Des compétences pédagogiques et didactiques portées par une équipe pluridisciplinaire. Des outils. De l’organisation et de la confiance entre les intervenants, afin de développer de la remédiation pour les élèves du secondaire.
Récit d’une proposition pour faire de la remédiation, basée sur notre expérience pour des élèves de la 3e à la 6e secondaire. Elle pourrait inspirer d’autres équipes, être adaptée en fonction des spécificités de chaque école.
« Commencer par rappeler la question des inégalités. »
En Belgique, dans nos écoles, les inégalités sont présentes. Certains élèves ont accès à la culture, aux livres, aux cours particuliers quand cela s’avère nécessaire et leurs résultats scolaires témoignent de ces avantages cumulés. Leurs travaux scolaires montrent leur capacité d’adaptation aux exigences des professeurs et aux épreuves proposées. D’autres cumulent des faiblesses, et l’école ne parvient que trop peu à les réduire. Les difficultés dans la maitrise du français sont d’autant plus problématiques que les compétences développées dans cette matière sont centrales et les faiblesses se répercutent dans toutes les autres disciplines, ne fût-ce que pour la bonne compréhension des cours et des questions posées lors des évaluations. Les élèves en difficulté peinent à structurer leurs idées, à les relier à des documents analysés, à utiliser le vocabulaire adéquat et une syntaxe correcte. Malgré tous les changements mis en place au cours des dernières décennies, les résultats de l’enquête PISA[1]Enquête Pisa, résultats 2018 ; http://www.federation-wallonie-bruxelles.be. pour la Belgique francophone sont toujours mauvais et notre déplorable place en termes d’inégalités liée à l’origine sociale des élèves y est pointée du doigt. Les facteurs déterminants de la réussite scolaire restent donc, inexorablement, le niveau socioéconomique et le niveau des études accomplies par les parents, et en particulier par la mère[2]D. Place et B. Vincent, « L’influence des caractéristiques sociodémographiques sur les diplômes et les compétences », Économie et Statistique, 2009. .
Ce constat est une évidence pour certains professeurs qui viennent d’être formés tandis que d’autres n’y ont pas été assez sensibilisés. Peut-être cette partie de cours est-elle noyée dans le contenu global de la formation ? Parmi les professeurs qui ont plus d’expérience, certain l’oublient ou minimisent, volontairement ou non… Pour mobiliser une équipe de travail, je suis convaincue qu’il faut commencer par rappeler cette question des inégalités, d’autant plus qu’elle implique la mise en place de la remédiation. Cette inébranlable envie de rétablir un certain équilibre et de nous battre contre le déterminisme lié à l’appartenance sociale des élèves est au cœur de nos projets.
Dans notre école, une « cellule Dys » veille à la mise en place d’aménagements raisonnables, de façon structurelle. Les demandes sont répertoriées, centralisées et communiquées aux professeurs, d’année en année. Au-delà d’une vigilance constante en faveur des jeunes qui présentent des besoins spécifiques, la « cellule Dys » a, par exemple, obtenu la mise à disposition d’un local pour que les élèves puissent passer leurs examens dans des conditions adaptées : plus de calme, plus de temps, centralisation des copies…
De plus, des professeurs assurent un soutien concernant les méthodes de travail, sur le temps de midi et en fin de journée.
Et récemment, une plateforme « Apprentis’Sages » a vu le jour. C’est une aide précieuse pour ceux qui n’en reçoivent que très peu à la maison. Cela permet une aux élèves de ne pas quitter l’école, en emportant avec eux des parties de cours incomprises ou des difficultés en matière d’organisation ou de méthode de travail.
Les différents outils ont été installés progressivement et sont maintenant portés par une vingtaine de professeurs et d’éducateurs. Au départ de chaque projet, un professeur a rencontré les directions et permis le déploiement et l’organisation des outils. Ce professeur — un pour chaque projet — est devenu le référent et le coordinateur des équipes. Ce sont des projets qui demandent de dégager des heures NTPP ou pour lesquels la FWB octroie des heures, mais dans tous les cas, les organiser demande des aménagements horaires et structurels importants ; les négociations ont parfois été longues et compliquées.
Les échanges entre les intervenants sont nombreux, tantôt informels, tantôt plus organisés. Ils permettent de différencier les apports de chacun, de proposer une panoplie de pistes de solutions aux élèves et de partager les pratiques. Les formations ont également permis d’améliorer nos compétences et nos outils.
Ce travail est renforcé par un contact régulier avec la psychologue et l’assistante sociale de l’antenne PMS, présentes de façon permanente à l’école. C’est aussi précieux.
J’insisterais ensuite sur trois éléments importants dans nos projets.
Premièrement, disperser les heures attribuées sur plusieurs personnes permet d’orienter les élèves vers des sensibilités et compétences différentes. Cela évite aussi que quelqu’un ne porte seul, cette fonction dans l’école ; le travail serait alors dépendant de sa forme, de sa motivation et de sa présence. Ensuite, attribuer les heures de remédiation à une seule personne lui ferait perdre l’indispensable contact avec les classes et la réalité du terrain. Pour finir, le travail en équipe exige des contacts précieux entre les intervenants et l’ensemble des professeurs, cela pousse à collaborer. Cela peut être illustré par le fonctionnement de la plateforme « Apprentis’Sages ». Des professeurs sont disponibles pour apporter un soutien aux élèves, dans des matières variées ; cela s’organise en fin de journée, pour les élèves de 3e et 4e secondaire. On a attribué des heures aux professeurs en question, pour assurer cet encadrement. Au total, cela représente un peu plus d’un équivalent temps plein. Les élèves viennent s’ils le veulent ou sur le conseil de leur professeur (la base volontaire est primordiale) ; on y travaille le contenu des cours, mais aussi la planification, la méthode de travail, la rédaction de synthèses… Des ateliers thématiques sont également organisés.
Deuxièmement, assurer une variété de profils d’intervenants permet d’optimaliser la méthode de travail proposée sur le temps de midi ou dans le cadre de la plateforme « Apprentis’Sages ». Les professeurs ont une formation en français, en sciences de l’éducation et/ou ont suivi des formations centrées sur les difficultés d’apprentissage et offrent des fiches techniques, des démarches systématiques et une aide individualisée aux élèves. Ils sont professeurs de la troisième à la rhéto, ce qui permet d’assurer une continuité dans le soutien scolaire et évite aux élèves de devoir rechercher l’aide nécessaire, chaque année. Ils savent, dès la troisième, qu’on peut les aider et que cette aide n’est pas forcément ponctuelle.
Troisièmement, l’accompagnement se retrouve au cœur de nos rencontres avec les jeunes. Le travail en équipe est de nouveau primordial. On élargit, ici, la notion d’équipe aux éducateurs de l’internat, au PMS et à l’ensemble des professeurs. Cela nous permet d’améliorer notre approche quand nous proposons la méthode de travail aux élèves. La porte d’entrée est souvent scolaire, mais très vite, le relationnel prend une place importante ; les jeunes sont écoutés et entendus, ils reçoivent du renforcement positif et gagnent de la confiance en eux.
Nous constatons certains défauts, au fur et à mesure du déploiement des outils. Certains professeurs utilisent la remédiation de façon structurelle et envoient de très nombreux élèves vers la plateforme. Ceux qui les encadrent en fin de journée se retrouvent parfois avec plus de quinze ou vingt élèves et passent à côté de l’objectif initial d’une remédiation ciblée et personnalisée. Récemment, la plateforme a également été débordée par une demande massive des élèves, faisant suite à un courrier adressé par la direction aux parents. Ces deux constats nous disent que le système ne peut être perçu comme un remède miracle ou un incontournable pour la réussite. C’est un beau projet qui est mis en place, avec ses réussites et ses défauts ; cela nécessitera évidemment certains recadrages, notamment en matière d’heures à lui attribuer.
Nous sommes aussi conscients que nous arrivons tard dans le parcours des élèves et nous ne parvenons pas à combler le fossé hérité de l’origine sociale des jeunes et complété par une réelle difficulté en matière de lecture, de rédaction, d’analyse et de synthèse. Mais nous le diminuons et apportons bien plus que de la simple remédiation ; l’accompagnement est devenu indispensable, la collaboration avec de nombreux collègues, de profils variés, est extrêmement enrichissante et nos outils s’améliorent.
Pour moi, l’essentiel se trouve dans le travail d’équipe, la confiance et le respect entre nous, la connaissance des qualités et spécificités de chacun des intervenants. Comme une spirale vertueuse : la confiance et l’amitié qui se sont tissées autour des besoins spécifiques de nos élèves nous conduisent à un travail de plus grande qualité, ce qui renforce notre confiance et celle des élèves. Ainsi de suite. Repérer un élève en difficulté, prendre le temps de l’interpeler et de l’écouter, l’orienter vers une ou des personnes pour trouver accompagnement et soutien, en discuter. Interpeler de nouveau cet élève, prendre de ses nouvelles, lui demander comment il progresse, l’écouter nous parler du soutien reçu, l’écouter en dire tout le bien qu’il en pense ou les critiques qu’il peut émettre, en discuter, progresser.
Notes de bas de page
↑1 | Enquête Pisa, résultats 2018 ; http://www.federation-wallonie-bruxelles.be. |
---|---|
↑2 | D. Place et B. Vincent, « L’influence des caractéristiques sociodémographiques sur les diplômes et les compétences », Économie et Statistique, 2009. |