Un journal de la classe

Communiquer, échanger avec les autres, n’est-ce pas la base des premiers apprentissages ? Exprimer des situations vécues à travers un journal en vue de cultiver la mémoire et de garder des traces de la vie en classe : le langage n’est-il pas une clé essentielle pour accéder au métier d’élève ? Et si ce journal constituait une voie pour y parvenir ?

«Qu’as-tu fait à l’école aujourd’hui ?» : question légitime de nombreux parents après une journée loin de leurs enfants. « J’ai joué », « J’ai mangé. », « Je ne sais pas. »… En entendant ces réponses, je me suis dit qu’un trait d’union entre l’école et la famille serait pertinent pour aider l’enfant à accéder à la mémoire et pour créer un lien famille-école. Ainsi est né, voici quelques années, le premier journal de la classe.

Le bon support

Au départ, j’en étais la seule rédactrice et j’y relatais les principaux évènements sur un blog. Face à l’assiduité de certains parents à consulter le blog et au manque d’occasions d’autres de le faire, j’ai constaté que ce journal, dont le but était de resserrer les liens avec les familles, amplifiait finalement les inégalités. Question certainement de culture de l’écrit au sein des familles. Comment dès lors rendre ce journal accessible de manière égale pour tous ?
Revenir à une version papier, simplement affichée en un seul exemplaire en classe, réduirait les écarts, notamment technologiques, pour accéder à l’information. Si tous n’avaient pas un accès aisé à internet, tous les parents passaient le matin ou le soir, dans la cour ou dans la classe, pour déposer ou reprendre leur enfant. J’ai donc varié les espaces : dans le vestiaire, à la fenêtre… Ce fut l’occasion d’observer la lecture que les parents en faisaient avec ou sans leurs enfants : finalement, j’ai constaté que l’objet de la relation se limitait souvent à trouver la photo de leur enfant sans réel intérêt pour le texte dans lequel je tentais de rendre accessibles les enjeux pédagogiques des activités proposées. Cette prédominance d’intérêt pour les illustrations a été confirmée lors d’un sondage que j’ai effectué auprès des familles.

D’un langage à l’autre

Cette seconde version du journal de la classe restant insatisfaisante à mes yeux pour nouer un véritable lien par l’écrit, j’ai tenté d’associer les enfants à la démarche d’écriture et surtout d’y relater leurs propos. Dans cette troisième version, le journal devenait une occasion de vivre des apprentissages. Lesquels ? Communiquer à propos de moments ou de vécus, garder des traces de la vie en classe et prendre conscience du temps qui passe, formuler un message en langage écrit, enrichir la langue écrite, échanger avec les destinataires du journal, prendre confiance dans la prise de parole, écouter l’autre…
Concrètement, je prépare un document vierge, avec des zones de texte et des photos qui sont distribuées en version imprimée aux enfants afin de leur permettre de réfléchir à ce qu’ils souhaitent exprimer. Ce document est ensuite projeté sur un écran devant un petit groupe, généralement une demi-classe. Commence alors un tour de parole durant lequel, d’après les photos, chacun est amené à s’exprimer, en demandant la parole, sur les évènements imagés. Les autres complètent. Les consignes sont claires au niveau de la recherche du vocabulaire : le sujet est « nous » et pas « on », la forme verbale est le passé, avec l’utilisation de mots liens « d’abord », « ensuite ». Il est demandé de respecter la chronologie et de resituer le contexte : « tel jour » de « tel mois » à « tel endroit »…
Par rapport au métier d’élève, les informations d’espace, de temps ne sont pas suffisantes. Il ne s’agit pas simplement de dire « Nous avons dessiné un bateau. » Il me semble également important de demander aux enfants de resituer les apprentissages et/ou et les acquis énoncés lors de l’activité relatée : « Nous avons appris à tracer des triangles pour représenter les voiles du voilier. », « Nous avons tracé des lignes droites et des lignes brisées.  »… Les acquis de l’apprentissage deviennent explicites pour tous.

Un journal est fait pour être lu

Une fois l’article terminé, vient la diffusion. En début d’année, les familles ont pu exprimer leur choix : recevoir le journal par mail ou en version papier. Je me rends également disponible en fin de journée auprès des parents qui éprouvent des difficultés avec le français ou la lecture afin de lire le journal avec eux, au même titre que toute autre communication. Une version reste enfin accessible dans la bibliothèque de classe pour que les enfants et les parents puissent le retrouver tout au long de l’année.
De plus en plus, je remarque que le journal fait partie de la vie de classe : les enfants sont demandeurs pour le réaliser « Mon papa sera content. » Certains parents me confient : « Mon enfant a reconnu sa phrase. » En version papier ou PDF, le journal est donc lu. Les enfants retrouvent spontanément des mots comme le « nous », mais aussi certains mots liens.
La motivation à écrire et à lire, le fait d’effectuer un retour en arrière sur les apprentissages en jeu me semblent les éléments essentiels. À travers telle ou telle activité « Nous avons appris à… »
D’ailleurs, en réalisant le journal, les enfants savent que : « On apprend à écouter les autres, à formuler des phrases, à être précis. » 