À propos d’apprentissages, d’éducation, de rapport à l’école, de discipline (etc.), les idées et idéologies des uns et des autres ne viennent pas de nulle part. Elles naissent entre autres, au cœur des lieux de vie, des années d’école et/ou de travail, des positions et des conditions sociales
Une Maison de jeunes dans un quartier populaire de Bruxelles pour un public de 6 à 26 ans. Dans cette Maison de jeunes qui propose diverses activités, une École de Devoirs pour enfants et une pour adolescents. Une demande venue d’une des animatrices : « Est-ce que vous pourriez venir nous apprendre un peu de Pédagogie institutionnelle ? Ce serait pour notre organisation et pour rendre les enfants autonomes. Je vois à l’école de mon fils, comment les enfants, dès la maternelle, se débrouillent et s’y retrouvent, par exemple grâce à de petits rituels, à des éléments visuels pour reconnaitre telle ou telle activité dans l’horaire et ainsi gérer le temps. Chez nous, on commencerait par les primaires. »
Il est convenu que je rencontre l’équipe afin de faire préciser la demande, d’entendre chacun, d’établir des modalités de rythme et d’horaire.
À cette occasion, je fais la connaissance de Malik, le coordinateur. Il est un peu en retrait mais présent. Après la rencontre, il me dit en a parte : « Ici, il y a les animateurs qui sont des jeunes issus des quartiers, qui connaissent le public et il y a les universitaires. » Je ne sais trop pourquoi il me dit ça, mais je pressens qu’il y a divergences de conceptions quant à l’éducation, quant au travail à faire dans la Maison de jeunes. Il me semble aussi que les « universitaires », trois jeunes femmes qui ont fait « psychopéda » et/ou suivi des formations en systémique ou autre, agacent un peu Malik. Ce sont elles qui ont fait la demande de PI pour l’école des devoirs.
Nous nous embarquons pendant deux séances de 2 h 30 pour l’élaboration d’une organisation de l’École des devoirs. Un premier débat semble révéler déjà des différences entre les deux groupes évoqués par Malik.
Les « universitaires », Muriel, Audrey et Pascale, trouvent qu’il ne faut pas demander le journal de classe aux enfants pour vérifier s’ils ont des devoirs. Il faut leur faire confiance. S’ils préfèrent aller jouer, il faut les laisser aller jouer parce qu’ils travaillent déjà assez à l’école. Ils doivent décider s’ils travaillent aux devoirs et à quel moment ils se sentent prêts pour le faire. Les animateurs proches du quartier et/ou plutôt socioculturels, Soufiane, Raphaël, Aziz et Hassan trouvent, eux, qu’il faut demander le journal de classe, l’exiger même, et pousser les enfants au travail, parce que « sinon, ils vont se faire larguer… Si nous on ne les fait pas travailler, qui le fera ? Jouer, ils peuvent le faire plus tard… »
Le coordinateur appuie fortement. Le débat est assez long. On finit par trouver un compromis : dialoguer avec les enfants autour du journal et du temps que chacun décide de prendre pour jeux et devoirs.
En fin de séance, le coordinateur, Malik me fait remarquer : « Tu as entendu… Ce qu’elles disent, c’est pour un type d’enfants. Elles ne connaissent pas le public ici… Et dire : “Oh les pauvres, ils travaillent trop…” C’est pas bon. »
À la troisième rencontre, Malik, le coordinateur est absent. Il a oublié ce moment. Les animateurs sont décontenancés et furieux parce qu’au cours de la semaine écoulée, Samir, un « superviseur » est venu discuter avec Malik. Il a remis en question l‘organisation de l’école des devoirs, construite en partie lors de notre séance précédente et il a imposé des responsabilités à prendre par chacun, pour les diverses activités de la maison, en voyant les animateurs un par un.
Devant le mécontentement et le désarroi plus ou moins forts chez les animateurs, je revois mon organisation de cette séance et écoute d’abord longuement. Quand il s’agit d’attaques du coordinateur, je refuse : pas en son absence… plutôt chercher ensemble que dire à qui et en quel lieu. J’entends là que le coordinateur, quelque peu affaibli peut-être par les façons de voir et les exigences de ses animateurs, a fait appel à un copain qui, là, se présente comme superviseur et semble avoir l’habitude de venir parfois faire la loi. Il ne fait pas partie du CA, mais le CA semble être au courant.
Que fais-je là avec la pédagogie institutionnelle et ses exigences de clarté, de fonctions, de coopération, de lieux institués ? Qui au juste demande quoi ? Qui a demandé quoi à qui ? Quel serait le conflit latent ? (Idéologique ? Institutionnel ?) Que veulent dire ici autonomie et organisation et équipe ?… pas seulement pour les enfants. Les dictats ont-ils leur raison d’être ? (Comme pour les devoirs des enfants quand ils sont imposés par certains).
Quatrième séance. Les plaintes et malaises étant dits, même si pas totalement éteints, une demande porte sur des façons de faire Conseil avec des jeunes de tranches d’âges différentes. Nous travaillons autour de conditions nécessaires pour qu’un Conseil puisse fonctionner, autour de modalités pratiques, autour de l’éthique qui supporte cette pratique. Des décisions se prennent quant à la tenue d’un Conseil chez les plus jeunes et d’un autre avec les grands ados.
Avant la 5e séance, je contacte le coordinateur pour un changement d’horaire. Il me parle assez longuement des « difficultés de travailler avec ces personnes (les “universitaires”) qui font de la masturbation intellectuelle, qui demandent 36 réunions pour réfléchir, mais n’agissent pas beaucoup et entre autres n’ont pas encore institué les Conseils dont nous avions parlé. Avec notre public c’est de l’action qui est nécessaire. Il faut proposer des activités à ces jeunes. »
Ce qu’il demanderait aussi pour la prochaine séance, c’est de revoir la façon de faire l’école des devoirs : « Des animateurs attendent que les enfants viennent travailler ! (ils jouent en bas) Attendre sans rien faire, ce n’est pas sérieux. Même s’ils n’ont pas de devoirs moi je souhaite qu’on leur propose des exercices, de l’entrainement ou qu’on regarde s’ils ont tout compris. »