Le groupe de travail « compétences et savoirs » est composé d’une quinzaine de représentants de toutes les instances officielles et d’une dizaine de professionnels de l’apprentissage sous ses différentes facettes, soigneusement choisis par le président afin d’ouvrir le débat et dépasser les clivages institutionnels. C’est essentiellement au titre de didacticienne en mathématique que j’y ai été conviée.
Au fil des semaines, le travail s’est déroulé dans une ambiance cordiale. Chacun, quelle que soit sa fonction, a eu l’occasion de s’exprimer, d’une part en envoyant ses contributions à l’avance et d’autre part oralement en séance. Toutes les idées ont été prises en compte. Un très grand soin a été apporté au choix des mots et aux relectures pour que tous s’y retrouvent.
Dans un premier temps, le groupe s’est prudemment engagé dans des discussions sur des considérations générales en matière de conception de l’enseignement : multiplier les approches méthodologiques, transformer la vision de l’évaluation, encourager la multidisciplinarité, revisiter les liens entre savoirs et compétences… Ces échanges ont conduit également à formuler des préconisations en matière de référentiels (à distinguer des programmes !), dont la création d’une instance de coordination et d’approbation transversale de ces référentiels.
Jusque là, les contenus des rencontres ne m’ont pas paru très porteurs, voire même, j’étais particulièrement inquiète de la tournure de certains débats où la préoccupation essentielle des réseaux était de protéger leurs programmes ainsi que la sacrosainte « liberté pédagogique » au détriment d’une vision et d’une cohérence globales de notre système d’enseignement. Je n’avais jamais eu l’occasion de percevoir aussi clairement à quel point notre organisation de l’enseignement comporte en elle ses propres freins au changement.
Par contre, de façon assez surprenante, c’est en entamant la réflexion autour du Tronc commun (TC) que l’engagement du groupe de travail a pris une autre tournure. Au cœur de ces débats, une préoccupation est largement partagée par la plupart des participants : rendre notre système scolaire plus égalitaire et faire apprendre tous les élèves. C’est cette base commune qui a permis la construction collective de ce projet qui revisite en profondeur les contenus et le cadre de l’enseignement obligatoire précédant le choix des orientations. Voici comment en est formulée l’intention générale dans le rapport.
« Les évolutions complexes, les défis et les exigences accrues de nos sociétés imposent de doter l’ensemble des élèves d’un bagage réellement commun, étendu, solide et ambitieux. C’est d’abord sur la maitrise de cet essentiel que porte l’exigence d’égalité.
Le TC se veut polytechnique et pluridisciplinaire, fondé sur des savoirs et compétences à la fois scientifiques et technologiques, culturels et artistiques, qui apprennent à comprendre le monde, à le penser et à le transformer. »
Pour donner forme à ce projet ambitieux, nous avons identifié d’une part les connaissances et compétences communes à développer avec tous les élèves et d’autre part les conditions nécessaires à la réussite de la mise en œuvre du TC, ces deux aspects s’entremêlant d’ailleurs souvent dans les débats.
Il est important de relever la grande ouverture à de nouveaux savoirs et compétences considérés comme fondamentaux dans la formation des futurs élèves-citoyens ainsi que le haut niveau d’attente pour la formation commune. Par souci de clarté, des domaines de formation en cours de tronc commun ont été libellés comme suit :
– langues ;
– sensibilités et expressions artistiques ;
– mathématiques, sciences, géographie physique et technologies ;
– sciences humaines et sociales, philosophie, citoyenneté ;
– activités physiques, bienêtre et santé ;
– créativité, engagement, esprit d’entreprendre ;
– apprendre à apprendre et à poser des choix.
Quant aux conditions de la mise en œuvre, elles portent essentiellement sur les aspects suivants qui sont liés entre eux :
– la nature polytechnique de la formation et l’égale valeur des différents apprentissages ;
– la promotion automatique de tous les élèves jusqu’en fin de TC ;
– la nécessité d’approches pédagogiques qui prennent en compte l’hétérogénéité sociale et scolaire ;
– un changement de paradigme en matière des missions de l’école et du rôle de l’évaluation des apprentissages ainsi qu’une redéfinition de la place des évaluations externes ;
– l’importance fondamentale de la formation initiale et continue des enseignants qui doit précéder et accompagner la mise en place du TC.
Tout cela devra s’accompagner d’une réflexion sur l’organisation spatiotemporelle du système et de chacune des écoles.
Si de nombreux membres du GT se réjouissent d’avoir ainsi pu se mettre d’accord sur une vision commune, ils n’en sont pas moins conscients que de très nombreuses questions restent à travailler pour arriver à une réelle mise en œuvre.
C’est à propos de la durée du TC et en particulier l’âge visé pour la fin de celui-ci que les divergences sont les plus grandes, les uns estimant que ce travail ambitieux ne peut pas se terminer avant 16 ans et d’autres affirmant qu’on ne peut freiner un élève qui saurait déjà à 14 ans vers quoi il veut aller. Par ailleurs, pour y voir plus clair, il est nécessaire de penser le système jusqu’à la fin de l’enseignement obligatoire.
Pour avancer sur ce projet, il est indispensable de l’inscrire dans une perspective à long terme, indépendante des coalitions politiques à venir. Qui pourra nous garantir cela ?
Ce changement complet de structure devra nécessairement se doubler d’un changement de culture. Pourra-t-on un jour parler de pédagogie en FWB sans se faire taper sur les doigts par les réseaux ?
Aura-t-on le soutien des parents, en particulier ceux dont les enfants réussissent bien dans le système scolaire actuel, voire à coups de cours particuliers ?
Et bien d’autres questions encore…
Sans me faire d’illusions, je n’aurais quand même jamais cru pouvoir un jour voir de près un tel projet prendre forme écrite du moins ! On est plusieurs à se dire que si le gouvernement n’avance pas dans ce sens, on a en tout cas, un document de base solide pour leur demander des comptes.