Un peu de cadre et beaucoup dans le décor

D’un côté, il y avait l’envie d’une formatrice
de CGé de retourner en classe, pour
accompagner un projet qui s’inspirerait de
la pédagogie institutionnelle. De l’autre, il
y a les questions et impasses d’une équipe
d’enseignants d’une classe de 5e technique
bien vivante…

Commençons par une réunion
de début janvier, regroupant les enseignants d’une classe de 5e technique
de qualification, et la formatrice précitée.
L’objectif de ladite réunion : parler la difficulté qu’ont les élèves à vivre leur passage de la 4e à la 5e. Les élèves se plaindraient que c’est trop dur en 5e, que les profs sont trop
stricts.
Les enseignants pointent les difficultés d’écoute, l’écart entre l’aisance à l’oral et les productions d’écrits, le manque d’autonomie et d’investissement dans le travail scolaire,
l’orientation subie plutôt que choisie, l’effet piégeant de se retrouver en technique dans une école où il n’y a que des professionnelles, avec parfois la croyance qu’eux « savent », puisqu’ils sont dans un établissement « facile ».

Places, images et méfiances

De fait, ils sont arrivés pour la plupart en 3e de diverses écoles. Nos collègues du second degré ont dû composer avec des élèves aux compétences, besoins et parcours hétéroclites, ce que certains élèves semblent avoir mal vécu. L’arrivée dans notre
école (regroupant une majorité de classes de professionnelle, située dans un quartier populaire, etc.) est régulièrement vécue comme un échec : « Jusqu’en 3e, j’étais intelligent et tout, et soudain, ma tête a explosé. »

En fait, c’est comme s’ils avaient une nostalgie d’une école traditionnelle qui les a pourtant exclus. On dirait aussi que beaucoup ont un rapport utilitariste à l’école : cela
sert à avoir un diplôme (le CESS bien plus qu’une qualification) et basta. Beaucoup travaillent déjà sur le côté, certains viennent en voiture…

“La (vraie) vie est déjà ailleurs…”

Apprentissages et mise au travail de soi ne semblent pas toujours prioritaires.
Du moins, ils ont un fameux besoin d’afficher un tel refus d’école, comme s’ils se tenaient (consciemment ou non) à l’oeil les uns les autres. Pire : comme s’il y avait aussi une
méfiance envers le monde scolaire lui-même, comme s’il ne servait qu’à débiter banalités ou langue de bois. La vie est loin, bien loin. Enfin, ils savent que la section dans laquelle ils se retrouvent ne leur permettra pas une place légitimée (en termes de salaire, de prestige, etc.). Puisque le destin les a amenés à devenir « animateurs », ils le seront, mais à leur manière, alors… En classe, quand on leur fait la morale, ça se calme quelques minutes et puis cela repart.

Cadreurs et ambianceurs

Cette année, la 5e est composée d’une majorité de garçons. Tout le monde parle en même temps. Quand on exige de demander la parole et d’écouter celui qui parle, cela semble être une surprise et une colère sincères : « Vous nous prenez pour des
gamins ! » L’ambiance, c’est notamment des vannes qui fusent dans tous les sens,
régulièrement adressées à l’encontre des filles. Les garçons ne semblent pas prendre conscience de la violence de leur humour, qui en bouscule visiblement plus d’une.
Plus tard, nous demanderons aux élèves, au terme d’un cours, si « cela va » aussi pour eux, l’un d’eux s’étonnera : « Mais Monsieur, est-ce utile que les profs discutent avec nous de l’ambiance de la classe ? L’ambiance, c’est nous, les élèves, qui la mettons, vous n’y êtes pour rien, vous êtes là pour donner votre cours ! » Réplique qui en dit long sur sa représentation du métier de professeur (et implicitement, de celui d’élève).
Pourtant, dans les rares moments où la parole peut se risquer à être individuelle (avec des effets parfois difficilement maitrisables), il est évident que tous ne vivent pas le cours de la même façon… Enfin, pour beaucoup, ces temps de parole collectifs, c’est encore du blabla qui ne changera rien à rien.

Des ruptures nécessaires mais impossibles?

D’un point de vue général, c’est comme si l’école ne cessait de demander à ces jeunes de changer, et qu’elle s’essuyait un refus continuel de la part de cux-ci. Nous voulons :

• qu’ils ne se contentent pas d’exécuter des tâches pour s’impliquer dans un réel travail qui exige attention et mobilisation intellectuelle,

• qu’ils aillent au-delà d’une présence formelle d’élèves pour s’impliquer subjectivement comme apprenants,

• qu’ils sortent de l’ici et maintenant du « cours après cours », pour se projeter dans une élaboration progressive des apprentissages menés,

• qu’ils utilisent l’école et les savoirs que nous leur proposons pour interroger et modifier leurs représentations du monde et leurs rapports sociaux.
Mais cette offre scolaire, qu’est-elle censée leur assurer ?
Faute de garanties, comment les aider à prendre conscience du chemin à parcourir et leur donner envie et moyens de le faire ? Comment instaurer un cadre où chacun trouverait assez de sécurité et de sens pour déverrouiller quelques fragilités, plutôt que de défendre la vitrine et sortir dès que possible d’un cadre de classe trop menaçant ou
absurde ?