Tentatives d’enseignement pour qu’ils apprennent…

J’en ai marre de faire passer des évaluations dont je connais déjà les résultats ! Toujours les mêmes qui apprennent, et d’autres qui réussissent sans rien n’avoir appris ! « Dis Marilyne, j’ai réussi mon évaluation ? » « Peut-être ! Mais qu’as-tu appris ? Réfléchis et reviens me le dire quand tu auras trouvé. » Réponse sans doute la plus cohérente avec à mes préoccupations d’enseignante dans une classe de 6e primaire.

J’avais pris l’habitude d’introduire trois questions de métacognition à la fin de chaque évaluation : deux sur la difficulté ou la facilité de l’élève et une sur l’apprentissage. J’ai introduit une nouvelle forme de cahier de synthèses, qui est en fait la structuration des traces d’apprentissages des élèves plus les ajouts éventuels que je juge nécessaires pour permettre une meilleure mémorisation des contenus par chacun. Pour chaque concept vu, une double page reprenait ma synthèse et leur réappropriation. Chaque élève s’investissait et faisait… ce que je lui demandais ! Leurs synthèses prenaient différentes formes, pas de copier-coller de ce que je faisais, mais une belle diversité de production. J’étais fière et enthousiaste. Quelques mois plus tard, après une nouvelle évaluation, dont les résultats étaient toujours les mêmes, j’ai pris la décision d’analyser plus finement leurs réponses aux questions de métacognition ainsi que leur réappropriation des synthèses.

Ça ne marche pas !

Dans les réponses aux questions, certains arrivaient à expliquer ce qu’ils apprenaient et le pourquoi, mais d’autres écrivaient : « J’ai appris à répondre aux questions de l’évaluation, j’ai appris à faire ce que Marilyne demande, j’ai appris que c’était trop difficile pour moi ». Dans le cahier de synthèses de ces élèves, même constat : s’ils sont créatifs dans la forme, le fond reste du recopiage ou ne reprend que des détails insignifiants, non essentiels à la compréhension de la matière.

« Les accompagner en leur apprenant à apprendre. »

Moi qui voulais réduire les inégalités scolaires, je n’ai fait que les accentuer ! Ce que je faisais était trop superficiel, accessible aux enfants qui n’ont pas besoin de moi pour apprendre et complètement opaque pour les autres. J’ai donc décidé de changer ma pratique. Mais que faire pour que ces élèves se rendent compte de ce qu’ils apprennent et de comment ils font pour y arriver ?

Des nouvelles pratiques

J’ai explicité l’utilisation et le rôle du cahier de synthèses. Ce sont maintenant les élèves qui commencent à synthétiser les contenus quand la matière est vue et seulement s’ils en éprouvent le besoin. Pour qu’ils y arrivent seuls, nous avons passé, en amont, quelques heures à nous entrainer. Au début, je donnais le sujet et nous faisions un mur parlant (une sorte de carte mentale faite collectivement). En sous-groupe, ils essayaient de créer une première trace. Lors d’une confrontation collective, nous relevions les éléments redondants qui servaient de base à la création de la synthèse. Enfin, avec mon accompagnement, nous pouvions créer la trace synthèse. Petit à petit, le mur parlant est devenu individuel, et la mise en commun a disparu, pour laisser la place au travail individuel et en groupe.
Les évaluations sont personnalisées selon l’endroit où chacun se situe, à ce moment-là, dans son apprentissage. J’organise aussi un « stop matières » toutes les deux semaines pour faire le point sur la matière vue.
Je dois donc prévoir beaucoup de temps de travail en autonomie, de défis pour ceux qui apprennent sans moi, pour pouvoir m’occuper des élèves qui ont besoin d’explicitation, d’aide et de répétition. Je consacre deux heures chaque semaine pour travailler le concept de « c’est quoi apprendre » ?
Pour rendre ces changements observables, quantifiables et centralisés, j’ai introduit un cahier que beaucoup appellent aujourd’hui « le cahier des apprentissages ». Compléter celui-ci est le seul devoir que je donne quotidiennement à mes élèves. Tous les matins, pendant un temps de lecture individuelle, je passe pour lire ce qu’ils ont écrit.

Du travail collectif autour du cahier d’apprentissage

Celui-ci est composé de trois parties distinctes, mais indissociables.
La première est consacrée au programme des apprentissages de la journée. Chaque élève le note et le complète à la fin de la journée, en écrivant deux choses qu’il a apprises.
Je les encourage, les félicite et leur donne des conseils de formulation pour que ce soit plus précis, plus centré sur l’apprentissage. Trois volontaires lisent, à voix haute, ce qu’ils ont écrit. Au début, les élèves écrivaient beaucoup la même chose : j’ai appris à faire des maths, à écrire sans faute, j’ai aimé disséquer, j’ai aimé la géographie. Pendant trois mois, je ne suis pas intervenue. Lentement, grâce à l’application quotidienne des trois leviers (la répétition quotidienne de l’exercice, mes conseils en termes de formulation et la lecture oralisée avec prise de notes) des changements sont apparus : des schémas, des dessins, des mots-clés ont remplacé les textes. Certains, pourtant, n’écrivaient encore que ce qu’ils avaient aimé ou pas.
Je suis intervenue, plus tard, en mettant la classe en recherche de solutions par rapport à la redondance des écrits. Les élèves ont proposé de créer une banque d’idées sur comment commencer les phrases et d’instaurer des binômes de supervision qui se liraient ce qu’ils ont appris et en feraient une critique positive. Nous faisons cela depuis quinze mois. Si les choses évoluent dans le bon sens pour tous, les élèves en difficultés restent plus fragiles au niveau de la formulation de ce qu’ils apprennent. Ce passage par l’écrit de ce qu’ils croient avoir appris, m’est utile : il me permet de voir plus facilement qui pense avoir compris ou pas et de réguler plus rapidement.
La deuxième partie de ce cahier, nommée « J’apprends à mieux apprendre », regroupe toutes les questions liées à la métacognition (stratégies de lecture, démarches de résolution de problèmes, stratégies à utiliser pour aborder un document de n’importe quelle nature), mais aussi tout ce qui concerne l’élève (qui il est comme apprenant, ses forces, ses faiblesses, comment il mémorise…)
La troisième partie est consacrée à la matière vue, aux « stops matières » et aux synthèses. Toutes les deux semaines, chaque élève note le relevé des matières vues en math, français et éveil. Ensuite, ils confrontent ce relevé à quatre et le complètent le cas échéant. Lors d’une mise en commun, nous notons cette liste au tableau. Ce moment est riche en verbalisations et en échanges. Il permet aux élèves de se rendre compte de l’importance de noter ce qu’ils ont appris pour faciliter la mise en mémoire. Lorsque la liste est terminée, je décide des matières qui seront à connaitre (soit parce que la matière est finie, soit parce que c’est un moment crucial dans l’apprentissage). Je les mets en évidence et chaque élève fait la même chose dans son cahier. Au début, je ne choisissais que cinq matières, mais ce nombre a augmenté avec le temps.

Reste à évaluer…

Les élèves ont alors une semaine pour faire la synthèse pour chaque matière mise en évidence. Ils ont l’opportunité de ne pas en faire du tout, s’ils estiment que cette matière est connue. En classe, ils font ce travail en autonomie ou accompagné, seuls ou en binôme. Une semaine plus tard, je vérifie les synthèses et je discute avec ceux qui n’en ont pas fait.
Trois jours plus tard, je donne une évaluation qui ne sera pas la même pour chaque élève. J’aimerais pouvoir en faire vingt-trois différentes, mais ce n’est pas possible. J’ai décidé de trois niveaux d’évaluations : soit je demande aux élèves de réécrire le nom des matières qu’ils devaient connaitre et de donner cinq mots-clés, soit, je leur demande de (re)faire une synthèse par matière, ce qui me permet de constater s’ils ont compris, soit je leur demande de répondre à des questions précises sur la matière.
J’observe aujourd’hui une nette amélioration dans la posture d’apprenant de mes élèves. Ils font plus de lien et mettent plus de sens dans leurs apprentissages. Ils sont aussi plus actifs puisqu’ils savent qu’ils vont devoir construire leurs synthèses. Mon rôle est de les accompagner dans cette construction en leur apprenant à apprendre, en parlant de leurs stratégies, de leurs démarches et de leur façon d’apprendre. Tout ce travail prend beaucoup de temps. Il se fait au détriment d’autres apprentissages… Plus importants ? Pas sûr, mais je me pose la question de temps en temps !