Dans la foulée de Fernand OURY qui disait « Ne restez pas seuls », les praticiens de Pédagogie Institutionnelle (PI)[1]Les Nº 152 et 153 d’Échec à l’Échec rendent compte des pratiques et de l’éthique de la PI initiée par Fernand OURY dès les années 50, du 20e siècle. se donnent l’occasion de se rassembler en « Équipes de Pédagogie Institutionnelle » ou ÉPI…
Une ÉPI donc ou Un Épi si l’on prend avec soi la métaphore.
Chaque ÉPI se donne ses modalités de fonctionnement, mais ce qui revient dans chacun, c’est la régularité des rendez-vous, le cadre sécurisant, l’écriture de pratiques et des questionnements qui les entourent, les rebonds des uns et des autres dans le groupe.
Avec le tout, on « mouline » de façon à faire dans le fin… À regarder finement ce qu’on fait, pourquoi, comment… Entre autres, pour ne pas nuire.
Geneviève a apporté un texte ce soir-là. Jean y a rebondi.
Dans ma classe de 1èreB, les responsabilités se prennent pour un mois. Je constate régulièrement des manquements dans la prise en charge de ces responsabilités. En effet, ce mois-ci, Laura n’arrose pas les plantes qui se dessèchent, Morgane et Vanina n’effacent pas le tableau si je ne le demande pas (ce lundi, j’ai donné un contrôle d’edm pour lequel certaines indications étaient toujours au tableau depuis vendredi !), Jérémy laisse les lumières allumées et Larry oublie le carnet de présence en classe.
Comment faire entendre aux élèves que prendre une responsabilité, ce n’est pas seulement réaliser la tâche lorsque le prof le demande, mais bien y penser, gérer ; bref, être responsable ?
Avant, je disais, rappelais et grondais. Oui, mais si je dis, rappelle et gronde, quel espace ont-ils pour prendre cette responsabilité ?
Je décide donc de mordre sur ma langue et d’attendre le lieu ad hoc pour dire : le conseil. Il a lieu le vendredi tous les quinze jours. Je pourrai dire, lors du tour des responsabilités.
Je dois donc attendre… Et ça m’énerve !
Ça m’énerve à un tel point que je m’interroge : je suis en rage à l’intérieur de moi-même. Je prends alors conscience de combien une partie de moi aime contrôler, vérifier, constater les manquements et « engueuler ». C’est cette partie-là, frustrée, qui s’énerve, elle crise. Elle veut garder le pouvoir sur les élèves. J’ai du mal à la reconnaitre, cette partie de moi : elle n’est pas jolie. Est-il possible que constater un manquement (responsabilité non assumée, comportement inadéquat, devoir non fait) et « engueuler » l’élève me procure une jouissance ? Je dois bien reconnaitre que oui. Et ce n’est pas joli.
Je sens que c’est comme le pendant à mon côté « sauveur », comme l’envers de la médaille.
Et finalement mieux vaut le savoir, peut-être pourrai-je faire du chemin à partir de là. Si je ne vois pas ce que j’agis dans la relation pédagogique, je reste dans la « folie » où je ne comprends rien. Bienvenue donc, à cette prise de conscience, même douloureuse.
Je décide donc de la laisser crisser, cette partie. Elle a eu le beau rôle pendant trop longtemps.
Et je sens que je devrai soigner la forme de mes interventions de vendredi. En effet, ce « contrôleur » pourrait bien avoir envie de se venger d’avoir été mis de côté. Je ne lui donnerai pas ce pouvoir.
Aujourd’hui, Geneviève nous livre un texte sur la responsabilité. Oui ! Au début seulement. Mais non en réalité. Il s’agit d’un texte plus fondamental sur le rapport au pouvoir dans une relation professionnelle. Sur cette question du pouvoir, ce texte est prenant, interpellant, vrai, authentique, juste. Sur cette dimension du pouvoir, je suis pris, interpellé. Je trouve cela authentique, vrai, juste. Ai-je envie de rebondir ? Non ! De méditer ? Oui.
Et sur l’introduction du texte qui traite de la prise de responsabilité ? Là, j’entends Noëlle dire : « Qu’est-ce que les élèves ont à y gagner? » Effectivement, qu’ont-ils à gagner à effacer le tableau, éteindre la lumière ? Mais faut-il nécessairement que j’aie à y gagner quelque chose pour assumer une responsabilité ? Qu’est-ce que cette manière de voir la responsabilité signifie ? Qu’est-ce qu’elle connote ? Des contre-exemples sont-ils possibles ? N’existe-t-il pas des responsabilités assumées sérieusement lorsqu’on n’y gagne pas soi-même ? La question reste chez moi. Qu’est-ce qui légitime et/ou donne sens à la prise de responsabilité ?
Nous sommes sept à faire partie de l’ÉPI auquel nous avons donné ce nom, conscients de ce qui pour nous est en croissance. Nous nous réunissons tous les mois pendant deux heures, en soirée, tantôt chez l’un, tantôt chez l’autre et nous nous donnons un « ordre du jour » serré.
Une de nos décisions : écrire chacun à propos de notre travail collectif mensuel, lire nos textes en séance et rassembler le tout pour dire ce que signifie pour nous participer à un ÉPI.
C’est d’abord savoir que cette équipe de PI existe et que nous pouvons lui donner sa couleur, son intensité.
C’est construire cet ÉPI avec son rythme, ses rites, son temps de début et de fin, son lieu, le partage des fonctions de secrétaire, président, trésorier, gardien du temps, un cadre rassurant. Nous savons que nous ne serons pas débordés, nous ne devrons pas tout faire seul, le travail sera toujours partagé, chacun s’y colle. Ainsi, se vit l’expérience de la coopération : une place et une parole pour chacun à l’intérieur d’une organisation rigoureuse.
Participer à l’Épigerme c’est aussi écrire régulièrement un texte parlant, parlant de notre pratique, de nos questions, de nos difficultés, de nos audaces, de nos réussites…. Les (ac)coucher sur papier, cela nous permet de prendre distance par rapport à notre pratique pédagogique, cela nous aide à voir nos incohérences, les enjeux…
C’est prendre conscience, et parfois voir apparaitre déjà des perspectives d’action. C’est tenter ainsi d’emprunter « le regard de l’aigle », qui voit de très haut, avec une acuité impressionnante.
Participer à l’Épigerme, c’est lire notre texte, dans ce cercle bienveillant, c’est déposer, devant soi et les autres, en toute confiance, le trop lourd de ce métier, et, aussi, l’euphorie de nos succès. Pouvoir dire.
C’est sentir le lien entre nous, entre nos horizons pourtant différents, lorsque la solitude du métier nous habite. Être rattaché à cette tige mensuelle. Pas de jugement. Simplement une grande écoute.
C’est écouter les textes des autres, entendre la multitude des chemins. C’est être là et recevoir, accompagner.
C’est écrire des rebonds. Nous écrivons là sur place, dans ce moment, ce que nous dit la réalité de l’autre, comment elle résonne en nous, à quoi nous la rattachons, ce que nous tentons d’y lire… C’est ensuite lire et entendre ces rebonds. Un tissage à plusieurs, entre pairs, avec la PI comme fil rouge. Gouter ce partage, être nourris. Pour créer, tenter.
Participer à l’Épigerme, c’est encore prendre un temps, de temps en temps, quand le besoin s’en fait sentir, pour retourner aux « textes fondateurs » sur l’une ou l’autre institution, sur l’un ou l’autre rouage. Et échanger sur ce que cela nous dit, en rapport, toujours, avec nos pratiques de terrain.
C’est creuser encore et encore le sillon de notre action pédagogique, remuer, aérer, enrichir la terre, pour que puisse émerger-germer l’insu, l’innovant, le créatif de notre métier.