Votre cours, ce n’est pas de la pédagogie active… !

… se plaignent les élèves dès mes premiers cours. « Ah bon, et c’est quoi la pédagogie active ? » « Ce n’est pas rester assis sur sa chaise à écouter le prof et travailler chacun sur son banc. C’est bouger, travailler en groupes. » Cette représentation courante, je l’avais moi-même avant de me mettre à travailler dans une école à pédagogie active.

Dans son projet, mon école définit sa pédagogie comme intégratrice ou émancipatrice contemporaine (!), mais ces termes deviendront rapidement pédagogie active, pour les élèves, les parents et même les profs. C’est le terme partagé pour évoquer toute pédagogie qui sort du cadre traditionnel, un terme qui crée du malentendu parce qu’il fait oublier tous les autres, comme la Pédagogie institutionnelle ou de l’autonomie qui se cachent derrière les néologismes du projet.
En arrivant dans cette école, je me sens néophyte devant cette exigence de faire de la pédagogie active, je me forme, depuis plusieurs années, en Pédagogie institutionnelle, mais je ne sais pas bien ce que sont les méthodes actives. Très vite, je me rends compte que j’en utilisais dans mes cours traditionnels : les élèves apprenaient par projet (monter une expo, réaliser un festival, tourner un court-métrage), par socioconstructivisme (travailler sur les représentations avant d’aborder un sujet), par groupes (construire une affiche ou un exposé en groupe et en classe).
Je n’ai donc pas à balayer toutes mes pratiques pour réinventer mon métier (je ne pourrais d’ailleurs pas le faire, on ne change pas si facilement !), mais le malentendu doit être levé avec les élèves sur la manière dont nous allons apprendre : « Certaines activités mettront votre corps en mouvement, mais c’est surtout votre esprit qui doit être actif. Nous travaillerons le collectif, mais pas seulement dans des travaux de groupe… »
Cette critique des élèves me révèle aussi leurs attentes par rapport à l’école et je comprends qu’une partie d’entre eux se plaignent parce qu’ils sont perdus dans ce que leur propose l’école en général et ils voient la pédagogie active comme une solution miracle. Plus besoin de travailler ni d’étudier, les connaissances vont se bâtir à leur insu au fil de jeux et d’activités ! Or, ces élèves ne vont pas sortir magiquement de leurs difficultés en participant à un projet ou un jeu, aussi motivés soient-ils. Plusieurs études ont d’ailleurs déjà prouvé que les méthodes actives renforçaient les malentendus scolaires[1]Comme les travaux de E. Bautier et R. Goigoux. (en particulier pour les élèves de milieu populaire).

Vertige de l’autonomie

La plupart des méthodes actives nécessitent de l’autonomie de la part des élèves et l’importance de sa construction est souvent sous-estimée. Une grande partie de nos élèves ne sont pas capables d’autonomie dans leur travail et nous ne pouvons pas le leur reprocher, c’est à nous de la construire avec eux. Comment ? Nous n’avons pas encore de réponse claire, c’est un mélange de dispositifs collectifs et d’attention individualisée : affichage de plannings, organisation uniformisée des fardes, matériel distribué par l’école, moments prévus dans l’horaire pour faire à l’école ses devoirs et s’appuyer sur des pairs, entretiens individuels et contrats pédagogiques.
Le travail d’accompagnement est conséquent : l’organisation et le matériel (où j’ai mis la feuille ? C’est pour quand ? J’ai combien/ça prend combien de temps pour le faire ? Je n’ai pas de bic…) ; la gestion des ressources (qu’est-ce que je fais quand je ne sais pas ? Je demande au prof, à un camarade, à internet, à mes parents ?) — les élèves ont des accès inégaux aux ressources — ; la confiance (comment je me lance dans mes maths alors que je ne suis pas fait pour ça ? Je ne sais pas écrire, je ne sais rien faire…). Pour les élèves en difficulté, quelle que soit la pédagogie, la posture du professeur, sa sensibilité et sa connaissance des mécanismes de domination (et les outils qu’il se construit pour lutter contre cette domination) seront déterminantes pour ne pas laisser les élèves plus fragiles sur le côté. Mais, tout comme l’autonomie, la posture bienveillante ne se décrète pas, elle se travaille régulièrement (et pas seul).
C’est d’ailleurs pour moi un gros point noir des méthodes actives : une série de techniques sans éthique pour leur donner un sens. Entre collègues, on est tous d’accord pour développer l’autonomie, mais laquelle ? Celle de Paolo Freire ou de Montessori ? Pour l’émancipation collective ou l’épanouissement personnel ?

« Vous voyez, Madame  :
ici, c’est les bêtes et là, les intelligents. »

Samina me l’a glissé dans l’oreille à mon entrée dans leur classe de 2e où, le long du « U » formé par les bancs, les élèves semblent répartis entre les plus bobos d’un côté, et plus populaires de l’autre. Je n’ai rien trouvé à lui répondre, mais sa réflexion m’a signalé la fragilité de sa confiance en elle et m’a rendue attentive à essayer de la valoriser sur ce qu’elle réussit ou l’interroger sur ce qu’elle sait pour lui donner l’occasion de se valoriser parmi les autres.
On voudrait que nos méthodes pédagogiques plus modernes soient rassembleuses et gomment les inégalités entre élèves (dans mon école en tout cas…), mais l’écart est bien là. Ce mélange d’élèves de milieux populaires et favorisés semble potentiellement riche, mais très délicat si on ne veut pas renforcer les inégalités. L’accent mis sur l’expression dans les méthodes actives peut, par exemple, être un piège pour certains élèves de milieu populaire qui n’en saisissent pas les limites implicites. Si l’expression est encouragée (parfois exigée), les profs gardent l’habitude de préférer les interventions pertinentes plutôt qu’impertinentes. Certains élèves se retrouvent ainsi disqualifiés parce qu’ils ne choisissent pas le bon moment ou la bonne forme.
D’un autre côté, la place laissée à l’expression permet à certains élèves en difficulté avec l’écrit et l’abstraction de valoriser des compétences orales plus concrètes (en lien avec une réalité immédiate). Ça les raccroche à l’école et c’est important (d’ailleurs, quand nos élèves en décrochage brossent les cours, ils arpentent les couloirs plutôt que les rues, c’est déjà ça…) Mais, en même temps, ça ne les fait pas progresser dans l’écrit et l’abstraction qui sont le plus valorisés dans la société et donnent accès aux études supérieures, ce qui est une grande part de notre mission.
Cette fois, l’expression a au moins permis à Samina d’attirer mon attention et de me garder éveillée, en recherche pour lui garantir une place dans le groupe, une place dont elle serait fière.

L’importance du collectif

Pour moi, ce ne sont pas les méthodes actives qui favorisent l’intégration et l’apprentissage de chacun des élèves de notre école, mais le travail (du et en) collectif. La gestion du collectif est sous-estimée ou inexistante dans les outils pédagogie active qui auraient beaucoup à apprendre de la Pédagogie institutionnelle.
Par exemple, le travail de groupe et les projets aident les élèves à se connaitre, mais creusent aussi l’écart. Qui n’a pas connu le travail où il y en a deux qui bossent et les autres qui ne foutent rien ? Nous n’apprenons pas à travailler en groupe dans nos études et nous avons bien du mal à l’apprendre aux élèves. Nous utilisons des outils (donner des rôles, un timing, une répartition des tâches), mais il faut plus pour accompagner ; entre autres l’avoir expérimenté soi-même pour être réflexif sur la manière dont se répartissent les places, comment on partage (ou pas) le pouvoir, comment des institutions structurées permettent de réguler ces places et ce pouvoir. C’est l’objet des stages de Pédagogie institutionnelle.
Un point fort de mon école (qui devrait être incontournable dans des écoles actives) c’est que, dans notre pratique de prof, nous travaillons intensément en collectif pour construire nos modules de cours transdisciplinaires. On porte ensemble des projets, on s’essaye au Conseil, on réfléchit pour résoudre des problèmes. Ce qui amène, en miroir, par isomorphisme, à expérimenter ce qu’on fait vivre aux élèves dans nos cours ; comme des jeux de pouvoir, des désaccords, une nécessité de s’organiser ou de respecter le principe de réalité.
Et, comme pour les élèves, il nous faut des moments méta pour conscientiser ce qu’on apprend, sinon on ne peut pas le réutiliser dans un autre contexte. Pas évident de se trouver le temps et la rigueur de faire ces retours réflexifs, mais, quand on y arrive, c’est puissant.

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Comme les travaux de E. Bautier et R. Goigoux.