Une méthode de lecture interactive

Deux enseignantes en première, deuxième et troisième maternelle d’une école liégeoise nous racontent comment elles ont découvert et mis en place une méthode d’apprentissage de lecture innovante qui va à la rencontre des besoins des élèves. Il s’agit de la méthode de lecture dite interactive.

L’inégalité est flagrante entre les enfants rentrant en première primaire, entre ceux qui ont acquis et ceux qui n’ont pas acquis les connaissances de base. Ces derniers risquent fort de rencontrer par la suite des difficultés dans l’apprentissage de la lecture et de l’écriture, n’arrivant pas à se remettre au niveau de ceux qui démarrent avec les bases requises. Une attention particulière à leurs besoins est donc indispensable.

Orianne, la logopède du PMS de l’école, a mis en place un projet de formation [1]Adapté de la formation, «La lecture interactive enrichie, raconter des histoires pour mieux préparer les enfants à la lecture et à l’écriture», Pascal Lefebvre continuée s’étalant sur deux années scolaires, pour les enseignants du maternel, en partenariat avec le PMS [2]Lise Desmottes et Orianne Dor, logopèdes au centre PMS libre, Liège 4 et 7. Même si nous étions intéressées, nous craignions la charge supplémentaire de travail que ça représentait, mais sa proposition d’accompagnement nous a rassurées.

« Travailler la conscience de l’écrit avec des livres. »

Les objectifs de la méthode sont de travailler la conscience de l’écrit, avec les phrases, les mots, la ponctuation et les inférences (ce qui est implicite et donc non-dit dans le texte), le vocabulaire et la phonologie (syllabes, fusion syllabique…).

Ritualiser

Le lundi matin, après les rituels, nous lisons chacune dans notre classe, au coin tapis, le livre choisi. Cette semaine, Anne a choisi le livre Coin-coin. Tous les élèves, assis face à elle, écoutent. Les enfants ont la consigne de se taire.

Anne : «Voici mon livre, le titre se trouve ici sur la couverture (elle montre), il est écrit Coin-coin. Cela nous donne des indices sur l’histoire, cette histoire est l’histoire d’un canard. Ce qui est écrit ici, c’est : Frédéric Stehr. C’est l’auteur du livre. L’auteur est la personne qui a imaginé dans sa tête l’histoire et qui l’a écrite.»

Ensuite, Anne a choisi trois points d’attention sur trois pages différentes. Elle s’arrêtera à chaque page choisie pour expliquer : une majuscule, un point d’interrogation, une phrase ou un mot…

En fin de semaine, l’institutrice aura travaillé dans ce livre :

  • trois concepts dans la conscience de l’écrit (signes utilisés dans la langue écrite) ou calligraphie (une lettre par livre et donc par semaine, pour qu’il en connaisse au moins quinze en fin de troisième. Si un élève entre en première primaire en connaissant déjà ce nombre de lettres, alors il sera mieux armé pour apprendre à lire et à écrire);
  • trois mots de vocabulaire (ici : malin, dromadaire, transplanter);
  • trois inférences (une explication, une prédiction ou un sentiment…);

Par exemple : «Je me demande ce que la petite poule rousse va faire, dit Anne.  Va-t-elle accepter que ses amis mangent son pain ?  Moi je pense que non, car ils ne l’ont aidée pour rien.  Elle a dû tout faire toute seule.  D’ailleurs, on les voit par la fenêtre et ils ont l’air déçus.  On le voit à leurs bouches.»

Ou, pour l’expression d’un sentiment : «Je me demande comment se sent le petit chaperon rouge, dit Valérie. Je pense que le petit chaperon rouge a très peur parce qu’il tremble et qu’il a la bouche grande ouverte comme s’il poussait un cri (pointer sur l’image).»

Il y a aussi une tâche sur la conscience phonologique (rythmer les syllabes, les repérer, les segmenter ou les fusionner, en progression sur les années d’âge et durant toute l’année selon le niveau d’apprentissage).

Cette séquence recommence la semaine suivante avec un autre livre. Il s’agit donc pour l’institutrice de lire un livre chaque semaine avec les élèves, et de travailler autour de ce livre en suivant une procédure type.

Le premier jour, l’institutrice raconte le livre. Lors de la lecture aux élèves, elle exprime à haute voix ses pensées. Elle verbalise les processus en lecture, les stratégies de compréhension et de décodage. L’enfant ne sait pas tout au départ. L’adulte peut lui montrer clairement une démarche comme modèle. On a tendance à penser que l’enfant va trouver de lui-même et ce n’est souvent pas le cas.

Le deuxième jour, l’institutrice commet des erreurs volontaires, afin de faire réagir les élèves. Ainsi, mardi, Anne reprend la même procédure, mais en commettant des erreurs intentionnelles. Par exemple : «Regardez les enfants, ici, c’est l’auteur du livre» en montrant le titre du livre. Les enfants sont prévenus que c’est le jour des erreurs et donc réagissent assez spontanément. Il s’agit ici de veiller à ce que ça ne soit pas toujours les mêmes qui interviennent.

Le troisième jour, tous les enfants participent aux questions posées par l’institutrice. Par exemple, elle demande aux enfants  : «Qui peut me montrer le titre du livre?». Et ainsi de suite avec toutes les tâches et les concepts choisis : à chaque fois, une question et une attention aux élèves les plus en difficulté.

Le quatrième jour, c’est le jour de l’«enfant vedette». C’est un enfant choisi le premier jour, au commencement de la lecture du livre, et qui, ce jour-là, va répondre à toutes les questions. Et, semaine après semaine, livre après livre, chaque enfant aura son tour pour être l’«enfant vedette».

Le cinquième jour, le livre est laissé à la disposition des enfants qui peuvent le consulter librement, seuls ou en groupe. Avant cela, le livre est inaccessible, mais visible, posé sur un meuble.

Se donner les moyens de savoir

Quatre évaluations individuelles sont prévues pour situer les acquis de chaque élève, en septembre, novembre, mars et juin. Il y a un fichier de dessins pour l’élève et un carnet individuel dans lequel l’adulte y écrit les réponses de l’enfant. L’institutrice ou la logopède travaille avec un élève, si possible en dehors de la classe. L’adulte pose des questions liées aux concepts et non au contenu des livres travaillés. Les évaluations reposent sur quatre tâches : les connaissances alphabétiques, le dénombrement syllabique, le repérage syllabique et la calligraphie. L’objectif est de voir quels sont les acquis et les difficultés qui persistent chez chacun, afin de créer des sous-groupes de besoins.

L’institutrice peut par exemple créer un atelier de travail pour une compétence particulière (fusionner des syllabes) avec surtout, mais pas exclusivement, les enfants qui sont en difficulté avec cette compétence. Par exemple, Valérie propose un atelier de calligraphie où il faut pêcher certaines lettres et invite Victor, Jules et Pierre à y participer, elle pratique alors une individualisation pour eux. Les autres peuvent jouer librement à cet atelier.

Ainsi, au cours des lectures, l’institutrice a bien en tête les difficultés spécifiques de chacun et peut donc choisir d’interroger ou faire réagir certains enfants plutôt que d’autres. En fin d’année, il y a échange entre collègues sur les observations faites et des recommandations sont transmises pour l’année qui suit.

Se former, être accompagné

Aujourd’hui, nous avons terminé la formation. L’accompagnement d’Orianne nous a beaucoup aidées. Après la formation, elle nous a supervisées attentivement de semaine en semaine. Elle est venue pendant une semaine appliquer la méthode dans chacune de nos classes afin que nous puissions l’observer, et ensuite, elle nous a aidées dans les préparations en répondant à toutes nos questions.

Au début, ça peut faire peur de devoir préparer un livre par semaine, mais Orianne a créé une plateforme avec des livres déjà exploités par d’autres enseignants. On n’est pas obligé de créer tout de A à Z, on peut utiliser une banque de données pour commencer. Mais, même s’il faut créer à partir de ses propres livres, ça en vaut vraiment la peine.

Cette approche de la lecture permet une détection plus rapide des problèmes de langage et de prélecture. C’est une méthode qui se révèle dynamique et amusante et qui, gain non négligeable, est réutilisable chaque année. On peut aussi peu à peu augmenter son capital de livres. C’est une pédagogie ritualisée qui permet de balayer une grande partie des compétences de notre programme de français. Par la stabilité qu’elle apporte, elle donne aux enfants le temps de bien vivre et comprendre chaque livre et permet de s’assurer que le livre est vraiment un outil d’apprentissage. Elle demande peu de matériel, assure une continuité entre la première et la troisième maternelle et permet aux enseignants participants de constituer ensemble une banque de livres accessible à tous qui ne cesse de s’étoffer.

Le plus difficile est de s’assurer de l’attention et de la participation de tous. Quand on travaille avec un groupe classe trop grand, cela demande beaucoup de temps de faire passer tous les enfants individuellement, et plus il y a d’enfants plus il faut déployer une grande énergie dans les séances de lecture. Cela demande aussi beaucoup de rigueur, mais c’est gratifiant quand on constate l’évolution et les acquis des enfants.

Vu notre enthousiasme, nos collègues de la maternelle ont aussi souhaité entrer dans le projet, et en 2023 les cinq enseignants de l’équipe seront formés à la méthode dite de lecture interactive.

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Adapté de la formation, «La lecture interactive enrichie, raconter des histoires pour mieux préparer les enfants à la lecture et à l’écriture», Pascal Lefebvre
2 Lise Desmottes et Orianne Dor, logopèdes au centre PMS libre, Liège 4 et 7