Rêver un changement, le penser même, cela semble vieux comme le monde. Trop souvent, dans mon petit parcours de militant, au nom de l’idéal poursuivi, on y sacrifie l’ici et maintenant du quotidien.
Dans mon métier, le risque serait de sacrifier le quotidien des cours, le quotidien des relations avec les élèves, avec les collègues, avec les parents au nom d’un idéal rêvé. Notre royaume n’est pas de ce monde, et appartient aux lendemains à venir.
C’est ce qui m’a attiré vers CGé : plutôt que de rêver au Grand Soir[1]Le Grand Soir est une notion définissant une rupture révolutionnaire, où tout est possible. Elle désigne le renversement du pouvoir précédent et l’instauration d’une société … Continue reading, non seulement on se forge des outils pour dépiauter les petites journées, mais on y invente des pratiques pour les transformer. C’est la force de notre mouvement, cela peut être aussi notre faiblesse, si les formules que nous inventons deviennent nos crédos : auto-socio-construction et méthodes actives, participation et citoyenneté, etc.
Il en va de même pour la question du plaisir d’apprendre. Ce n’est pas partout, et su-rement pas dans les hauts lieux de la didactique, que la question du désir et du plaisir d’apprendre est travaillée comme à CGé. Pour autant, plaisir et apprentissage font-ils si bon ménage ?
Ainsi, la mortification de l’école serait-elle si liée que ça au peu de place qu’on y ferait au plaisir ? Mais combien de pratiques sclérosantes font ronronner les classes, non pas parce que ceux qui les conçoivent seraient insensibles au plaisir, mais précisé-ment parce que leur modalité de plaisir face au savoir les aveugle sur les manières très diverses de faire une offre de savoir à d’autres ? Qu’est-ce qui est ici en cause : le manque de plaisir face au savoir, ou un plaisir mal placé ?
Et puis, le savoir, est-ce une partie de plaisir ? Quelle serait la valeur d’un savoir qui ne dérangerait pas, que ce soit celui qui cherche à l’élaborer ou celui qui a à l’entendre ?
Enfin, peut-on fonder un travail d’apprentissage en posant le plaisir comme une exi-gence, voire une évidence ? Alors qu’il s’agit de quelque chose d’éminemment com-plexe, ambigu, fragile, éphémère, inconscient, arbitraire, qui refuse précisément qu’on s’appuie un peu trop sur lui.
Cela a été une des conclusions fortes de l’évaluation des politiques ZEP faite par ROCHEX et son équipe (à l’époque où on se souciait un peu plus de justice sociale) : beaucoup de moyens ont été investis pour « redonner » du sens à l’école, renforcer le bienêtre des élèves et leur plaisir d’être là et, pour autant, le niveau de leurs apprentis-sages n’a, pour la plupart des établissements concernés, pas progressé significative-ment.
L’apprentissage, c’est une modalité d’entrer en relation avec le monde, de l’interroger. La seule chose qu’on puisse proposer à l’élève, c’est une relation pédagogique qui joue sur ce registre-là. À nous de tourner notre offre afin qu’elle ait un maximum de chances de vibrer pour chacun, et qu’elle fasse effet de vérité. Car, bien plus que le plaisir, c’est cet effet de vérité qui devrait être premier. Que cette offre fasse en plus plaisir, c’en est un autre. À chacun, non pas de le décider − cela ne se décide pas − mais de l’éprouver, ou pas, dans les après-coups de l’expérience.
Notes de bas de page
↑1 | Le Grand Soir est une notion définissant une rupture révolutionnaire, où tout est possible. Elle désigne le renversement du pouvoir précédent et l’instauration d’une société nouvelle. Cette notion est utilisée par la plupart des organisations révolutionnaires. |
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