Touche par touche

Il est des comportements à lire. Il est des limites non négociables. Il est des responsabilités à porter.

Peu de temps après la rentrée 2001, nous avons été confrontés à des problèmes d’attouchements entre élèves du 1er degré. Il ne s’agissait, au début, que d’effleurements innocents ou de jeux de séduction propres à cet âge. Mais la situation s’est aggravée rapidement au point d’en arriver à des actes, posés collectivement, assimilés au viol.

Quelques constats ont été immédiats. Tous les garçons sont issus de l’immigration, toutes les filles sont belges. Deux des trois garçons impliqués dans les faits les plus graves n’avaient jamais posé de problème de comportement avant ces faits. Les deux filles concernées par les faits les plus graves avaient déjà auparavant été victimes d’attouchements, ailleurs que dans notre contexte scolaire.

Tous les élèves du 1er degré étaient au courant qu’il se passait “des choses” (c’est apparu dès que nous avons commencé à traiter ce problème) et n’avaient rien dit. L’escalade dans la gravité des faits et la généralisation de cette problématique ont été si rapides que nous n’avons pas eu le temps d’en mesurer l’importance ni de réagir immédiatement de manière adéquate.

Notre école, par son histoire propre, compte beaucoup plus de femmes que d’hommes (enseignants et éducateurs); peu de modèles masculins donc, et pas de réelle mixité entre adultes.

Des lectures

On pourrait porter sur cette situation deux regards différents. Le premier : l’analyser d’une manière individuelle, c’est-à-dire considérer ce qui s’est passé comme la problématique de quelques élèves (quatre garçons, deux filles pour les faits graves), ce qui entraine un suivi et des sanctions individuels. Le second: considérer qu’il s’agit d’un problème de groupe, de culture, de société et donc tenter d’y répondre d’une manière collective et éducative en travaillant aussi sur le long terme.

Nous avons sans cesse louvoyé entre ces deux regards.
– Le premier pourrait faire basculer dans:

  • la “diabolisation” d’une culture par rapport à une autre ou par rapport à ce que nous en percevons, peut-être erronément;
  • le rejet d’activités à risques (voyages, classes vertes…);
  • l’apaisement de notre propre culpabilité par l’exigence de sanctions disciplinaires excessives ou “exemplaires”.

– Le second entraine:

  • la remise en question des adultes (par eux-mêmes) c’est-à-dire une analyse sans complaisance de nos pratiques, notre écoute, notre présence, notre vigilance.
  • l’apprentissage (le ré-apprentissage!) d’un “décodage” correct, sans dramatisation, des paroles ou des gestes propres aux jeux de séduction ou aux provocations de cet âge.

Des questions

Malgré un travail important réalisé dans l’institution avec les différents groupes concernés, des questions essentielles et incontournables me demeurent présentes à l’esprit. Il me semble qu’il faudra s’y atteler pour qu’une telle situation ne se reproduise pas.

  • Comment repérer la fragilité de nos élèves, de tous nos élèves (des “abuseurs” comme des “abusées”)?
  • Comment travailler, plus encore ou autrement, le respect (c’est dans notre projet d’établissement)? Le respect de soi, le respect de l’autre, de la différence, du corps…?
  • Comment apprendre les vraies limites, j’entends par là des limites non négociables? L’apprentissage de l’interdit dans le domaine de la sexualité ne s’inscrit-il pas dans un apprentissage plus global du permis/interdit?
  • Où, quand, comment mettre en place d’autres lieux et temps de parole individuels et/ou collectifs pour que certaines questions, certaines situations puissent se dire et être travaillées? Qui, par exemple, et dans quel contexte, pourrait parler avec les jeunes du clip de Kylie Minogue qui passe aux heures de grande écoute et qui est d’une provocation extrême? Où leur dire: “Ça, c’est du domaine du fantasme, du privé“? Est-ce à l’école de le faire quand elle sait que ce que les jeunes regardent à la télé échappe à tout contrôle parental?
  • Comment éviter de poser sur les “coupables” un regard réducteur, même en cas de faits graves? Comment faire émerger des identités autres que celles d’abuseurs -et d’abusées-.afin que l’interdit transgressé ne classe pas définitivement ces jeunes?
  • Et enfin, qu’est-ce qui nous est -qui m’est- personnellement indispensable pour redonner la confiance sans laquelle on ne grandit pas, et pour y croire encore au delà de l’échec, de la culpabilité et de la déception?