Dans un contexte qui la rend pourtant plus que nécessaire, la réforme de la formation initiale des enseignants (RFIE) se fait attendre… Rappel du contexte et éléments de compréhension sur pourquoi elle n’arrive pas.
Il y a le Pacte qui met la barre plus haut : les enseignants en fonction comme ceux à venir vont être aux prises avec la mise en œuvre d’un tronc commun polytechnique et pluridisciplinaire, sur la base de nouveaux référentiels et d’une autre logique d’action qui devra passer de la sélection — par tri précoce et réorientation vers le spécialisé ou vers l’enseignement qualifiant — à l’acquisition d’un socle commun de savoirs et compétences au terme du tronc commun. C’est donc une part de la réduction des très fortes inégalités scolaires à l’œuvre dans notre système scolaire qui repose sur la pratique des enseignants qui est en jeu.
Il y a la pénurie des enseignants : c’est indiscutable, mais il ne semble y avoir d’accord ni sur les causes ni sur les remèdes !
La pénurie ne date pas du Pacte et des défis qu’il ajoute : une analyse sérieuse pointe les conditions d’exercice du métier pour les novices qui ont une fâcheuse tendance à l’abandonner prématurément. C’est donc bien sur ces conditions d’exercice du métier, avec un véritable accompagnement en début de carrière, et sur la revalorisation de la profession qu’il faut agir.
Et l’actualité récente montre une diminution des inscriptions dans les hautes écoles. À cela s’ajoute la réalité plus ancienne qui amenait dans les HE bon nombre de candidats diplômés de l’enseignement technique de qualification, possédant eux-mêmes une trop faible maitrise des savoirs disciplinaires1.
Allonger le temps de formation des futurs enseignants s’imposait donc pour avoir le temps de consolider les bases disciplinaires, d’enrichir les contenus et de soigner la préparation à l’entrée dans le métier.
Un projet de réforme a été bouclé et voté en 20192.
Mais les élections ont amené une nouvelle équipe politique au pouvoir en FWB3 qui a bloqué la mise en œuvre de la réforme et a remis le projet sur le métier.
Raison invoquée ? Le cout des effets de la réforme puisqu’elle prévoyait assez logiquement une revalorisation barémique des enseignants qui auraient dorénavant consacré 4 ans à se former.
La réforme a subi des modifications regrettables qui n’apportent rien sur le fond et qui tentent de l’instrumentaliser au profit de la lutte contre la pénurie des enseignants ! Un gros bloc d’heures de stages a été placé en 4e année avec obligation4 de le prester dans une seule école et sans prévoir d’encadrement5.
Et avec ça ? Le MR en a aussi profité pour rétropédaler sur tout engagement financier de revalorisation barémique des futurs diplômés.
Revaloriser sans s’engager à payer… vous voyez ça comment ?
Il était bien écrit pourtant dans la Déclaration de politique communautaire qu’il fallait revaloriser l’image et les conditions du métier des enseignants…, drôle de façon d’interpréter cet engagement. Sûr que les candidats vont se presser au portillon pour s’engager dans une année d’étude supplémentaire sans garantie d’être payés en conséquence.
Il semble que les chefs6 aient dit oui ou aient simplement renoncé à discuter.
Les organisations syndicales se sont opposées avec succès au dévoiement que représentait la formule consistant à mettre les étudiants prématurément au travail dans les écoles en leur créant un statut hybride d’étudiant-travailleur-salarié, mais n’ont pas porté le combat plus loin, ne sachant pas qui était mobilisable sur le coup.
À la veille de la trêve estivale, deux-cent-septante formateurs d’enseignants des HE, des différentes universités francophones du pays et d’autres acteurs de l’enseignement se sont rassemblés pour dire ce qu’ils pensent des incohérences de la réforme actuellement sur table, à la ministre de l’Enseignement supérieur, à ses collègues ministres en FWB et aux présidents des partis francophones au pouvoir qui peuvent serrer ou desserrer les cordons de la bourse.
À la mi-octobre, une délégation de porte-paroles de ce mouvement va rencontrer tous ces responsables politiques. Ces rencontres leur permettront de vérifier si les positions tenues par les politiques sont le fait de leur méconnaissance ou de leur mépris ou…
Méconnaissance, mépris ou stratégie de prise en otage politique d’une réforme pourtant indispensable ? Ce n’est pas un mystère, c’est le MR qui cale7 et il pourrait marquer accord à condition que des économies soient effectuées ailleurs. Mais que veut-il en échange et est-ce une façon acceptable de faire de la politique ? Que valent les engagements pris par l’équipe politique précédente ?
La cohérence et la continuité nécessaires pour porter une réforme aussi ambitieuse que le Pacte semblent manquer cruellement.
Leçon à tirer de cet épisode en cours : ne pas partager le portage de l’enseignement obligatoire et de l’enseignement supérieur responsable de la formation initiale des enseignants sur deux têtes ministérielles et encore moins quand elles n’ont pas le même projet politique pour l’école.
1 D’autres se présentent après avoir échoué à l’université et font le choix du métier d’enseignant par défaut.
2 Sous l’égide du ministre Marcourt.
3 Sortie du CdH, entrée du MR.
4 L’obligation s’étant transformée en de préférence…
5 Encadrement indispensable pour rendre ce temps de confrontation à la classe fructueux en retravaillant sur les difficultés que l’étudiant a rencontrées.
6 Les chefs = les directions des HE et des universités.
7 Le ministre Jeholet l’a dit publiquement.