Vers les symboles

« Faire du sens, pas du son » qu’on nous disait dans la foulée des grands changements quant à l’approche de la lecture.

08-10.jpg Et de plonger les enfants ou les plus grands dans leurs histoires, en espérant qu’ils photographieront l’écriture de leurs mots.

Et de s’étonner quand la photo est floue voire toute noire, quand ils lisent « miason » pour « maison » quand ils écrivent « poissan » pour « poisson », quand ils ne retrouvent pas les sons dans d’autres mots semblables aux leurs, quand ils en inversent la graphie, quand ils ne retiennent pas le son correspondant aux lettres ou vice versa.

Et d’envoyer alors chez la logopède, les « dys » de tous genres qui ont peut-être photographié des mots, mais sans doute peu discriminé des corrélations sons/graphies des sons.

Puis, s’apercevoir que la logopède, elle, ne s’occupe qu’assez peu souvent de sens. Elle fait travailler sur les sons, sur leur discrimination, sur leur représentation. Entendre de sa part qu’elle n’est pas dans le pédagogique, mais dans le thérapeutique.

En arriver donc à considérer comme « à soigner », toutes sortes d’enfants qui ne sont pourtant pas des malades de la lecture, de l’écriture, mais plutôt des victimes de la démagogie ambiante (à ne pas confondre avec les pédagogies actives), victimes du plaisir qu’on croit leur avoir fait en partant, pour leur apprendre à lire, de leurs histoires, de leur vécu… Et encore… vécu de qui ?

Hassan 6 ans, en 1ère primaire, porte des enveloppes à des grands et reçoit un peu d’argent pour la course.[1]Dix ans plus tard, il est dealer lui-même.

Il est dans la rue jusque dans la nuit. Il a déjà mis le feu aux poubelles d’un droguiste, il s’est déjà retrouvé au commissariat pour le vol d’un vélo. Cet Hassan-là raconte ce qu’il lit en classe : « C’est des histoires de petits lapins » parce que Coralie a apporté un lapin de son jardin. Moi, ça m’ennuie les histoires de lapins. C’est pour les bébés. »
Faire du sens qu’ils disent, mais quel sens et pour qui ? Les phrases rassemblées pour un fonds de lecture sont sans doute liées à du vécu de classe. Ça peut faire culture commune, porteuse, ça crée du lien, ça réjouit, ça permet peut-être même à certains de se sentir en confiance, mais ça n’apprend pas à lire.

Ceux qui apprennent quand même ont structuré eux-mêmes les liens graphies/sons. Ou se sont fait donner des activités structurantes par papa, maman.

Tous les autres sont heureux des petits lapins ou n’en n’ont rien à faire, mais de toute façon, ne savent pas lire.
Souda, 13 ans, depuis deux ans en Belgique, plongée dans des classes de 2e, 3e primaires et dans les histoires affichées où elle est sensée capter des mots, retenir, lire.

À son arrivée en 2e professionnelle, elle lit et écrit certains mots dont elle a sans doute retenu l’image et les sons, des mots longs et compliqués même comme « aujourd’hui ” mais pourtant, elle dit « o» pour « ou », écrit « por toi » et ne reconnait pas de « ou» dans « journal ».

J’ai collecté avec elle des mots contenant le son « ou » et le son « o ». Nous avons listé toutes les graphies possibles de « ou » et de « ou ». Sourd s’est prise au plaisir de la recherche de mots pris aux vitrines de magasins ou demandés à la secrétaire de l’école en termes de « donnez-moi des papiers écrits » (auxquels elle ne comprenait pas grand-chose).

Au bout de trois mois, elle a nommé son déclic : « Ah, c’est comme ça, il y a de l’écriture pour ce qu’on entend… C’est toujours la même et ce n’est pas toujours la même »
« J’ai appris à lire cette année, dit-elle.

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Dix ans plus tard, il est dealer lui-même.