Ce projet prend naissance lorsque la « Maison internationale de la Poésie » nous envoie une invitation à participer à l’opération « Les tambours de la Paix » qui se déroule depuis quelques années le 21 mars. En conseil d’école (petite école rurale d’une classe maternelle et deux classes primaires), les enfants et les enseignants décident de participer à cette opération.
Trois propositions sont retenues : la voie des eaux avec la « bouteille » à la mer ; la voie des airs, avec un lâcher de ballons et la voie des ondes avec les tambours et la communication via la télé communautaire.
Avec les maîtres spéciaux, une réflexion est menée en grand groupe sur le thème de la paix. Chacun apporte sa vision, son vécu personnel à partir de la question : Quand tu entends le mot « paix », qu’est-ce que cela évoque pour toi ? À quoi cela te fait-il penser ? Toutes les idées sont consignées sur un journal mural sur lequel les enfants viennent écrire leur(s) mot(s), une idée en faisant surgir d’autres. Ce journal est la mémoire collective pour la suite du travail et sert de base pour rédiger, collectivement, en 4e, 5e et 6e années, notre « Recette de la paix » comprenant les ingrédients, leurs quantités respectives et la marche à suivre. Les plus jeunes se concentrent sur une production poétique à partir du même « matériel » syntaxique.
Notre « bouteille à la mer » prend finalement la forme d’un bateau à fond plat comme ceux utilisés jadis sur nos rivières pour transporter des marchandises ou des personnes. Il est construit par les plus grands (4,5, 6) à partir d’un plan que je leur avais imaginé, la consigne étant ; « Le bateau doit être 4 fois plus grand que les mesures du plan » (travail d’échelle).
Il faut aussi résoudre les problèmes de flottaison : Si notre bateau se remplit d’eau que va-t-il se passer ? Du fer, c’est lourd et pourtant les bateaux en métal flottent… Mais s’ils se remplissent d’eau ? Diverses expériences sont réalisées sur le principe d’Archimède et nous amènent à la conclusion qu’il faut remplir le ventre de notre bateau d’un matériau plus léger que l’eau. Nous avons choisi la frigolite.
De plus, notre messager comprend une cale renfermant une bouteille à messages avec le début de l’histoire de notre bateau que nous avons décidé ensemble d’appeler le « Peace and Love » : Mon histoire commença un jour, dans le petit village de Chavanne-Harsin, situé sur la Wamme, entre Famenne et Ardenne, dans une petite école. C’est là que je vis le jour pour la première fois… etc.
Notre bouteille renferme aussi les messages personnels des enfants et un message demandant à toute personne qui trouverait notre embarcation, de la porter à l’école la plus proche. Nous demandons à celle-ci de continuer l’histoire, remettre le bateau à l’eau pour pouvoir continuer la chaîne hypothétique et nous prévenir de ces faits. Les messages sont rédigés suivant la consigne suivante : Qu’as-tu envie de dire, en pensant au mot « paix », à ceux qui trouveront notre bateau ? Les plus grands rédigent leurs messages de façon autonome, les plus jeunes aidés par l’enseignant ou parrainés par les plus grands.
En classe de 4e, 5e et 6e années, nous avons déjà pu envisager sur carte le trajet possible de notre rafiot (calcul estimatif de la distance maximale, et s’il allait jusque Namur ? Et jusqu’à la mer ?).
Nous avons aussi effectué des mesures de la vitesse du courant de la Wamme et des estimations de la durée du trajet, si la vitesse de notre barque était constante, en chronométrant le temps mis par des bouchons sur une longueur de 100m. Il a fallu calculer une moyenne. Nous avons donc pu nous poser des questions du style : Combien de temps pour arriver à la mer ? Sur combien de cours d’eau différents notre rafiot va-t-il naviguer ?…
Pour la voie des airs, tous les enfants de l’école ont préparé chacun un message personnel à accrocher à un ballon avec ses nom et adresse. Ici aussi la consigne était : En pensant au mot « Paix », qu’as-tu envie de dire à celui ou celle qui trouvera ton ballon ? Les enfants de maternelle ont utilisé le dessin et quelques mots écrits par l’institutrice.
Le 21 mars, sous l’objectif du caméraman de la TV communautaire, nous avons tous lâché les ballons puis largué le bateau sur la Wamme proche de l’école en lui souhaitant en chanson : « Au revoir, bon voyage petit bateau… ». Enfin, nous avons battu les tambours, en même temps que des milliers d’autres enfants à travers la Belgique et ailleurs dans le monde, et nous avons lu nos poésies et notre recette de la Paix, à partager sans modération, avec les quelques parents qui avaient pu se libérer ce jour-là, pour venir participer avec nous à cette opération.
Du côté des ballons, l’attente n’est pas longue pour avoir les premières réactions. Quelques jours plus tard, des cartes nous reviennent et nous pouvons suivre sur la carte l’évolution des ballons et constater les caprices du vent. « Pourquoi les ballons ont-ils subitement changé de direction ? »
Puis c’est un long silence qui dure 10 mois. Enfin, nous recevons un beau jour, un message auquel nous ne croyions plus. L’école de Villers-sur-Lesse avait recueilli notre bateau ! Quel trajet !
Rendez-vous est pris pour nous rendre avec tous les enfants de primaire, à vélo, jusque chez nos correspondants du hasard pour entendre de vive voix l’épopée de notre rafiot, échanger quelques cadeaux et partager le casse-croûte de midi ensemble. Les petits de maternelle étaient, eux, venus nous rejoindre en voiture.
Depuis, c’est à nouveau le silence… mais chacun sait que quelque part notre Peace and Love vogue ou attend, échoué, que le hasard le ramène vers une autre école pour continuer son histoire.
Travailler de cette façon, en groupe vertical, tisse d’autres liens entre les enfants d’âges différents, crée des solidarités entre plus jeunes et plus âgés, donne lieu à des parrainages entre les enfants, permet à des enfants plus éveillés de s’intéresser à des notions plus élaborées, instaure la coopération pour mener à bien un projet commun.
La petite école c’est aussi une structure plus familiale, une dimension plus humaine qui permet de réunir des conseils d’école en grand groupe où tout le monde peut encore s’exprimer sans devoir « déléguer » quelqu’un. D’autre part, une telle façon de fonctionner oblige l’enseignant à laisser plus d’autonomie aux enfants. Quand je m’occupe d’un groupe, souvent des plus jeunes, au début, les autres doivent se prendre en charge. Les enfants deviennent donc par la force des choses, plus indépendants, mais aussi plus solidaires. Évidemment, nous n’avons jamais le temps de nous asseoir, c’est le marathon quotidien et nous vivons comme partout des moments de tension. Malgré cela, je serais vraiment peiné si je devais quitter la petite école.
Je me souviens m’être rendu un jour que nous étions en classe de ville à Bruxelles, dans une de ces écoles où des centaines d’élèves de primaire passaient leur temps de midi avec un seul surveillant. Ce dernier dut me renvoyer mes élèves en larmes traumatisés par la violence ambiante. La seule réponse du surveillant fut de dire à nos petits campagnards que là, c’était la loi de la jungle, qu’il fallait apprendre à se défendre… seul ! Nos élèves jurèrent les grands dieux de ne jamais plus mettre les pieds dans une telle école ! Moi aussi, je suis de ceux qui croient encore en l’avenir des petites structures qui ont encore une échelle humaine.