Jeune enseignante débutante en cinquième année primaire, habitée par de grands idéaux sur le travail collaboratif, j’ai voulu faire travailler mes élèves ensemble. Entre ambigüité dans la consigne annoncée, indices contradictoires donnés aux élèves et manque de sens explicite, le micmac était inévitable.
Arrivée en cours d’année dans cette classe de cinquième primaire, j’ai pu constater que la compétitivité entre les élèves était omniprésente en dépit de relations solidaires et collaboratives. Pour tenter d’inverser cette tendance, à mon sens négative pour l’apprentissage et l’épanouissement de chacun, la correction d’un contrôle par deux m’a semblé être un test de collaboration idéal.
Je rends donc un contrôle corrigé aux élèves qui portait sur les grandeurs Savoir mesurer les masses, les longueurs et les capacités. Avant de rendre les copies, j’annonce que nous allons corriger ce contrôle en classe, car j’ai pu constater que des incompréhensions sur la matière subsistaient chez certains élèves.
La consigne donnée à tous est la suivante : corriger par deux (avec son voisin de banc) son contrôle en essayant de comprendre ses erreurs à l’aide des explications de son camarade. Les élèves sont placés en binômes relativement hétérogènes (niveaux différents). Cette disposition de classe n’a pas été négociée au préalable ni explicitée avec les élèves. Mon intention première étant de favoriser l’entraide entre un élève ayant des difficultés et un autre ayant des facilités de compréhension.
L’exercice autour de ce contrôle m’apparait dès lors pédagogiquement intéressant et efficace avec un double objectif : comprendre ses erreurs à l’aide des explications d’un pair et apprendre à collaborer par deux. Les élèves sont lancés et discutent par deux penchés sur leur copie et munis de leur bic vert.
Maxime, meilleur élève de la classe quitte sa place pour venir jusqu’à moi : « Voilà Madame, j’ai corrigé. C’est bien juste ? Je peux faire quoi maintenant ? » Avec sa note de 14/15, Maxime n’avait qu’une erreur à corriger. Je reste cependant surprise de sa rapidité et lui demande si son voisin a également terminé de corriger sa copie grâce à son aide.
En lui répondant spontanément, je ne me rends pas compte de l’ambigüité que je suis en train d’instaurer par rapport à ma consigne initiale qui était comprendre ses erreurs à l’aide des explications de son camarade et non corriger son contrôle. Maxime me répond alors avec un air méprisant envers son camarade : « Qui ça ? Sébastien ? Oh non ! Lui, il a plein de fautes ! Il en a encore pour un moment ! » Frappée par sa réponse, je décide d’aller voir Sébastien et fais signe à Maxime de me suivre.
Sébastien, élève en difficulté dans différentes matières et particulièrement dans celle des grandeurs, a les yeux rivés sur son contrôle et constate son échec. La formation de ce duo d’élèves très déséquilibré était intentionnelle de ma part. Ce choix me semblait judicieux pour mettre à profit la grande hétérogénéité de ma classe et surtout pour favoriser des comportements d’entraide entre élèves de niveaux différents.
Arrivée près de Sébastien, je le vois complètement désemparé face à son 5/15. Je tente de le rassurer en lui expliquant que son échec n’est pas une fin en soi, et qu’il a le droit à l’erreur malgré le caractère certificatif de son contrôle. Propos évidemment paradoxaux, car dans le cadre certificatif du contrôle, l’élève n’a effectivement plus le droit à l’erreur, ni d’aide possible pour le réaliser. De plus, je n’avais pas anticipé la violence que cet échec pouvait lui renvoyer et encore moins le fait qu’elle soit renforcée par le regard de Maxime, celui qui sait sur celui qui ne sait pas.
Face à ce refus total de collaborer auquel je ne m’attendais pas, des interrogations et incompréhensions me submergent à cet instant : comment et pourquoi un élève peut-il ne pas vouloir aider un autre et l’exprimer aussi fermement ? Qu’est-ce qui les empêche de collaborer ? Est-ce le dispositif proposé ou la relation entre ces deux élèves ?…
Après insistance, Maxime finit par faire mine de s’exécuter en râlant. En observant les autres duos d’élèves, je constate que la comparaison des points et la compétitivité ont primé sur la collaboration. Le double objectif fixé, apprendre à collaborer et apprendre à comprendre ses erreurs autour d’un contrôle a été une fausse bonne idée.
L’intérêt du travail collaboratif, la confrontation d’idées, le débat entre les élèves ne sont pas rendus possibles ici. En effet, la vérité est établie par la correction du contrôle faite par l’enseignant c’est juste ou c’est faux avec un diagnostic chiffré. Il n’y a donc pas de remise en question par les élèves.
Le sentiment de compétition entre les élèves est également renforcé par le caractère certificatif de l’évaluation. Quel est l’intérêt pour eux d’aider l’autre s’ils sont en compétition avec des points les uns contre les autres ? Dans un tel contexte, aider l’autre n’a aucun sens pour Maxime, qui est simplement satisfait d’avoir eu de bons résultats et d’être le meilleur.
Ajouté à ce manque de sens explicite sur l’intérêt de travailler ensemble, la complexité de la tâche demandée à Maxime. Pour qu’il puisse aider Sébastien à comprendre ses erreurs, il doit avant tout cerner la logique de son camarade sur la base de ses explications, et ensuite pouvoir lui expliquer ses propres erreurs. Cette démarche nécessite à l’élève qui explique d’avoir une capacité réflexive de haut niveau, rendue possible à la suite d’apprentissage continu sur le long terme. Les élèves n’étaient ici pas préparés à cet exercice complexe.
À la suite à cette expérience vécue comme un échec, je suis forcée de constater que mes élèves n’ont pas appris. Ils n’ont pas appris à travailler ensemble en raison du contexte compétitif dans lequel ils ont été mis, ni à comprendre leurs erreurs ni à expliquer à l’autre les siennes.
Cependant, grâce à cette succession de paradoxes et de contradictions, je peux affirmer que j’ai appris. J’ai appris que la collaboration n’était pas une compétence acquise chez les élèves, mais bien un apprentissage concret à expliciter. Qu’elle nécessite une remise en question pour faire évoluer sa pensée et celle de l’autre afin de se donner des significations communes.
Enfin, j’ai également appris à remettre en question le sens de l’évaluation cotée. Le droit à l’erreur permet d’apprendre, mais si l’élève n’a plus ce droit, l’apprentissage n’est plus possible. Elle favorise également la compétition et la comparaison entre les élèves. Ces conclusions ne sont pas évidentes à tirer pour une jeune institutrice tiraillée entre l’obligation de répondre aux exigences de son pouvoir organisateur (rendre un bulletin avec des points) et d’enseigner selon ses convictions pédagogiques profondes.