Decroly, Freinet, Montessori, Bassis, Oury, et bien d’autres… Beaucoup de noms découverts pendant ma formation d’institutrice primaire.
Des noms qui ont suscité beaucoup de questions. Est-ce vraiment possible de travailler comme ça ? Comment organiser la classe pour que les grands principes rencontrés dans les livres se concrétisent sur le terrain ? Est-ce que je vais oser m’y lancer ?
Après quelques journées passées dans des classes à observer des instituteurs et des institutrices devant leurs élèves, pendant ma première année de formation dans une école normale, je me suis demandé si j’avais fait le bon choix. J’avais décidé, un an plus tôt, de changer radicalement de profession. À trente-cinq ans, j’étais inquiète : m’étais-je trompée ? Ce que j’avais lu au sujet de tous ces pédagogues, ce que je pensais voir dans les classes, ce que j’avais envie de mettre en place avec mes futurs écoliers, nulle part je n’avais pu l’observer ! Alors, était-ce possible ?
J’ai fait part de mes doutes à un professeur de psychopédagogie qui m’a conseillé de suivre une formation aux Rencontres Pédagogiques d’Été et qui m’a donné des noms d’enseignant(e)s chez qui je pourrais aller faire un stage. J’en ai rencontré un pendant ces rencontres. Rendez-vous a été pris et le premier septembre, je me suis retrouvée stagiaire dans sa classe, dans une petite école qui démarrait : deux classes (une maternelle et une 1re, 2e primaire), deux enseignants (une institutrice maternelle et un instituteur primaire qui assurait aussi la direction de l’école).
Pendant trois semaines j’ai observé ce qui se passait dans la classe primaire, j’ai participé aux activités proposées, je me suis essayée aux pratiques de cet instituteur et nous avons discuté quotidiennement de ce qui s’était passé pendant la journée. Quinze années plus tard, mes pratiques restent marquées par ce que j’ai vécu dans ce stage.
Chaque matin, les enfants s’installaient en classe de manière autonome avant de se rassembler au « coin à paroles ». L’instituteur y organisait des tours de paroles, des prises de décisions et des… chants. Oui, ce que j’avais lu dans les écrits de Fernand Oury, était possible. Aujourd’hui, dans une classe de 5e primaire, comme avant dans d’autres classes, je mets en place certaines institutions chères à Fernand !
Les enfants de 1re et de 2e primaires se côtoyaient dans beaucoup d’activités. Mais il fallait apprendre à lire aux enfants de 1re. Les enfants de 2e travaillaient alors dans des fichiers, de manière autonome. Plusieurs fichiers ont été proposés aux enfants. Oui, le travail dans des fichiers, cher à Freinet, ça marche ! Chaque année, peu importe le niveau de la classe, mes élèves disposent d’un temps de travail dans des fichiers. Je profite de ce moment de travail autonome pour m’occuper plus individuellement de certains enfants.
Transmettre un savoir ? Inutile ! Il faut le faire construire ! D’accord ! Mais en classe, ça donne quoi ? Dans cette classe, l’instituteur s’inspirait des travaux d’un collectif en mathématiques. Les enfants cherchaient seuls et en petits groupes. Puis une mise en commun était organisée. L’instituteur privilégiait les erreurs, nécessaires pour avancer. Oui, l’auto-socio-construction des savoirs, ça plaît aux enfants et ça en fait de réels chercheurs ! Je suis devenue une adepte convaincue de ce courant pédagogique. La plupart des activités des classes dans lesquelles j’enseigne sont construites suivant ce modèle.
Les enfants de 1re année apprenaient à lire selon une méthode proche de la méthode globale. Mais dès la première semaine, ils ont commencé à écrire. Avec un ensemble de mots qui s’étoffait de jours en jours, ces petits bouts de six ans ont rapidement pu écrire de courtes phrases qu’ils lisaient fièrement aux autres élèves. Écrire même quand on ne sait pas lire, je l’avais déjà lu, mais je n’y croyais pas… Je travaille aujourd’hui dans une école en discrimination positive. Quand je suis institutrice dans une 1re année, les élèves commencent à écrire dès le mois de janvier. Et ceux-là aussi y arrivent !
Après que les enfants aient quitté l’école, nous passions en revue chacune des activités de la journée, pointions ce qui avait et ce qui n’avait pas fonctionné. Nous cherchions des solutions à mettre en place pour certains enfants. Nous regardions leurs productions et les analysions. Ce travail, pratiqué régulièrement, à deux, m’a appris à mieux connaître les enfants et leurs difficultés intellectuelles, à mieux comprendre les enjeux et les valeurs liés à chaque type de pédagogie. Aujourd’hui, je cherche toujours un ou une collègue avec qui je puisse discuter des élèves qui me sont confiés et de leurs problèmes d’apprentissage. Nous cherchons à savoir pourquoi ça marche pour certains et pas pour d’autres et nous élaborons des solutions.
Depuis, mes pratiques se sont enrichies d’autres outils : cercles de lecture, situations-problèmes en éveil, techniques de production d’écrits, utilisation de l’informatique… Mais je m’autorise toujours à douter de ce que je mets en place, tout en mettant des mots sur ces hésitations et en exigeant de moi-même l’élaboration d’une solution, même temporaire. Mon travail d’institutrice est complexe et exigeant. Il ne suffit pas de lire les livres ou articles des milieux académiques. Il faut sans cesse confronter ces écrits théoriques aux pratiques de terrain. Si les grands noms cités en tête de cet article m’ont permis d’imaginer tout ce que pourrait mettre en place dans mes classes, ce n’est qu’après ce stage que je me suis autorisée à le faire, tout en restant très vigilante à ce qui se passait réellement en classe ! Alors quels sont mes repères ? Ces grands pédagogues ou cet instituteur ? Les deux, sans doute. Mais les livres sont à la disposition de chacun dans de nombreuses bibliothèques. Il est plus difficile de trouver un instituteur qui puisse vous montrer à quel point tout est tellement complexe, mais toujours possible !