Depuis plusieurs années, le numérique envahit l’espace public et l’espace privé. Doit-on réaliser, à l’école, une prévention systématique ou une éducation au « numérique » et plus largement aux images ? Voici deux expériences d’ouverture de dialogue par rapport au numérique, menées à deux étapes clés du cursus scolaire : le cycle 5-8 et le début du secondaire[1]L’ensemble des références bibliographiques de cet article est accessible via ce lien http://goo.gl/09SlL9.
Le jeu des trois figures, destiné à un public de troisième maternelle, est une activité permettant l’enrichissement mutuel par le chevauchement des aires de jeux. Il a été mis au point par Serge Tisseron, psychiatre et psychanalyste.
Dans le cadre d’une recherche-action, nous avons déployé le jeu dans une classe de troisième maternelle d’une école en encadrement différencié. Une seconde classe servant de témoin bénéficiait d’une activité à contenu neutre de type promotion de la santé.
L’activité fut vécue en classe une fois par semaine durant 40 à 50 minutes tout au long de l’année scolaire, elle était destinée à favoriser le développement harmonieux du groupe et de chaque enfant. Le jeu permettait à l’enfant d’endosser physiquement les trois figures/rôles présents dans la majorité des programmes télévisuels : la victime, l’agresseur et le redresseur de torts.
Concrètement, les enfants vont raconter des histoires les ayant impressionnés, vues sur les écrans. Ils vont les scénariser avec leur enseignant en en identifiant les principaux acteurs et en respectant le ratio « une action = une phrase prononcée ». L’histoire ainsi construite sera ensuite jouée autant de fois qu’il y a de rôles afin que les enfants puissent tour à tour faire l’expérience émotionnelle de chacune des postures, de telle sorte qu’à la fin de l’année, l’ensemble des enfants aient eu l’occasion de proposer des histoires et de jouer à plusieurs reprises une saynète.
Le cadre de ces activités est établi par quelques courtes règles et doit être garanti par l’animateur, car ce cadre permet aux enfants de s’exprimer et de jouer dans un environnement émotionnellement sécurisant.
Nous avons testé la capacité de fluidité identitaire en début et en fin d’année dans les deux groupes. Celle-ci avait un peu plus que doublé dans le groupe pratiquant le jeu des trois figures, par contre, elle était restée relativement stable dans le groupe témoin. Les enfants du groupe « jeu » semblent moins enclins à réagir de façon « standardisée » — en petite « victime », « agresseur », ou « redresseur de torts » — et utilisent davantage de postures.
D’un point de vue qualitatif, nous avons également pu observer une diminution des interactions violentes entre les enfants, lors des jeux dans la cour de récréation, par exemple, mais également un enrichissement du scénario de ces mêmes jeux. Lors des phases de constructions des histoires, les enfants étaient également plus enclins à s’exprimer en classe, même ceux présentant des difficultés langagières.
Dans le cadre du jeu des trois figures, nous avons travaillé la narrativité lors de la récolte et de la construction des histoires. Nous avons également travaillé le jeu et la mise en scène de soi dans différentes postures que nous n’avons pas nécessairement l’habitude de prendre. Or, Bermejo Berros met en avant le jeu, la dimension corporelle, comme outil « pratique » de la construction narrative chez l’enfant, outil qui, de plus, est à sa portée. Ce à quoi Golse et Missonier ajoutent l’importance de l’identification dans le jeu comme point de départ du processus créatif.
Le « faire semblant » devient donc une des clés du développement narratif.
Enfin, les enfants ont fait l’expérience de la gestion de leurs émotions, plus seulement comme la manifestation d’un comportement instinctif ou social, mais comme la tentative d’établir « un lien avec l’autre et un lien avec soi-même » (Mellier).
Il s’agit d’un outil pédagogique destiné à permettre aux enseignants et aux éducateurs (au sens large) d’aborder l’éducation aux cyberconsommations dans leur classe et leurs autres lieux de vie. L’outil se compose d’un DVD et d’une série de fiches-outils permettant de réaliser des animations autour de diverses thématiques : la consommation d’écrans, la gestion du temps et des écrans, le respect de la vie privée, la propriété de son image, le développement de l’esprit critique, les échanges de points de vue, la découverte de la réalité technologique de « l’autre »…
L’objectif principal consiste à outiller les jeunes afin de leur permettre de prendre place et juste distance par rapport à un élément potentiellement problématique : les TIC[3]Technologies de l’information et de la communication.. Les animations ont pour objectif de favoriser le développement harmonieux des jeunes. Posant ici le postulat que l’enfant/le jeune ne sera disponible pour les apprentissages que lorsqu’il se trouvera en situation de bienêtre, il convient, dès lors, de développer une approche de développement humain durable : outiller l’esprit de l’homme à décoder des messages de plus en plus technologiquement complexes à l’aide de méthodes ancestrales. N’oublions pas que dans les premières phases de son développement, l’enfant utilise des mécanismes d’apprentissage basés principalement sur « l’essai-erreur » et l’engagement corporel.
Le modèle d’apprentissage scolaire favorise quant à lui la culture du conflit sociocognitif… Il existe donc, pour l’école, un véritable enjeu : arriver à mettre en phase la culture des savoirs empiriques, du conflit sociocognitif et celle de « l’essai — erreur » comme l’explique Depover. Les nouvelles technologies de l’information et la communication favorisent ce second mode d’apprentissage. Face à l’émergence de cette « nouvelle » forme d’apprentissage (ou plutôt de la prolongation de cette ancienne phase) et à son implantation massive dans la société, les « canons pédagogiques » envisagés par les lieux d’apprentissage se heurtent à la culture Internet distillant le message qu’en « quelques clics », nous serons capables d’aller chercher l’information dès que nous en avons besoin.
En proposant des activités présentant une dimension narrative, corporelle, intellectuelle, mais aussi et surtout centrées sur l’écoute, l’échange d’expériences et le rapport aux pairs, dans une dynamique de groupe favorable à la confrontation des points de vue, l’objectif n’est plus d’inculquer des connaissances ou des normes aux jeunes, mais de les faire émerger de leurs interactions.
Nous avons eu l’occasion de déployer le programme dans plusieurs écoles secondaires. La force de cet outil réside dans l’espace de dialogue qu’il crée. Les étudiants ont la possibilité de s’exprimer sur leur(s) consommation(s), de la/les confronter à celle(s) de leurs pairs et d’échanger sur les différentes pratiques. Lors des activités, les normes d’utilisations apparaissent très souvent comme infondées ou issues d’un imaginaire collectif non questionné. Elles font, dès lors, souvent (ou enfin) l’objet de débats entre pairs.
Les étudiants apprécient d’être entendus, aiment le fait que ce soit le débat qui conduise à l’adoption d’une norme nouvelle, que l’animateur soit un facilitateur d’échanges et non pas un « passeur de savoirs ».
Un des principaux enseignements de cette expérience réside dans la posture de l’enseignant-animateur : il accompagne la réflexion du jeune face au numérique. Le média ou l’outil n’est présent que comme activateur ou réactivateur de cette réflexion.
Or, si l’on en croit Lamine et Petit (dans Lameul et Loisy) « L’interactivité entre enseignant et étudiants et entre étudiants va dans le sens d’un apprentissage en profondeur. » Une démarche socioconstructiviste semble particulièrement adaptée à ce type d’échange autour du numérique.
L’accueil par les adultes des représentations des jeunes, sans jugement et sans volonté de les changer, mais avec l’objectif de les confronter à d’autres représentations issues du groupe classe ou du DVD, constitue un autre point fort du dispositif que les groupes ont systématiquement mis en avant.
Ce type d’approche accordant un espace dans le temps formel à l’éducation aux TIC et aux images (comme aux charges émotionnelles qu’elles véhiculent) semble n’être que bénéfique à la construction des enfants/adolescents et profitable à l’intégration sociale. Il constitue également un lieu d’échanges et un espace d’interaction entre générations.
L’école doit-elle se saisir de « l’éducation au numérique » ? Au vu des éléments que nous venons de présenter, nous pensons que oui.
Un des éléments clés consiste à accompagner le changement et non à vouloir le forcer. L’échange, le partage, l’enrichissement mutuel, l’accueil des représentations de chacun doivent être les maitres mots de toute personne souhaitant réaliser une animation sur le thème du numérique dans son groupe classe.
Il est inutile de souhaiter changer une norme établie au sein d’un groupe : adultes et jeunes n’en ont souvent pas la même perception. Mais il est fondamental de réfléchir sur les éléments et valeurs qui fondent cette norme, nous disposons là d’un espace d’échange et de dialogue.
Finalement, les différents outils utilisés dans le cadre de cette démarche ne sont que des médias permettant d’ouvrir et/ou de relancer échanges et débat.
Certes, l’outil sera plus important et plus cadrant chez les plus jeunes enfants, mais son objectif doit être de renforcer les capacités de réflexion et d’analyse. À ces conditions, le média choisi remplira son rôle d’interface entre les membres du groupe et soutiendra efficacement les émotions portées ou réveillées par une exposition aux écrans, au numérique.
Le défi que représente le numérique peut sembler nouveau aux adultes. Mais les outils pour le relever (écoute, communication, échange, partage d’expérience, etc.) sont déjà et depuis toujours en notre possession !
Notes de bas de page
↑1 | L’ensemble des références bibliographiques de cet article est accessible via ce lien http://goo.gl/09SlL9 |
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↑2 | L’outil « Ecrans@plat » a été développé par le RéZéa (Réseau d’échange en matière d’assuétudes et de bienêtre) dans la mouvance des colloques du même nom. |
↑3 | Technologies de l’information et de la communication. |