Voir ce que nous ne voulons pas voir

En classe, comme en Conseil des profs, il y a ce que j’ai envie de voir, ce qui me plait et…
quelques sous-marins !

Le Conseil des profs bimensuel du vendredi, regroupant toutes les institutrices maternelles et primaires et moi-même, directeur, se termine. Nous avons épuisé, en débordant de cinq minutes, l’ordre du jour : tour de parole, approbation du rapport précédent, retour sur les surveillances, retours du Conseil des élèves, agenda, demandes, informations diverses…
Au moment de prononcer la phrase rituelle de clôture, Christine demande la parole : « Je demande que la durée du Conseil soit respectée. C’est la fin de semaine, je dois récupérer mon fils à son école, ça va être tout juste, et nous avons déjà beaucoup de concertations… »
Je réponds que le Conseil est terminé et que je mets ce point à l’ordre du jour de la prochaine fois. On se souhaite un bon weekend avant, pour les unes, de retourner en classe effectuer quelques rangements, et pour les autres, de s’en aller chez elles ou ailleurs. Pour moi, ce sera le passage au bureau, car j’ai encore une bonne heure de travail pour boucler cette semaine et préparer la suivante. Avec un peu d’amertume, car franchement réagir pour quelques minutes alors que l’ordre du jour était tellement chargé, que deux collègues sont arrivées en retard, que c’est de nouveau elle qui réagit par rapport au temps de concertation, que…, que… et que…
Je ne vois pas comment faire avec 50 minutes toutes les deux semaines pour aborder sereinement ensemble l’ordre du jour. Comme cette collègue l’a déjà fait remarquer, nous effectuons chaque année bien plus que les 60 périodes de concertation obligatoires et il est d’autre part légitime de nous rappeler à l’ordre quand on déborde du temps prévu pour le Conseil. Comment se fait-il que je me sente touché par cette remarque alors que (ou précisément parce que ?) j’adhère à la ponctualité dans nos agendas de réunions ?

Une place pour chacun

Tenir Conseil en équipe éducative, c’est essentiel. Avoir des lieux extérieurs pour déplier ce qui s’y déroule l’est tout autant. Avec quelques collègues, quelques jours plus tard, nous travaillons sur ce qui se passe dans nos Conseils des profs respectifs. Pour prendre conscience et oser ensemble reconnaitre que nous ne traitons pas de la même façon ce qui est dit par l’une ou par l’autre personne. Nous avons des chouchous ! Difficile d’accepter que l’on ne traite pas avec la même qualité ce qui est dit par la collègue avec laquelle on se retrouve régulièrement en salle des profs pour discuter de la gestion de nos enfants adolescents, et par la collègue qui donne l’impression d’avancer à reculons lors de la mise en place de décisions prises en concertation d’équipe… Comme chefs d’école, nous avons à cœur de promouvoir l’égalité et devons bien constater que nous ne traitons pas, à notre insu, les institutrices de manière égale. Mais le voulons-nous ? Quand la dernière arrivée prendra la parole, lui donnerais-je la même place qu’à celle qui est proche de la retraite ? Avec le risque d’un paternalisme (ou maternalisme) dans la manière de rebondir immédiatement sur ses paroles pour les soutenir ? En prenant le temps d’attendre mon tour de parler et me donner la parole en dernier lieu ? Au risque, me signale une collègue directrice, de laisser les grandes gueules négatives casser tout de suite toute proposition innovante ou (un peu) bousculante avec des collègues qui n’osent pas s’opposer, pour d’arriver ensuite en sauveuse ?
Donner une place… pas toujours aussi facile !

À la perfection

Au sein de notre collège des directions, il y a unanimité sur l’importance que nous voulons donner à un Conseil des profs qui soit réellement participatif et démocratique. Inévitablement, des rapports de force se jouent. Entre collègues, entre collègues et nous. Ce qui brise l’image que l’on pourrait se faire du dialogue consensuel, du Conseil qui règlerait tout magiquement parce qu’on a donné la parole. Et comme (ex)-enseignant, on apprécie parfois, secrètement ou inconsciemment, que tout se déroule sans anicroche : poser le problème dans toutes (!) ses dimensions, proposer des solutions, et hop, prendre une décision voulue, soutenue et mise en œuvre unanimement ! Suis-je une bonne directrice si je n’ai pas toute l’équipe qui coopère ? Comment gérer une équipe éducative en tension ? Jusqu’où nous autorisons-nous à lâcher prise ? Avons-nous défini clairement la ligne rouge de ce qui est acceptable tant dans ce qui est mis sur la table que sur la façon dont on en parle et dont on le traite ? Ensemble, nous pouvons mettre en tension ces incidents, nos réactions, les valeurs définies par les équipes, nos valeurs et le besoin d’un cadre qui sera rassurant s’il est tenu.
Des collègues, parfois au bord des larmes lors de leur témoignage, lorsqu’ils posent ces questions en osant en prendre conscience et les verbaliser au sein de notre groupe. Les sous-marins font surface. Et nous de reprendre nos silex pour les affiner une fois encore…