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Mener des rituels en classe pour amener l’élève, dès le début de sa scolarité, à comprendre ce qui se joue à l’école… Une pratique parfois peu connue ou mal comprise par les futurs enseignants. Quels outils utiliser en formation initiale pour les y sensibiliser ?

Un des enjeux prioritaires du Pacte pour un enseignement d’excellence est de réduire les inégalités qui influencent la réussite des élèves. Cette question est au cœur d’une réflexion menée par notre équipe depuis plusieurs années dans notre Haute École. Comment amener nos étudiants à prendre conscience des mécanismes qui reproduisent les inégalités sociales en inégalités scolaires? Comment les aider à concevoir des outils et à mettre en place des pratiques pour lutter contre cette reproduction?

« Grâce au rituels, le passage de l’enfant au statut d’élève est favorisé. »

Nous avons mené une réflexion autour de la construction de repères pour permettre à l’enfant de se construire une identité d’élève. En section maternelle, l’instauration de rituels est un incontournable pour aider l’élève à mettre un pied (et le bon!) dans l’école. Quand ils sont réfléchis en fonction des besoins des élèves, ils leur permettent de comprendre et d’utiliser les codes de l’école. Le rituel est défini comme «des pratiques régulièrement reproduites visant à favoriser la transition de la famille vers l’école. Ils rendent explicites, pour les élèves, les objectifs poursuivis par l’école, qu’ils soient de l’ordre de l’intégration (en référence également au vivre-ensemble, aux règles de socialisation), mais aussi de l’enseignement-apprentissage (ils favorisent l’entrée et la sortie de l’apprentissage). Ils contribuent à initier l’enfant à une nouvelle forme de rapport à l’autre et à la construction d’un rapport positif au savoir. Grâce à eux, le passage de l’enfant au statut d’élève est favorisé[1]A. Boskin, A. Campo, et S. Sauvage, Des rituels pour assurer le passage enfant-élève, HELMo/Edipro, 2021.».

Quand l’enseignant annonce de manière explicite et ritualisée l’objectif d’apprentissage, par exemple à chaque fois au début des consignes, l’élève percevra mieux l’enjeu de la tâche, car il sera habitué à ce mode de fonctionnement. Comme dit Roland Goigoux[2]R. Goigoux, « Les sept malentendus capitaux », 1998, https://miniurl.be/r-48zg : «Pour penser, il faut être en sécurité.» Les rituels visent une double sécurité tant affective que cognitive.

Un autre exemple peut être lié aux rituels, il s’agit d’aider les élèves à identifier quels sont les adultes référent. En effet, au début de la scolarité, les jeunes enfants seront rassurés de savoir qui surveille dans la cour. Si cet élément peut apparaitre anodin, il est essentiel chez les plus jeunes. Il s’agit donc de ritualiser ce temps de communication, afin de leur permettre de vivre sereinement ce moment.

Pas en mode automatique

Dans le cadre de leurs stages, les étudiants sont amenés à mener ces rituels. Ils reproduisent alors ce qu’ils ont perçu de leur mise en œuvre par l’enseignant titulaire sans pouvoir réellement accompagner les élèves dans leurs démarches. Il en résulte des pseudorituels menés de façon mécanique sans que ni les étudiants ni les élèves ne perçoivent les enjeux de ce qui devrait se construire.

En équipe, nous avons donc décidé de travailler autour de pratiques existantes. Nous avons filmé des temps de rituels dans des classes maternelles et créé des supports pouvant servir à l’analyse. En collaboration avec des équipes enseignantes et des étudiants, nous avons publié un ouvrage [3]A. Boskin, A. Campo, et S. Sauvage, Des rituels pour assurer le passage enfant-élève, HELMo/Edipro, 2021. qui présente les différentes catégories de rituels. Chaque rituel proposé y est décrit dans une fiche outil détaillée et accompagnée d’une grille d’analyse. Des développements théoriques permettent d’étayer les propos.

En continuité

Avec les étudiants de Bloc 1, notre objectif est de définir ce qu’est un rituel, à quoi il sert et en quoi il permet à l’enfant de se construire une identité d’élève. Nous souhaitons qu’ils se rendent compte de l’importance de leur rôle dans la construction des repères qui permettent à tous les enfants de mieux comprendre le fonctionnement de la classe et de l’école. Nous nous concentrons sur les rituels les plus visibles comme les repères dans le temps avec le calendrier ou encore les repères d’appartenance au groupe pendant le moment du registre des présences. Nous analysons des séquences filmées pour tenter d’identifier des gestes qui permettent aux rituels de remplir leur fonction. De plus, les rituels peuvent être le support à d’autres apprentissages. La prise des présences peut être une occasion pour s’entrainer à dénombrer les élèves présents en classe, par exemple. Lorsque nous visionnons des séances de rituels, les étudiants ont tendance à focaliser leur attention sur ces apprentissages au détriment de la construction de repères. Nous les amenons à se questionner sur ce qui est prioritairement visé et comment l’enseignant y parvient.

Voici un extrait du rituel du calendrier qui montre la manière dont l’enseignante permet aux élèves de construire des repères temporels liés à la vie de la classe.

I. : Je vais placer les fiches avec l’activité de chaque jour. J’appellerai chaque fois un copain pour nommer un jour, pour dire un jour à installer et un autre copain pourra venir chercher la fiche qui correspond. Ça va? Alors, Nila, tu commences?

El. : Lundi.

I. : Lundi. Olivier, tu viens chercher la fiche avec l’activité de tous les lundis?

L’élève la prend.

I. : Voilà, tu peux la placer. Alors quelle activité fait-on tous les lundis?

El. : Le cercle magique.

I. : Que doit-on encore noter chaque semaine? Des activités qu’on ne fait pas tous les lundis, tous les mardis, tous les mercredis. Mila?

El. : Euh…

I. : Des activités qui changent de jour, comme quoi par exemple?

El. (Mila) : La bibliothèque.

I. : Ah, la bibliothèque, on n’y va pas cette semaine. On n’ira pas écouter les histoires de Mme Chantal, donc on ne va pas le noter. Il y a deux choses que l’on doit noter chaque semaine. Oui?

El. : Les vélos.

I. : Les vélos. Alors, les vélos, vous les aurez demain, mardi et cette semaine-ci vous les aurez également jeudi. Alors, il y a encore autre chose à noter. Quelque chose que l’on ne fait pas tous les jours, le même jour. Personne?

Le livre permet également de présenter des supports et des démarches qui peuvent être analysés. Nous souhaitons ainsi les outiller pour pouvoir observer la manière dont leurs maitres de stage permettent la construction de ces repères chez leurs élèves.

En Bloc 2, nous abordons la ritualisation de la mise en apprentissage par l’explicitation des objectifs d’apprentissage et la sortie de l’apprentissage par le travail réflexif autour des tâches vécues. Le but ultime étant que chaque élève puisse se poser les questions qui l’amènent à percevoir l’enjeu des tâches qui lui sont proposées et de dégager ce qu’elles lui ont permis d’apprendre au terme de celles-ci. Lorsque nous analysons une séance de rétroaction sur une tâche d’apprentissage, souvent, les étudiants perçoivent le questionnement très précis qui est mené par l’enseignante — Comment t’y es-tu pris pour? Pourquoi as-tu agi ainsi? Comment peux-tu être plus efficace? — comme un temps très contraignant pour les élèves. Nous devons les amener à comprendre que les apprentissages ne se limitent pas à la manipulation et que ce temps de formalisation est indispensable.

En Bloc 3, nous abordons de manière plus approfondie la construction de l’identité d’élève. Nous axons la réflexion sur les gestes professionnels ritualisés que l’enseignant peut mettre en œuvre afin de favoriser le changement de statut d’enfant à élève, de faciliter la transition entre la famille et l’école, mais aussi de construire la relation entre la famille et l’école. En effet, tisser des liens entre les familles et l’école est essentiel et a notamment été mis en évidence par les travaux menés par la Fondation Roi Baudouin[4]Voir l’école maternelle en grand ! Des compétences clés pour mieux prendre en compte la précarité et la diversité, FRB, 2019. https://miniurl.be/r-48zh Écoles maternelles et familles en … Continue reading. Cette réflexion est organisée via un module, notamment en lien avec le cours d’élaboration du projet professionnel. Par exemple, pour favoriser le changement de statut d’enfant à élève, l’enseignant peut inviter l’élève, sur la base du tableau des présences, à déplacer son prénom du domicileversl’école. Il s’agit donc pour l’enfant de vivre symboliquement ce changement. L’enseignant peut aussi rappeler les règles de fonctionnement de la classe, ce qui favorise aussi la compréhension des codes de l’école.

Amener les étudiants, futurs enseignants, à penser, conceptualiser et tester différents rituels nous semble être une porte d’entrée intéressante pour développer une identité professionnelle forte et amener chacun des élèves qui leur sera confié à développer les attendus scolaires.

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 A. Boskin, A. Campo, et S. Sauvage, Des rituels pour assurer le passage enfant-élève, HELMo/Edipro, 2021.
2 R. Goigoux, « Les sept malentendus capitaux », 1998, https://miniurl.be/r-48zg
3 A. Boskin, A. Campo, et S. Sauvage, Des rituels pour assurer le passage enfant-élève, HELMo/Edipro, 2021.
4 Voir l’école maternelle en grand ! Des compétences clés pour mieux prendre en compte la précarité et la diversité, FRB, 2019. https://miniurl.be/r-48zh
Écoles maternelles et familles en situation de précarité : ensemble pour accompagner l’enfant dans son parcours scolaire, FRB, 2014. https://miniurl.be/r-46xb