D’après les propos de Myriam JARDON recueillis par Noëlle DE SMET
Une école d’enseignement secondaire qualifiant à Bruxelles Centre. Des sections techniques et professionnelles : habillement, esthétique, arts appliqués, coiffure.
« Dans cette école, les élèves sont mis au maximum en situation réelle », dit Mme JARDON, chef d’atelier. À ma demande de récits de pratiques où il s’agit, pour construire des apprentissages, de partir des élèves, elle me signale que les classes des 2e et 3e degrés ont déjà entamé des projets longs, où il s’agit tout le temps de partir des élèves. Il y a matière pour faire une saga ! Lesdits projets sont lancés…
L’école s’est inscrite dans le cadre d’Anim’action, programme proposé et soutenu par la Commission communautaire française, dont l’objectif principal est de soutenir des partenariats entre les écoles et les structures socioculturelles, afin de donner accès aux élèves à la culture artistique, non seulement comme spectateurs, mais aussi comme producteurs. Les élèves des différentes sections peuvent ainsi entrer en contact avec d’autres mondes que ceux dont ils ont l’habitude. Ils découvrent les métiers déployés dans le monde des arts et, peut-être aussi, se découvrent du gout pour ces secteurs qu’ils pressentaient réservés à d’autres.
[1]Haut lieu d’opéra, de musique et de danse, situé dans le centre de Bruxelles, la Monnaie développe aussi un volet social et éducatif pour ne plus laisser tout cet art aux seuls privilégiés.
L’école choisit de travailler en collaboration avec la Monnaie, lieu prestigieux et multiple. D’une part, elle est concernée par le thèmes de la tolérance et de l’intolérance, choisi comme fil rouge pour les spectacles de cette saison. « C’est inscrire la Monnaie dans les débats qui nous entourent », écrit dans les programmes, Peter DE CALUWE, le directeur. « Ce que l’opéra et la littérature nous enseignent, c’est que, de tout temps, cette dialectique a été présente dans l’histoire des hommes et il est étonnant de voir combien le répertoire lyrique est un réservoir d’œuvres en écho avec cette thématique. »[2]« La religion comme prétexte de la haine dans Nabucco, une société qui rejette tellement le différent qu’elle le pousse à se suicider dans Kàt’a Kabanova, une tolérance qui devient … Continue reading
D’autre part, ce qui intéresse aussi l’école, c’est la rencontre possible avec l’opéra, « une forme artistique multidisciplinaire qui croise presque toutes les formes d’art et permet aux jeunes de choisir les portes d’accès qui leur parlent le plus, de la plus intellectuelle à la plus concrète. »[3]Extrait du site de la Monnaie, rubrique Association École-Opéra. Dans cette école-ci, la porte d’entrée sera le thème de la tolérance et, en même temps, les aptitudes professionnelles en lien avec les futurs métiers proposés. Les élèves seront en contact avec les ateliers des costumières, maquilleuses, perruquières, menuisiers. Ils iront voir un opéra. Ce qu’ils tireront des animations avec les professionnels de la Monnaie pourra les inspirer pour concevoir leur propre spectacle de fin d’année sur le thème tolérance/intolérance.
Dans ce cadre artistique, social et pédagogique, les élèves vont inventer et le « partir d’eux » sera surtout un contenu et des inventions qui pourront émerger de ce qui leur est proposé comme portes. « C’est la matière première apportée par les élèves qui deviendra matière finie », dit Mme JARDON.
Mr ZERRARI, professeur de français, explique les pistes de travail entamées avec les sections arts, coiffure et habillement regroupées. Après un brainstorming sur le mot « tolérance », les élèves ont écrit des définitions du mot. Ayant choisi, comme essentiel de la tolérance, l’acceptation des différences, ils ont trouvé qu’il fallait y mettre un ordre, en faire une pyramide, pour distinguer le plus visible et le moins visible, le moins et le plus discutable, allant ainsi, en sept étapes, du physique aux gouts, aux opinions, en passant par les classes sociales, les attitudes, etc. Leur professeur leur a proposé, pour comparaison, la pyramide des besoins de MASLOW. Ils ont aussi commencé à évoquer les limites : « Faut-il, peut-on tout accepter ? »
Ensuite, ils ont cherché chacun un fait d’actualité qui illustre leur travail précédent, lu un texte poétique interrogeant le tolérable et l’intolérant. Ils ont ensuite observé les caractéristiques de textes poétiques et composé à leur tour un texte de ce type, sur base de leur fait d’actualité et des autres apports déjà rassemblés.
Ces élèves auront aussi l’occasion de percevoir une situation d’intolérance, via un jeu de rôle lors d’un atelier Carrefour du monde avec Oxfam. Les élèves en décoration verront le film La Vague et débattront du conformisme, des régimes totalitaires, de l’expérience de MILGRAM avec quelqu’un de la Ligue des droits de l’homme. Ils verront aussi le film Illégal et débattront à propos des expulsions et des centres fermés pour demandeurs d’asile. Tout ce que Mr ZERRARI fait avec les élèves sert à rassembler ce qu’eux-mêmes connaissent et apportent, à nourrir leur imaginaire et leurs représentations pour qu’ils puissent déboucher sur des productions à eux et fournir du matériau pour le spectacle de toute l’école.
Les élèves de 5e et 6e arts et habillement ont écrit sur le mode du portrait chinois : Si la tolérance était une texture, un fruit, un accessoire… Mme ÉLEGANT, professeur de français, les incite ainsi à aller voir ailleurs que dans le rationnel, en utilisant des images proches de leur familier. Ils ont aussi reçu un portefeuille de documents à partir desquels ils ont mené des débats. Volontairement, le professeur a varié les supports. Des images fortes : publicités provocantes de TOSCANI[4]Oliviero TOSCANI, né à Milan en 42, photographe italien, mondialement connu pour avoir imaginé des campagnes publicitaires sur des affiches particulièrement controversées, pour des marques de … Continue reading, peintures de BOTERO[5]Fernando BOTERO ANGULO, né le 19 avril 1932 à Medellín, est un peintre et sculpteur colombien réputé pour ses personnages aux formes rondes et voluptueuses., pour faire vivre les répulsions, impulsions et pour faire émerger le fait que devenir tolérant demande de faire un travail sur soi et un cheminement intellectuel. Des textes : des articles à propos d’homosexualité, de cotas basés sur l’origine ou la religion, des idées de John LOCKE, telles ses assimilations du mot « tolérance » à d’autres mots comme « indifférence, soumission, indulgence, permissivité, respect » et aussi des réflexions à ce sujet, comme la déclaration sur le principe de tolérance de l’UNESCO, une chanson d’Hughes AUFRAY et enfin des citations. Les élèves avaient à en choisir une et à la commenter par écrit. Elle a remarqué que les élèves, eux-mêmes confrontés à des stigmatisations, stéréotypes et autres à priori, étaient très intéressés.
Avec Mme G. H., styliste, les élèves de 6e technique habillement apprennent à aller chercher l’inspiration, car elle ne tombe pas du ciel. Côté intellectuel, ils ont déjà cherché avec leur professeur de français. Côté plus « physique », ils ont participé à un atelier « mouvement et voix » à la Monnaie… Ils ne sont que peu enthousiastes quand ils en parlent. « Sans doute parce qu’ils sont des artistes de l’image qui n’aiment pas se mettre en scène. Ils préfèrent travailler avec les matières plutôt qu’avec le corps. », dit Mme G. H. Cependant, d’après elle, leurs compositions à propos de tolérance/intolérance, réalisées sur un diptyque, ne fait pas dans les clichés. Elle pense qu’ils ont tiré des fruits de cet atelier malgré tout, de même que de la visite au Musée Bellevue où leur ont été montrés des pans d’intolérance dans l’histoire de Belgique.
« Ici, dit encore Mme G. H., on considère le vêtement comme une œuvre d’art et j’essaie donc de faire entrer les élèves dans un processus créatif, ce qui demande de chercher, de laisser macérer… » Elle fait parler une élève à propos de son diptyque. Il est composé autour du « dérangement ». À partir de là, elle pourrait créer un vêtement d’où émane un côté dérangeant. Pour leurs créations, les élèves, une fois qu’ils ont trouvé l’inspiration, fabriquent une fiche technique décrivant la façon dont le vêtement doit être confectionné. Cette fiche est donnée aux élèves de professionnelle qui eux le confectionnent. Il y a émulation entre les deux filières. Pour les élèves de professionnelle, l’idée de créer les interpelle alors et ils commencent à se penser autrement qu’en terme de simples confectionneurs…
L’idée d’imaginer une approche de l’opéra avec sa thématique pour cette année, de se mettre dans les pas de la Monnaie et de tous ses métiers ne vient pas des élèves, ne part pas d’eux… Mais non ! Là où les enseignants et les responsables de l’école « partent d’eux », c’est sur base à la fois d’une distance et d’une proximité.
D’une distance à partir de laquelle un regard en recul est posé sur les jeunes, d’une distance à partir de laquelle se met en route un désir pour les équipes partenaires qui travaillent avec ces jeunes : les lancer vers un horizon, le plus au loin possible pour qu’ils aient de quoi marcher vers, de quoi se mettre du résistant sous la dent, de l’envie dans la tête et les mains. Une distance d’où leur faire des propositions, en croyant à leurs possibles, entre autres parce qu’au loin se trouve ou se cache aussi quelque chose d’eux, à leur insu.
Des possibles qui le seront s’il y a proximité de la part des adultes. C’est là que les enseignants, dans les différentes disciplines, proposent des supports, suscitent la pensée, accompagnent l’expression, la recherche, l’invention et les réalisations. Ils partent donc avec les élèves d’un ailleurs-cadeau ET d’un ici dans lequel ceux-ci peuvent prendre place et s’approprier de l’inconnu.
« Un théâtre n’est pas le lieu où nous allons retrouver ce que nous savons ou connaissons »[6]MuntMonnaieMagazine, sept/déc 2010., une école non plus ! Ce mélange subtil où se marient la reconnaissance des vécus et savoirs des élèves ET la distinction de ce qui est autre, neuf, spécifique d’un rôle d’école et de lieu culturel, c’est là me semble-t-il un « partir d’eux » qui ne soit pas démagogue, mais puisse se faire prologue. À condition de baliser et d’éclairer des chemins.
Notes de bas de page
↑1 | Haut lieu d’opéra, de musique et de danse, situé dans le centre de Bruxelles, la Monnaie développe aussi un volet social et éducatif pour ne plus laisser tout cet art aux seuls privilégiés. |
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↑2 | « La religion comme prétexte de la haine dans Nabucco, une société qui rejette tellement le différent qu’elle le pousse à se suicider dans Kàt’a Kabanova, une tolérance qui devient indifférence dans La Bohème, de la compassion comme belle forme de la tolérance dans Parsifal, du pardon comme la plus haute forme de tolérance dans La Finta Giardiniera, de la situation des immigrés dans le monde occidental dans Intollerenza 1960… ». Extrait du guide De Munt-La Monnaie, 2010-2011. Voir aussi le site de la Monnaie, entre autres pour les programmes intéressant aussi les écoles : www.lamonnaie.be. |
↑3 | Extrait du site de la Monnaie, rubrique Association École-Opéra. |
↑4 | Oliviero TOSCANI, né à Milan en 42, photographe italien, mondialement connu pour avoir imaginé des campagnes publicitaires sur des affiches particulièrement controversées, pour des marques de vêtements italiennes : un homme mourant du SIDA allongé dans un lit d’hôpital et entouré de ses proches, des homosexuels qui s’embrassent, une jeune femme anorexique nue au corps squelettique… |
↑5 | Fernando BOTERO ANGULO, né le 19 avril 1932 à Medellín, est un peintre et sculpteur colombien réputé pour ses personnages aux formes rondes et voluptueuses. |
↑6 | MuntMonnaieMagazine, sept/déc 2010. |