Parmi les repères qui aident le praticien de la Pédagogie Institutionnelle à exercer son métier avec une certaine pertinence, le trépied tient une place importante.
Le trépied de la PI prend source dans les formations dispensées par les GET (Groupes d’éducation thérapeutique) fondés par Fernand Oury et Aïda Vasquez qui avaient coutume de présenter les fondements de la PI sous forme d’un tabouret dont les trois pieds étaient : T G I, soit T comme techniques, G comme Groupe et I comme Inconscient.
Les techniques de la classe sont d’abord les techniques Freinet. L’imprimerie, le journal, les métiers, les responsabilités, l’expression libre, la correspondance, les projets, le travail par groupe ou individualisé : tout ce qui permet à chaque élève de trouver un point d’ancrage à son désir d’apprendre.
Le groupe tient compte de la dimension de la classe. Travailler avec quelqu’un, obéir à un responsable, se sentir bien avec tel ou telle camarade : ces données doivent également être prises en compte, si possible comprises et analysées pour prévenir ou résoudre les conflits.
Enfin, l’inconscient se manifeste dans la classe, comme ailleurs. Le fait d’en tenir compte et de se comporter modestement par rapport à ses effets aide au maintien de la sérénité de l’ambiance de la classe, à la pérennité du désir actif de savoir chez les élèves. Il est capital de noter que plus on en connait sur les effets de l’inconscient, plus on se préoccupe du sien propre (et non de celui d’autrui, en l’occurrence des élèves, ou des collègues). L’écoute et la sensibilité conduisent en ce domaine à ne pas demeurer indifférent aux sens multiples de la parole, du décalage, de l’acte manqué, du lapsus, sans se laisser aller à l’interprétation sauvage : le recours à un groupe dans lequel on peut parler librement de sa pratique à des gens qui s’y connaissent et s’y reconnaissent est indispensable.
Ne pas s’assoir…
En 1978, la création du CEPI, Collectif des Équipes de Pédagogie Institutionnelle, s’accompagne d’une réflexion théorique approfondie et d’une transposition pratique de ces principes au sein du groupe des praticiens de cette pédagogie. Ceci conduit à l’ajout d’une modification théorique qui se traduit par le remplacement du tabouret par un TRÉPIED. Ce dernier comporte toujours les trois pieds classiques (Techniques, Groupe et Inconscient). Mais il supprime symboliquement le plateau sur lequel on pouvait s’asseoir et il relie les trois pieds par une barre transversale nommée « P » : le Politique.
Cette évolution traduit un changement dans la pratique : une véritable tentative pour traiter la question du pouvoir entre les adultes, entre les maitres. Ainsi, le collectif instaure en son sein le Conseil qui substitue au règne du Père celui des Pairs. Il s’oblige par là même à représenter sans cesse le politique sous sa forme la plus acceptable par chacun. Donc à inventer des institutions, à transposer au sein du groupe d’adultes ce que chacun tente d’instaurer dans sa classe. Cette dimension demeure fortement liée aux autres « pieds » et notamment à celui de l’inconscient. Ceci en garantit le genre : il ne s’agit jamais de la politique, mais bien toujours du politique. Comment permettre la confrontation de chacun avec le pouvoir, au sens de « pouvoir faire », et non de pouvoir sur autrui ? Comment établir des lieux de parole qui garantissent que les responsabilités soient assurées et assumées au plus près de l’adage : «
Je dis ce que je fais et je fais ce que je dis », tout en préservant absolument les refuges de l’intime, en reconnaissant et en garantissant la sphère affective privée : distinction permanente.
Mais prendre sa place
La question du pouvoir ainsi posée conduit inéluctablement chacun, maitre ou élève, à rencontrer ses limites, si souvent niées voire refoulées. Ces refus se traduisent aujourd’hui par les positions cruellement symétriques, d’une part de déni de la Loi se traduisant par des conduites ouvertement transgressives, et d’autre part l’exercice éhonté du pouvoir sur autrui qu’une certaine démocratie confuse encourage : «
Faites comme je dis et pas comme je fais ». Les limites seront diversement nommées selon l’approche : confronté à ses impuissances, frustrations, castrations, reconnaissance de finitude, chacun est placé, dans l’exercice de responsabilités inscrites et définies par l’assemblée, devant le nœud qui relie l’inconscient au pouvoir. La parole structurée en lieux et temps préservés, en démêle tant que faire se peut l’imbroglio.
Une telle position éclaire l’impossibilité de conserver le tabouret : impossible de jamais se reposer exclusivement sur les outils ou les techniques, nécessité de constante vigilance. La parole, et en particulier le Conseil, prend une place centrale. Les fondamentaux de cette méthode se déplacent vers une pratique qui intègre et interroge la place de la Loi, du Père, de la Transmission. Cette forme d’exercice du pouvoir implique en particulier, la nécessité d’être soi-même soumis à la Loi, d’assumer les rôles asymétriques de récepteur et de transmetteur de savoir et de tradition. Les fonctions étant interchangeables entre pairs, chacun s’oblige à la courtoisie et se soumet au devoir d’apporter sa pierre à l’édifice.
Ces caractéristiques de la PI sont probablement plus directement adaptées aux besoins cruciaux que la société exacerbe, tout en les rendant plus difficiles : dire son désir, se donner les moyens de le réaliser dans le respect de l’autre et du groupe. Pas de confusion cependant : une telle pratique n’est pas synonyme d’une parodie « démocratique ». Les statuts sont strictement respectés. Le maitre en tant que détenteur du savoir est responsable de la classe et conserve le dernier mot. Il ne laisse jamais s’opérer cette confiscation démagogique qui accompagne les pédagogies permissives. La Pédagogie Institutionnelle ne donne pas la parole : elle aide à construire des lieux où chacun peut la prendre et découvrir sa place, donc commencer d’en changer.