Volupté

Une fois le calme revenu, après six journées intenses de production d’écrits, un participant à l’atelier de Pédagogie institutionnelle « Écrire sur écrire » des Rencontres pédagogiques d’été nous transporte dans l’intimité de son processus d’écriture.

J’adore écrire. Cela me procure un plaisir fou. Qu’on me lise, je m’en fous. Rares sont les auteurs qui voient la tête de leurs lecteurs. À peine peuvent-ils percevoir l’émotion qu’ils procurent à travers un chiffre de vente ou une manifestation isolée de l’un d’entre eux. Pour moi, la jouissance est dans l’acte solitaire et pas dans ses répercussions. J’aime cette solitude, ce moment rien qu’à moi.

Alors, s’enfermer à vingt-cinq inconnus dans une pièce pendant six jours pour écrire sur le thème écrire, excusez-moi, mais c’est obscène ! Qu’est-ce que c’est que ces emboitements volontairement orchestrés ? Écrire sur écrire ! Bonjour la masturbation ! Et en plus, il y a cette contrainte de l’échange : deux groupes cloitrés pour une seule production commune. C’est quoi ? De la production in vitro ?

Ne cherchez pas d’avis raisonné dans ces lignes, il n’y a que des sensations. Une expérience savoureuse s’accorde à accepter la magie qui opère au sein du groupe. Je consens tout de même à vous souffler quelques ingrédients secrets qui mènent à la jouissance.
D’abord, il y a l’approche et l’obligation de se dénuder. Lire une expérience personnelle, c’est se donner un peu à des inconnus. De là peut parfois naitre la confiance.

Ensuite, il faut se parler… beaucoup ! Approcher les limites de l’autre, les sentir, les enjamber, s’excuser puis repartir dans l’exploration. Je m’attarde sur ces précieux préliminaires avant de commencer à écrire. Écouter l’autre dans son désir et dans ses limites, c’est renforcer la confiance.

Surtout, il faut s’écouter soi. S’abandonner au groupe éteint le désir. Il y faut une place pour chacun. Je cherche donc le plaisir. Les autres consentent à me le procurer… spontanément. Je m’ouvre alors à leur quête.

Moi qui étais un fervent adepte de l’onanisme littéraire, j’ai découvert le plaisir à deux, à trois, à vingt-cinq. Apprendre des styles, des langages jusque-là insoupçonnés, mélanger ses fantasmes, ses humours, ses pensées tortueuses sur le même support, voir ce qui plait à l’autre quand j’écris, voilà ce qui m’a séduit. Et que chacun en redemande, même ceux qui se disaient incapables, effarouchés ou pudiques. Une fois, deux fois, trois fois… jusqu’au bout de la nuit.

Et quand le matin de l’extase, le corps éreinté et la mine comblée, nous savions tous que c’était une relation sans lendemain, je pensais déjà à me faire libertin.

Sur le chemin du retour, alors que je reprenais mes esprits, je pensais aux préceptes de mon état : ne pas verser dans la fusion. Et pourtant, nous avons produit et appris de bien belles choses.