J’ai galéré pour les planches. » Maxime : « À mettre les planches en place ? À quel moment de la construction ? » et il reformule pour Kyann « J’ai galéré à presser les planches pour les préparer au vissage. »
Tous les élèves s’affairent. « Anas a la flemme », me dit-il. Pour le soutenir dans l’effort, Maxime fait les premiers traits de scie : « Voilà, je l’ai engagée, tu ne peux plus dérailler. »
Maxime se tient près d’Omeya : « J’ai une bonne et une mauvaise nouvelle pour toi. » « Ah non, tu me l’as déjà faite celle-là ! » « Pourtant, le long côté du tiroir est trop long, tu as 2 mm à enlever. » Devant la mine déconfite de celle-ci, il procède au montage et scie lui-même l’excédent. « Sinon, je la perds », me confie-t-il.
Cyril s’apprête à coller les bords des tiroirs avec le fond. « Attention, on est à la bourre, quand on colle, ça sèche vite, il faut tout préparer à l’avance : presses, cales pour protéger le bois sur lequel on les met, tout doit être prêt ! »
Cinquième et avant-dernière séance. L’humeur du groupe est comme la météo. Pluvieuse et maussade. Kyann ne maitrise toujours pas les gestes pour utiliser la presse. « Est-ce que c’est bien mis, Max ? » « Vérifie avec l’équerre, ça fait 5 cours qu’on fait ça. » Sanjali est dans ses mesures : 4 cm du bord et 1 cm du côté. « Max, j’ai besoin de toi pour visser ». « Ce n’est pas visser, mais forer », lui répond ce dernier. « Forêt ???? » « Non, forer ! »
Souleyman est perdu. Il vient de scier une pièce, mais il ne sait pas du tout à quoi elle correspond. À plusieurs reprises, j’invite les élèves à aller voir le modèle toujours exposé et à situer ce qu’ils font ou viennent de faire par rapport à lui.
On passe au CDA : listez point par point ce que vous avez fait ce matin, comme si c’était une recette de cuisine. Sankisha : « En donnant des ordres ? » « C’est ça ! Prenez, faites… » Au moment du partage, Cyril a écrit « Assemblez les trois pièces en bois ». Maxime le relance : je veux au moins cinq étapes pour « assemblez ».
Dernière séance. On a pris du retard, car certains élèves ont été absents à l’une ou l’autre séance. Étape difficile, celle des pieds de la table de nuit. Il faut scier quatre pieds et deux trapèzes pour les relier. Des marques sont posées à plat sur un gabarit. Je ne comprends pas tout de suite comment il faut l’utiliser, mais Elzée qui est en avance par rapport aux autres, se fait un plaisir de me l’expliquer et d’aider ses camarades.
On arrête la séance un peu plus tôt. On se regroupe autour du tableau et on note ce qui reste à faire pour chacun. Seule Elzée a terminé sa table de nuit et insiste pour déjà la reprendre à la maison. On va organiser une séance supplémentaire pour les autres.
On terminera par un grand drink festif avec photos auquel on a invité le directeur et différents professeurs. Je tenais à ce que ce soit un moment fort de fierté partagée. On a formé un grand cercle et chacun a pu dire ce qu’il éprouvait en regardant le résultat final. Puis, chacun a pu adresser un remerciement à quelqu’un qui l’avait aidé, soutenu dans le travail. Beaucoup ont mis en valeur l’efficacité et le soutien de Maxime, mais beaucoup d’élèves ont aussi été mis à l’honneur.
J’ai demandé à Max comment lui est venue l’envie de faire une table de nuit avec les élèves.
Max : J’avais envie d’un objet que chacun réaliserait pour lui, qu’il soit beau, pas trop petit, pas trop gros. J’avais des doutes, est-ce que c’était trop ambitieux ? Trop peu ? Une fois que le choix a été arrêté, j’ai construit un prototype, j’ai séquencé les étapes, je les ai traduites en objectifs opérationnels et puis je les ai planifiés trois séances de 45 minutes.
Et qu’est-ce qui est difficile à gérer ?
Max : Travailler avec des élèves du différencié comporte un gros avantage, c’est le nombre réduit d’élèves. Je me vois mal lancer cette même activité avec un groupe de vingt-cinq. Ici, chacun dispose de son matériel. Pour des explications ou de l’aide, le temps d’attente n’est jamais trop long. Mais les difficultés sont aussi nombreuses. Par exemple, ils n’ont aucun sens de l’angle droit. Très peu d’entre eux ont déjà bricolé. Ce qui est bien, c’est le résultat direct qui permet de voir si c’est juste ou pas. Faire le prototype est indispensable pour bien préparer le travail et les étapes. Je réfléchis aussi au CDA. C’est le seul moment vraiment méta de l’atelier. Ils ne reçoivent aucune feuille.
Qu’est-ce qui te plait le plus dans le travail ?
Le sens du beau. Quand on fait un assemblage où les arêtes se rejoignent bien, c’est très jouissif. C’est parfois difficile de voir le temps que les choses vont prendre. Je suis toujours impressionné aussi de voir comment des élèves surmontent leur crainte du bruit, des vibrations de la machine.