Trinité et binarité

Pour éprouver sa propre présence, pour s’éprouver comme sujet, pour être un, il faut être deux : c’est en changeant constamment de position que les interlocuteurs se font mutuellement valoir comme présents. «Je-tu» est l’espace de la coprésence l’un à l’autre des deux locuteurs. Si l’échange de «je» en «tu» et de «tu» en «je» n’existait pas, il n ‘y aurait pas d’échange de messages. L’échange des messages est un phénomène dérivé : il est une simple conséquence de cet échange premier. C’est à cet échange fondamental, garantissant leur présence, que sont intéressés les deux interlocuteurs. «Je» aime «tu», qui le lui rend bien, jusque dans la haine – voilà pourquoi l’amour est inscrit comme nécessité dans l’espace interlocutoire : j’aime celui qui me fait être présent ; l’amour, qui continue d’intéresser les humains, est l’expression même de cet échange. Mais pour que deux soient coprésents l’un à l’autre, il faut et il suffit qu’ils aient rejeté l’absence hors de leur champ. Il faut que l’espace interlocutoire de la coprésence ménage une place à l’absence. Elle y est inscrite sous la forme du «il». Je peux le dire autrement : pour être un, il faut être deux, mais quand on est deux, on est tout de suite trois. L’espace duel de la parole ne peut être compris sans la trinité. L’absence, le «il», est ce qui représente, à tous les instants, la seule perspective de l’homme. La mort de l’Homme, en tant qu’individu, est nécessaire pour que l’Homme, en tant qu’espèce, vive. Dany-Robert DUFOUR « L’institution, c’est-à-dire ce qui maintient en exercice l’institué et lui communique sa force, remplit une fonction fondamentale de frustration du désir immédiat et inconditionnel, introduit l’appareil psychique au principe de réalité, à l’ajournement des actions, au travail de la pensée, à la prise en considération des autres ». F. et F., Didier ANZIEU « Agréable ou non, bonne ou mauvaise, la relation à deux, constamment recherchée, est toujours facteur de régression. Fascination réciproque, séductions mutuelles, face à face meurtriers… Il ne suffit pas de baptiser “éducative” ou “pédagogique” une telle relation pour lui ôter sa nocivité. Le refus de ce type de relation est une des clés de la pédagogie institutionnelle. » Fernand OURY, Les mouvements de rénovation pédagogiques par eux-mêmes, p.99.

Documents joints