Une concertation en maternelle

Dans notre école fondamentale, nous sommes quatre enseignants maternelle.

04-11.jpg Dominic, instituteur paternel, est absent ce jour-là. Marie-Luce, Muriel et moi sommes présentes. Nous travaillons tous dans des groupes verticaux de plus ou moins vingt-et-un enfants : trois enfants en accueil, six enfants en 1re maternelle, six enfants en 2e maternelle, et six en 3e maternelle.

Les matinées se déroulent autour de différents projets et en classe-ateliers. L’après-midi, nous profitons de la sieste des petits pour faire des activités spécifiques pour les 2e et 3e maternelles.

La concertation est animée une semaine sur deux par Alain, directeur et l’autre semaine, par moi, institutrice maternelle. Cette semaine, Alain ne sera pas présent, néanmoins nous avons besoin de lui pour le débat de fond qui suivra… Donc, Alain participera quand ce point sera abordé. Catherine, surveillante éducatrice, et Colette, puéricultrice, responsable de la sieste, participent à notre concertation en alternance.

Voici l’ordre du jour de ce mercredi (défini comme chaque fois en début de séance) :

  1. L’organisation de la sieste (avec la participation de Catherine).
  2. Un enfant dont on veut parler : « Steven ».
  3. Une demande d’un parent qui désire que son fils Basile ne participe pas à la sieste.

La sieste des parents

Alain nous rejoint pour le troisième point de l’ordre du jour. Les parents de Basile nous demandent d’assouplir notre règlement-sieste pour qu’il puisse rester en classe deux semaines avant son anniversaire de quatre ans et ainsi échapper à la sieste prévue, elle, jusqu’à quatre ans. Il faut dire que trois mois plus tôt, les parents étaient venus demander à Dominic, son titulaire, si Basile pouvait ne pas venir à la sieste, car il avait du mal à s’endormir le soir, après une bonne sieste qui, pour Basile, se passait sans problème, il s’endormait rapidement vers 13 heures et se réveillait deux heures plus tard, en pleine forme. Dominic nous en avait parlé en concertation, ne sachant pas comment réagir et avait peur que cette demande en appelle d’autres. Nous avions décidé de ne pas répondre positivement à cette demande. J’avais été mandaté pour leur exprimer notre décision. Le papa avait assez mal réagi en répondant : « Donc vous ne m’offrez pas d’autre alternative que de garder mon enfant à la maison les après-midis ! » – « Si vous le prenez comme ça, c’est très bien », avais-je répondu, mettant fin ainsi à notre rencontre. Et Basile n’est plus venu à l’école les après-midi.

Sans peur ni honte nous exposons chacune nos questions. Que cache cette demande ? Quel est son enjeu ? Pourquoi ces parents ne font-ils pas confiance au système mis en place dans notre école ? Auraient- ils peur que leur enfant rate des choses intéressantes en classe ?

Leur question en suscite bien d’autres chez nous…

La sieste comme nous l’avons conçue n’est pas une voie de garage. Celle-ci fonctionne bien et elle répond aux besoins des enfants : l’enfant se repose une demi-heure sur un lit et s’il ne dort pas, il peut aller jouer dans une autre pièce. Des coins jeux (pas moins intéressants que ce qu’il vivrait en classe) ont été aménagés à cet effet dans un local que nous avons baptisé « Coin cocoon ».

Notre cadre est clair : les enfants de 1re maternelle sont pris en charge à la sieste (ou au Coin cocoon s’ils ne dorment pas) jusqu’à leurs quatre ans et ensuite ils passent l’après-midi en classe. Nous n’avons pas envie de créer de précédent (pour une fois que nous avons la grande chance d’avoir deux personnes pour encadrer ce groupe d’âge…)

Ils veulent tous son bien

Nous n’avons pas les mêmes points de vue : nous les enseignantes, nous voulons de la cohérence concernant les enfants du même groupe d’âge, nous voulons des balises claires qui n’ouvrent pas à la discussion systématique des contraintes. Le directeur, lui, aimerait que chaque enfant puisse vivre sa scolarité à son rythme avec des rites de passage plutôt que de tenir compte du critère de l’âge, absurde et parfois incohérent, pour organiser des groupes d’enfants. Les parents, eux, d’après nous, ne voient que l’avancement de leur enfant pour qu’il soit mieux préparé pour son avenir, un plan de carrière qui se prépare dès la maternelle…

Pourtant, il faut encore argumenter afin qu’Alain, le directeur, puisse mieux nous comprendre… Nous sommes toutes les trois convaincues de ce que nous défendons.

Par ailleurs, je me demande ce que l’enfant doit ressentir de cette tension ? Et dire qu’il y a peu, il dormait paisiblement à la sieste…

Au fait qui va lui parler ? Est-ce Dominic qui n’a pas demandé de polémiquer sur ce sujet ou les parents excédés par leur sentiment d’impuissance ? Basile pourra-t-il encore faire confiance à ces adultes qui veulent TOUS son bien ?

Pourra-t-il encore s’investir à l’école avec des yeux d’enfants ou devra-t-il rendre des comptes à ses parents trop inquiets ?

Notre débat n’est pas fini, mais il est l’heure, la concertation est finie. Il n’y a pas de prise de décision, car Dominic est absent et nous avons besoin de prendre du recul par rapport au fond…

J’ai le sentiment que les trois points de vues (enseignants, direction, parents) sont défendables dans l’absolu, tout dépend du photographe.

Nous nous retrouverons dans quelques jours.