Voici revenu le temps du Programme Désintégré

Trois pas en avant puis dix en arrière, c’est l’amer constat de ces quatorze défenseurs des mathématiques émancipatrices. N’entrez pas dans la danse !

Il y a tout juste 20 ans, le Conseil Central de l’Enseignement Fondamental Catholique, devenu entretemps la Fédefoc, publiait un programme résolument novateur dans sa forme et dans son concept : le Programme Intégré. Jusqu’alors, les programmes étaient constitués en autant de fascicules disciplinaires plutôt disparates, sans lien entre eux. Ils se résumaient à des listes de matières réparties par années, accompagnées de quelques commentaires méthodologiques. Ils traduisaient une conception de l’école où chaque enseignant fait la classe porte close, et où le rôle de l’école maternelle se résume à n’être que l’antichambre de l’école primaire.
« L’important serait la ligne d’arrivée, peu importent les chemins suivis… »
Avec le Programme Intégré, c’était une véritable refondation de l’école qui était mise en chantier, guidée par les lignes d’un projet pédagogique commun, dont les valeurs étaient clairement affirmées et dont la construction ne pouvait aboutir que si elle était portée en équipe.

Triste anniversaire

Aujourd’hui, de nouveaux programmes de mathématiques vien­nent éclipser cet ambitieux projet pour l’école. Ils ont pour objectifs annoncés de repréciser « qui fait quoi quand » et de « desserrer l’étau de la méthode ». Un outil présenté comme accessible à des « enseignants normaux », qui ont autre chose à faire, après la classe, que de se plonger dans leur programme ou encore de s’encombrer d’un langage — pardon, d’un jargon — professionnel !

Qu’on ne s’y méprenne pas : les balises matières sont essentielles et constituent des outils indispensables pour les enseignants. C’est à la fois une question de cohérence du système scolaire et d’équité pour les élèves. D’ailleurs, il est pour le moins surprenant que ce travail de clarification n’ait pas été mené d’abord là où ces repères-matières font cruellement défaut, en éveil historique par exemple.

Libéré de cet étau pédagogique qui l’oppressait, chaque enseignant pourra désormais faire la classe comme il l’entend, l’important étant d’atteindre la ligne d’arrivée à la fin de l’année, peu importent les chemins suivis pour y parvenir. Comme si la manière d’enseigner et donc d’apprendre n’avait pas d’importance alors que toutes les recherches en didactique des mathématiques ont mis en avant l’indispensable construction des savoirs.

Pas un cadeau…

Certes, les nouveaux fascicules reprennent en introduction des éléments du projet pédagogique porté depuis 20 ans par le réseau catholique. Mais il ne s’agit que d’un copier/coller de dernière minute, car on sait bien que ce projet n’a pas guidé la conception des nouveaux programmes… un peu à la manière d’un normalien débutant qui s’inquiète des intentions de sa leçon, une fois achevée la préparation de celle-ci.
Non, ce qui guide la conception des nouveaux programmes, c’est ce qu’il faut pouvoir réussir aux épreuves externes. C’est ce que l’on appelle « la programmation à rebours » ou « démarche à l’envers » (principe qui n’est pas sans rappeler le normalien évoqué ci-dessus). Au Québec, c’est une dérive qu’on appelle le Teach to Test.
Qu’on ne s’y méprenne pas : les épreuves externes constituent des outils indispensables au pilotage du système scolaire. Mais peut-on raisonnablement en faire la principale finalité de l’école ? En d’autres mots, la mission de l’école se réduit-elle à faire réussir des examens dont on sait, par leur nature, qu’ils ne peuvent évaluer bon nombre d’apprentissages essentiels ? Avoir confiance en soi (et notamment face aux mathématiques), oser aborder sereinement la difficulté que représente une situation problème, apprendre à coopérer, à être curieux, à se montrer critique face aux médias (et internet en particulier), à faire des liens, à trouver des mots pour exprimer ce que l’on ressent, pour identifier ses forces et ses difficultés… tout cela ne devrait-il pas constituer le cœur du travail quotidien dans nos classes ? Et si l’essentiel était invisible aux yeux des épreuves « papier/crayon » ? Le serait-il aussi aux yeux des nouveaux programmes ?

Ni une surprise

En désintégrant son programme, la Fédefoc dissout son projet pédagogique, quoiqu’elle s’en défende. Sans doute est-ce cela, « desserrer l’étau » ? Ce faisant, elle déstabilise et décourage tous les enseignants qui se sont approprié le Programme Intégré et se sont appuyés sur celui-ci pour questionner, penser ou étayer leurs pratiques… Mais peut-être ne font-ils pas partie des « enseignants normaux » ?
Ils sont pourtant nombreux les enseignants qui s’étaient déclarés en phase avec le Programme Intégré lors de l’enquête menée en 2007-08 à ce sujet. Ils devront néanmoins se réapproprier un nouveau référentiel radicalement différent dans sa structure et adapter leurs outils à une nouvelle nomenclature des compétences.
Quant aux autres, ils voient enfin « réhabilitée leur créativité pédagogique », après 20 longues années de frustration. Mais qu’ils ne perdent pas de vue le nouvel étau : celui d’atteindre avec leurs élèves les attendus en fin d’année, quels que soient leur contexte scolaire et leurs difficultés.