Un Conseil où ça discute…, mais de quoi ? Un Conseil où ça décide… mais quoi ? Et qui surtout ? À cent, allez quoi, faut pas charrier ! Est-ce une fantaisie pour faire croire aux étudiants qu’ils ont du pouvoir ? Suffit-il de gérer un ordre du jour et un groupe pour tenir un Conseil ? Et finalement, qui gagne quoi dans cette histoire ?
Tenter Plus est un système de formation créé il y a quinze ans en vue de former autrement des régents en sciences humaines. Nous voulions travailler avec nos étudiants comme nous souhaitons qu’ils travaillent avec leurs élèves. Derrière cela, des désirs de contribuer à une école plus vivante et plus juste… Ce système est inspiré de la classe Freinet et fondé sur les institutions et l’éthique de la Pédagogie institutionnelle (PI) [1]Pour plus d’informations, il y a notamment les TRACeS de ChanGements 152 et 214.. Tenter Plus, c’est aussi une classe verticale coopérative : les étudiants de 1re, 2e et 3e travaillent régulièrement ensemble.
Le cœur de cette formation est le Conseil de Tous (CT) qui rassemble tous les étudiants et les enseignants. C’est le lieu pour prendre des décisions collectives (…). Au Conseil de Tous, tout le monde peut interpeler et entendre tout le monde. C’est là que l’on traite du système de formation dans son ensemble, que l’on examine ensemble les besoins et problèmes qui surgissent en cours d’année dans la formation, que l’on cherche à élaborer des solutions collectives et que l’on prend des décisions qui engagent toute la classe verticale. C’est donc le lieu où créer ensemble de nouvelles institutions (nouveaux temps, nouvelles règles, nouvelles responsabilités…) [2]Extrait de notre programme de formation..
Il s’agit donc de partager le pouvoir avec les étudiants. Ça ne coule pas de source. C’est une rupture pour la plupart de ces jeunes qui ont derrière eux quinze ans de scolarité où les enseignants et le système scolaire ont le plus souvent tout décidé.
Il y a quinze ans, ce Conseil se réunissait durant une heure, tous les quinze jours. Nous y étions quarante, la parole circulait bien et, malgré d’inévitables frustrations, des décisions s’y prenaient assez aisément pour ajuster notre quotidien. Aujourd’hui, la population étudiante et enseignante ayant triplé, nous sommes près de cent à (faire) vivre deux heures de Conseil, chaque mois. Mouais… Vous ne sentez pas le roussi ? Le bilan est forcément mitigé !
Un responsable enseignant s’assure que le Conseil de Tous s’organise et que chaque membre ait la possibilité de mettre un point à l’ordre du jour. Il est garant que ce Conseil se déroule dans le respect des personnes. Il a aussi à portée de main les décisions prises et celles qui restent à prendre quand un point a été différé. C’est lui qui préside le premier Conseil de l’année où il s’agit de soigner le démarrage en explicitant le sens (pourquoi un Conseil ? Pour y faire quoi ?) et en formulant des règles de départ. Il préside enfin le dernier Conseil de l’année, pour s’assurer que chaque responsabilité soit correctement clôturée afin que chacun puisse démarrer ses examens, dégagé de ses responsabilités. Les autres présidences sont prises par des étudiants.
Pour des raisons pratiques (nombre d’étudiants et de responsabilités), nous avons opté pour la construction d’un ordre du jour (OJ) par email : chaque personne qui souhaite parler de sa responsabilité ou interpeler un responsable, ou qui souhaite mettre un autre point à l’ordre du jour envoie sa demande trois jours avant le Conseil. Ceux qui interviendront sont invités à préparer leur prise de parole. Le président construit alors un OJ, en relisant aussi le procès-verbal du Conseil passé. La veille, le responsable rencontre l’étudiant pour répondre à ses questions, discuter de l’OJ et essayer d’anticiper les points qui s’annoncent délicats. Il ne s’agit pas de débattre du fond, mais de réfléchir à la méthodologie. Comment et dans quel ordre traiter cette question ? Qui a la main quand ? Comment stimuler les prises de parole ? Quel timing ? Avoir anticipé des chemins à prendre permet souvent de mieux faire face aux imprévus !
Lorsque je tenais cette responsabilité, j’anticipais certaines interventions sur le fond : quels éventuels enjeux se cachent derrière tel point et telle décision ? Pouvons-nous décider seuls ou cela convoque la haute école ? Parfois aussi, j’amenais un point en réunion d’équipe pour réfléchir avec les collègues à comment traiter ce point pour qu’il soit source d’apprentissages.
En début d’année passée, Perrine, une étudiante de 1re année, a voulu prendre la présidence du Conseil de Tous. Or, une des conditions est de s’être déjà exercé à la présidence dans d’autres lieux (Conseils de classe, projet, groupe de travail…). Perrine évoque alors des expériences de présidence hors Tenter Plus. Je décide de ne pas lui autoriser la présidence, en lui disant que cette expérience est sans doute valable, mais qu’il n’y a pas d’urgence selon moi à ce qu’elle prenne la présidence du Conseil. Je l’encourage à prendre une présidence dans des groupes plus restreints. Au Conseil suivant, Perrine réitère sa demande. Comme la fois précédente, je la questionne. Elle me signale une présidence lors d’un temps de travail à Tenter Plus. J’hésite. Qu’est-ce qui se joue pour elle ? Pour nous ? Et je finis par accepter. Dans le ça va, ça va pas de fin de Conseil, trois étudiants expriment leur mécontentement sur mes hésitations : « Si un étudiant a envie, c’est bien de le laisser ». Qu’est-ce qui m’a guidé dans ce choix ? D’abord, de préserver le président d’une trop mauvaise expérience : en CT, l’étudiant s’expose réellement. Et, de protéger le groupe : un conseil qui foire [3]Un Conseil qui foire ! Ça devrait faire l’objet d’un autre article. Rapidement, je dirais que c’est un Conseil où les étudiants ne sont pas impliqués et/ou où ça ne discute pas vraiment … Continue reading, ça n’est pas rien pour le groupe ! Par ailleurs, pourquoi vouloir bruler les étapes ? Qu’est-ce qui peut guider un étudiant à vouloir si vite présider un si grand Conseil ? Faut-il lui donner immédiatement accès à cela ?
De mon souvenir, la présidence de Perrine s’est bien passée. C’est-à-dire qu’elle a tenu son ordre du jour, son timing et le groupe. C’est intéressant comme apprentissage, mais est-ce suffisant pour tenir un Conseil ? Il y a de l’inconscient dans la classe, du sensible à traiter ou à esquiver, des prises de pouvoir subtiles, des jeux de séduction… Que faire de tout ça ? C’est le rôle du responsable et des profs présents de ne pas être dupes et d’essayer de faire avec ce qui surgit. Régulièrement, nous arrivons à ne pas laisser se dire n’importe quoi, n’importe comment, à mettre de l’exigence, à protéger un étudiant, à mettre de l’humour aussi, chacun à notre manière. Le fait d’être une dizaine de profs à chaque Conseil de Tous, c’est très confortable. Mais, peut-être y prenons-nous trop de place ? C’est là une question récurrente en PI : quand et comment intervenir en tant que responsable ?
Pendant le Conseil, il y a beaucoup d’informations qui sont échangées (horaire, évènements spéciaux, présentation des comptes…) et des décisions qui sont prises. En voici quelques exemples.
L’an passé, les profs ont injecté un temps p(l)ages blanches dans l’horaire. Il s’agit de deux heures libres. En Conseil, nous prenons du temps pour entendre les propositions (visiter une exposition, socialiser une recherche, découvrir un quartier…), décider de ce qui sera organisé (est-ce cohérent avec la formation ? Est-ce matériellement possible ? Combien d’étudiants par activité ? Qui a envie de faire quoi ?) et établir des responsabilités étudiantes pour chaque sous-groupe créé. Il y a du grain à moudre pour le président, c’est un fameux boulot et une préparation pour leur futur métier.
Tenter Plus s’est aussi doté d’une caisse commune [4]M. Thiry, « Les caisses coopératives en milieu scolaire », TRACeS de ChanGements 243. (CC) alimentée par des bénéfices que les étudiants et enseignants réalisent en organisant des évènements. Cette trésorerie est tenue par une commission composée d’étudiants et d’un enseignant. Lors du Conseil, les étudiants ou les enseignants qui organisent des sorties demandent régulièrement un financement à cette caisse et les étudiants de 3e qui font leur dernier stage à l’étranger demandent une contribution. Ces demandes sont généralement approuvées. Cette année, un collègue a proposé un travail pour que le débat autour du financement soit mieux anticipé et que nous ne décidions pas par tradition, car, derrière, se cachent les questions des inégalités sociales et scolaires, qui sont fondamentales à travailler avec de futurs enseignants.
Autre exemple : une commission d’étudiants a souhaité créer un pull pour les membres de la classe verticale. Ils sont alors venus au Conseil avec une proposition de logo dont la base était une capsule de bière et laissait présager que ça picole chez nous ! Trois enseignants ont mis leur véto en disant qu’ils ne souhaitent pas que ce soit cette image de Tenter Plus qui soit diffusée. Ça a fait débat, mais cette année, une nouvelle commission est venue avec d’autres propositions et d’autres stratégies… Bref, ça travaille !
L’occasion peut-être de dire que si Tenter Plus est un lieu de partage du pouvoir, cela ne veut pas dire que les étudiants et les profs sont égaux. Les enseignants ont la responsabilité du groupe et peuvent exercer un droit de véto.
Pendant le Conseil, les enseignants restent vigilants à ce qui se joue. Par exemple, les étudiants sont souvent tentés de voter pour régler rapidement une question. Nous insistons alors sur notre souhait de prendre un maximum de décisions par consensus. Ça ne veut pas dire que tout le monde est d’accord, mais que personne ne s’oppose à la décision prise. Cela prend évidemment plus de temps, car il s’agit d’entendre les points de vue, de formuler une proposition qui associe les idées plutôt que de les exclure.
Mais une question persiste : il est impossible d’entendre cent personnes. Certains étudiants n’osent pas non plus s’exprimer devant un si grand groupe. Des gestes issus des Indignés sont utilisés : on agite les deux mains quand on approuve ce qui est dit, on tourne les mains en moulin quand ce qui est dit est trop long… Ça permet de sentir la température d’un groupe, mais jamais d’entendre chacun. Il nous apparait indispensable qu’à côté de ce Conseil de Tous, coexistent des Conseils de classe où chacun peut plus facilement prendre part.
Notes de bas de page
↑1 | Pour plus d’informations, il y a notamment les TRACeS de ChanGements 152 et 214. |
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↑2 | Extrait de notre programme de formation. |
↑3 | Un Conseil qui foire ! Ça devrait faire l’objet d’un autre article. Rapidement, je dirais que c’est un Conseil où les étudiants ne sont pas impliqués et/ou où ça ne discute pas vraiment et/ou où le président est incapable de tenir son rôle. |
↑4 | M. Thiry, « Les caisses coopératives en milieu scolaire », TRACeS de ChanGements 243. |