La question de la réintégration
ou de l’intégration des élèves de
l’enseignement spécial en secondaire
ordinaire ou différencié pose
question. Qui ? Quand ? Comment ?
Avec quels moyens ? Or, c’est
justement l’organe qui délivre les
avis qui refuse d’en parler. Tentative
de compréhension.
Depuis quelques années, le profil des élèves
qui arrivent en 1re différenciée a changé.
Avant, la plupart des enfants arrivaient
de l’enseignement ordinaire, ils avaient un
niveau jugé “trop petit” par leurs instituteurs
et même s’ils avaient réussi des épreuves externes,
ils venaient se “renforcer” dans une 1re accueil avant de
poursuivre leur scolarité. Ne nous voilons pas la face, ils
fréquentaient ensuite une 2e professionnelle et donc, la
filière était toute tracée. Aujourd’hui, je vois arriver dans
l’école et, donc, dans mes classes, beaucoup plus d’enfants
de l’enseignement spécial. » Une enseignante dans
une école bruxelloise qui propose une 1D le confirme :
« Dans mon établissement, ils constituent environ 50 %
des effectifs des classes de 1D. Tous arrivent avec un “avis
d’orientation” délivré par le PMS, mais leur profil est bien
différent. »
Pour en savoir plus sur la manière dont sont délivrés
ces avis d’orientation, nous avons contacté des
travailleuses d’un PMS qui nous ont redirigés vers leur
direction. Interrogée par nos soins, la direction du PMS
libre de Bruxelles 1, a refusé de répondre à nos questions
argüant que TRACeS est une revue « trop engagée
et militante. Mais si je devais écrire pour la revue du
SEGeC alors j’aurais dit oui. » Dans un autre PMS de
l’enseignement spécialisé, en Wallonie, cette fois, une
personne accepte de répondre à nos questions avant
de se rétracter, car elle n’avait « pas réalisé que ce dont
on venait de discuter pourrait faire l’objet d’une publication.
» Comment expliquer ce silence des centres PMS
autour de la question ? S’agit-il d’un mot d’ordre ? Pour
Jean-François Delsarte (membre du Cabinet de M.-
M. Schyns), c’est un sujet délicat : « Il y a surtout un
malaise du côté des centres PMS. Vu l’inexistence dans
le secondaire spécialisé du type 8, les élèves passent dans
l’enseignement ordinaire ou dans le différencié. » Et de
continuer : « Mais surtout, parfois, les PMS décident
de réorienter le jeune vers un autre type dans l’enseignement
spécial afin, tout simplement, de l’y maintenir.
Ils contournent le règlement, mais c’est pour le bien du
jeune. »
Spécial, ordinaire, différencié… Concrètement,
comment ça marche ? Lorsque les élèves de l’enseignement
spécialisé ont 12-14 ans, plusieurs orientations
sont possibles. Le jeune peut continuer ses études dans
l’enseignement spécial (sauf dans le cas du « type 8 » qui
n’existe pas en secondaire), il peut, s’il a réussi son CEB
(mais rares sont les écoles d’enseignement spécialisé qui
le proposent) rejoindre l’enseignement général et, s’il
n’a pas obtenu son CEB, rejoindre les rangs de l’enseignement
différencié. Mais ils rencontrent tous le PMS.
C’est ce dernier qui rend un avis où il précise s’il considère
l’élève « apte » ou « inapte » à suivre l’enseignement
ordinaire. Cet avis motivé n’est pas contraignant,
les parents restent responsables de l’orientation scolaire
de leur enfant. Ça, c’est pour la version officielle.
Du côté du terrain, les échos sont tout autres. D’aucuns
se demandent comment certains élèves obtiennent ces
avis positifs du PMS. L’enseignante témoigne : « Le problème
c’est que certains enfants arrivent avec des bases
de “maturité 4” c’est à dire, grosso modo, un niveau de
4e primaire. Ils sont positifs, car arriver en 1D représente
pour eux une “promotion” contrairement à tous ceux qui
ratent leur CEB et qui vivent ce passage comme une relégation.
Une catégorie d’enfants arrivent donc avec un avis
d’orientation favorable. Ils sont appliqués, studieux, ont
certaines méthodes de travail, ils étudient, s’appliquent
et sont assez suivis par les familles conscientes des difficultés
rencontrées précédemment. Un certain nombre
d’entre eux réussissent en fin de 1re le fameux CEB et rejoignent
donc une 1S. Là, commence une autre histoire… »
Jusque-là tout va bien, mais… « D’autres enfants arrivent
eux aussi avec cet avis d’orientation du PMS. En général,
notre collègue éducatrice qui procède aux inscriptions
téléphone à l’école d’où ils proviennent pour en savoir un
peu plus sur eux et leur parcours, car ce type de renseignement
reste confidentiel et le PMS ne nous les fournit pas.
Il y a donc des avis d’orientation délivrés “à l’arrachée”.
Entendez par là que certains PMS, sous l’insistance des
parents donnent ce fameux document et… c’est la catastrophe.
» L’enseignante nous parle de Delya qu’elle décrit
comme « un petit oiseau pour le chat, physiquement
on lui aurait donné 10 ans et mentalement bien moins.
Un sourire sur un joli visage, mais ne comprenant pas
grand-chose au monde qui l’entourait. » Elle a des problèmes
de langue et des problèmes relationnels. « Se
retrouver plongée dans une classe de 13 élèves remuants
avec des problèmes scolaires, cherchant les limites… Avec
suivi de notre propre PMS, il a bien fallu en fin d’année
la réorienter à nouveau vers du spécial. » Des Delya ou
d’autres jeunes tout à fait décalés, il y en a chaque année
d’après cette enseignante. De quoi se demander ce
qui est mis en place pour accueillir et travailler avec
ces jeunes qui arrivent du spécial.
L’INTÉGRATION SINON
LE NÉANT
« Le problème, c’est qu’on a
50 % des enfants qui viennent du
spécial, mais pas les moyens qui
vont avec. La logopède qu’on a
engagée temps plein est prise sur
notre NTPP. Certes, les groupes
ne sont jamais supérieurs à 13
ou 15 élèves, mais lorsque le professeur est confronté à
des problèmes qui le dépassent, il n’a personne vers qui
se tourner. Le PMS fait bien une petite fiche sur ce qu’est
la dyslexie ou dysphasie, mais après : tirez votre plan. »
En effet, de l’enseignement individualisé et soutenant
que le jeune a connu dans le spécial, il ne reste rien.
Au revoir les séances de psychomotricité, de logopédie
régulière et intensive, de l’aide d’un psychologue.
Certes, dans certains cas, des écoles secondaires ordinaires
peuvent bénéficier d’une aide supplémentaire
pour un enfant dit en « intégration ». Il faut pour cela
que le jeune soit inscrit dans une école d’enseignement
secondaire spécialisée et, qu’ensuite, un contrat soit
passé avec une école de l’enseignement ordinaire. Le
jeune y suivra son cursus scolaire, mais l’école recevra
l’aide d’un enseignant de l’école spécialisée à raison de
4 heures par semaine afin de le soutenir. Le hic c’est
qu’en ce qui concerne le type 8 (à savoir l’enseignement
spécial qui regroupe tous les « dys » : les dyslexies, dyspraxies,
dyscalculies…), il ne peut être question d’intégration
étant donné l’absence d’enseignement secondaire
de type 8.
Au cabinet de la ministre de l’enseignement obligatoire,
on explique cette situation par une réalité historique.
« Lorsque l’enseignement de type 8 a été créé, les
spécialistes voyaient les choses différemment. On pensait
à l’époque que l’on pouvait régler les problèmes d’élèves
confrontés à des troubles de l’apprentissage en 6 ans de
scolarité. Aujourd’hui, on sait que ce n’est pas suffisant.
En effet, les élèves arrivent souvent dans le type 8 à 9 ans,
lorsque l’on détecte le problème. Le retard est déjà là et
on a besoin de plus de temps pour y travailler. » Aussi,
si un enseignement de type 8 au niveau du secondaire
ne voit pas le jour avant la fin de la présente législature,
au cabinet de la ministre on affirme que l’on est favorable
à une évolution du système actuel. « Je pense qu’il
« Comment
expliquer
le silence
des centres
PMS ? »
serait intéressant d’y réfléchir par un système proche de
celui de l’intégration. Je ne suis pas favorable à un enseignement
secondaire de type 8, mais plutôt à la mise en
place d’un accompagnement qui permettrait à ces jeunes
de reprendre une place dans l’enseignement ordinaire ».
En attendant, les élèves de l’enseignement spécial,
qu’ils soient du type 8 ou d’un autre type, continueront,
lorsqu’ils rejoignent les bancs de l’école ordinaire, à
faire l’objet d’un traitement très spécial…