Un avenir pour une charte ?

Des « Orientations d’une Charte d’avenir pour la Communauté Wallonie-Bruxelles » ont été élaborées par le gouvernement de la Communauté française. Il a soumis ce document à la critique de différentes organisations, dont la CGE. Ceci est une première.

08.1.jpg La Communauté française disposera, dans les années à venir, d’un budget croissant, selon les accords dits de la Saint Polycarpe. Et c’est probablement pour fonder la répartition de ce refinancement entre les secteurs de la Communauté française sur un consensus assez large que le gouvernement veut établir cette « charte ». Celle-ci, bien amendée, pourrait avoir d’autres vertus.

D’une part, dans un gouvernement de coalition, où les décisions sont négociées entre des partis animés par des idéologies différentes, il n’est pas mauvais que ces négociations ne soient pas de purs marchandages boutiquiers, qu’elles puissent se référer à une vision commune de l’avenir.

D’autre part, il y a des domaines où l’intérêt général se concrétise moins par les décisions centrales d’un gouvernement qu’au travers d’initiatives relativement autonomes d’acteurs de terrain. C’est le cas pour l’enseignement et la culture. Dans ces domaines, un pouvoir public peut faire deux choses : distribuer des moyens et donner des orientations que les acteurs de terrain suivront comme ils peuvent et s’ils le veulent. Un bon exemple de cette deuxième fonction, de caractère idéologique, est donné par le décret « Missions ».

Une « charte d’avenir » pourrait jouer ce rôle d’orientation pour l’ensemble des secteurs de la Communauté française. Et ainsi corriger des carences du décret « Missions » et des contradictions qui y sont liées.

Un capital idéologique à valoriser

Dès avant de savoir que le gouvernement ne voulait élaborer une charte, l’équipe politique de la CGE a décidé de réfléchir sur les priorités dans l’affectation des moyens budgétaires supplémentaires dont la Communauté disposera progressivement. Ce projet pourrait rencontrer le défi posé par les lacunes des « Orientations d’une charte… ». Différents constats et analyses, portés par des membres de la CGE et l’ensemble du mouvement pédagogique viennent étayer nos choix budgétaires.

Le décret « Missions » apportait une amélioration par rapport à la situation antérieure, où les pouvoirs publics ne reconnaissaient les missions de l’École que par bribes. Mais certains objectifs généraux énoncés dans le décret sont contredits par les messages implicites que la société ambiante adresse aux élèves. De plus, il arrive souvent qu’une activité scolaire concrète réponde bien à un objectif, mais pas ou peu aux autres. Les concepteurs de programmes et les enseignants sont donc contraints de choisir chaque jour entre ces objectifs dont le décret affirme qu’ils sont également importants. Enfin, le pouvoir public qui a adopté ce décret ne donne pas à son École les moyens organisationnels et budgétaires nécessaires pour atteindre les objectifs énoncés.[1]Jacques Cornet, Enseigner, mission impossible, Le Ligueur, 1998, n° 50, 1999, n° 1 et 2.

Selon une critique quelque peu différente, les enseignants sont sollicités pour remplir des tâches de socialisation, de formation et d’éducation qui relèvent normalement d’institutions éducatives autres que l’école : la famille et les associations volontaires. Cette pression conduit l’École à négliger sa part spécifique de ces fonctions de socialisation, de formation et d’éducation. Dans cette optique, on reproche au décret « Missions » non pas la diversité de ses objectifs généraux, mais le fait que les activités qui peuvent y conduire sont imputées à la seule École au lieu d’être réparties entre les institutions éducatives.[2]Pierre Waaub, L’école, bonne à tout faire ?, Labor, 2001.

Faire société et faire communauté

Pour le partage entre l’École et les associations volontaires, Philippe Meirieu a proposé un principe de répartition clair : à l’école de faire société, tandis que faire communauté est le rôle des associations volontaires. La société désigne ici les gens qui vivent dans un même pays ou une même localité : ensemble hétérogène par le niveau social et par les affinités culturelles. Et par communauté, on entend souvent un groupe homogène par la culture.[3]Philippe Meirieu et Marc Guiraud, L’École ou la guerre civile, Plon, 1997.

Pour devenir une référence commune, ce principe de partage demande que la distinction entre citoyenneté et militance soit, elle aussi, plus largement comprise. Etre citoyen, c’est au minimum, voter tous les quatre ou cinq ans. Et ceux qui veulent ne pas s’impliquer plus dans la chose publique en ont rigoureusement le droit. S’investir plus activement dans la délibération des choix les plus généraux des pouvoirs publics relève encore de la citoyenneté. Par contre, il vaut mieux parler de militance quand il s’agit de faire pression pour qu’un choix ponctuel ou sectoriel des pouvoirs publics s’oriente dans un sens ou dans un autre.

Et l’apprentissage de la démocratie doit être partagé : à l’école, et d’autant mieux qu’elle est hétérogène, apprendre la citoyenneté et apprendre à militer dans des associations volontaires, rassemblant des gens animés par le même intérêt pour un problème de société concret et limité.[4]Eugène Mommen, Dix équilibres pour construire la démocratie, dans Dominique Jonlet et Christian Lannoye, Apprendre la démocratie et la vivre à l’école, CGE-Labor, 1995.

Affiner notre discours et infléchir le compromis

Certes, les mouvements de jeunesse connaissent une certaine désaffection, comme les associations militantes d’adultes. Il faut donc accepter, à court terme, que l’École se substitue partiellement à eux, pour les jeunes dont l’éducation est compromise par un manque de socialisation « en communauté ». Mais ce n’est qu’un expédient.
L’orientation stratégique à promouvoir est de faire prendre en charge cette socialisation « en communauté » et l’apprentissage de la militance par des associations volontaires et les mouvements de jeunesse. En apportant à ceux-ci un soutien public adéquat qui respecte leur identité et affirme l’utilité pour la société de leur fonction, distincte de celle de l’École.

Les subventions à l’éducation permanente, pratiquée dans les associations volontaires, et aux mouvements de jeunesse constituent donc une priorité pour les inflexions à apporter à la répartition entre secteurs du budget de la Communauté française.

La CGE a déjà affirmé cette importance de l’éducation permanente dans son Manifeste. Elle l’a rappelée en interpelant les partis politiques, avant les élections de 1999.

L’argumentation pour cette priorité à l’éducation permanente et aux mouvements de jeunesse sera d’autant plus convaincante qu’elle trouvera son fondement dans un discours élaboré sur le partage des fonctions éducatives entre la famille, les associations volontaires, les médias, l’École, les autres organisateurs publics de formation. C’est dans ce sens que, à l’équipe politique de la CGE, nous réfléchissons.

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Jacques Cornet, Enseigner, mission impossible, Le Ligueur, 1998, n° 50, 1999, n° 1 et 2.
2 Pierre Waaub, L’école, bonne à tout faire ?, Labor, 2001.
3 Philippe Meirieu et Marc Guiraud, L’École ou la guerre civile, Plon, 1997.
4 Eugène Mommen, Dix équilibres pour construire la démocratie, dans Dominique Jonlet et Christian Lannoye, Apprendre la démocratie et la vivre à l’école, CGE-Labor, 1995.