Vu de la direction de l’école

Roue de secours, juge de cour d’appel, Zorro, vaccin préventif : autant de rôles que peut tenir le directeur auprès des enseignants et de leurs élèves. Dans tous les cas, c’est une gestion humaine délicate.

Le directeur d’école est souvent le réceptacle des difficultés rencontrées par les uns et les autres. Il lui est difficile d’apporter des réponses là où les enseignants désemparés, voire en détresse, attendent des solutions miracles et immédiates. Dans l’urgence, il ne peut guère que modifier la physionomie de la classe, déplacer éventuellement l’un ou l’autre élément perturbateur, en sachant que rien ne sera ainsi vraiment résolu.

Lorsque j’ai été amené à agir face à des élèves ou des groupes qualifiés de difficiles, j’ai avant tout veillé à écouter avec authenticité et une bienveillance neutre les plaignants quels qu’ils soient, de manière à ce qu’ils se sentent respectés et pris au sérieux. Ensuite, j’ai essayé de ne pas prendre position immédiatement et de me donner un temps d’observation, en passant régulièrement dans la classe ou en rencontrant les élèves concernés, puis d’analyse. L’exercice est délicat: mon statut de directeur entraine une baisse de la tension dès que je pénètre dans une classe.

Je me souviens d’un enseignant novice qui avait toutes les difficultés à établir un climat de travail serein. Mes interventions auprès des élèves, souvent à sa demande, donnaient lieu à des discussions intéressantes et constructives avec les élèves, mais je mesurais l’ambigüité de leurs promesses faites devant moi et la rapide transgression de celles-ci une fois que j’étais parti. L’expression « être une petite souris » prend ici tout son sens, mais est peu réaliste.

À l’inverse, il m’est arrivé de rencontrer des situations qui ont lentement dégénéré parce que l’enseignant n’a pas voulu reconnaitre sa difficulté face à un groupe et n’a surtout pas su avouer qu’il ne s’en sortait plus. Il importe que le directeur fasse savoir que chacun peut à un moment ou un autre venir lui confier son désarroi ou son impuissance avec des classes difficiles. Il m’est arrivé, il est vrai, de ne pas toujours le comprendre ou l’admettre, et de répondre un peu trop rapidement à tel enseignant que s’il trouvait telle classe difficile, alors il n’avait encore rien vu. Paroles non constructives qui n’aident en rien!

L’évaluation que fait un enseignant de la difficulté de sa classe est souvent liée, je crois, à la relation qu’il entretient avec ce groupe classe et au cadre institutionnel qu’il a réussi, avec ou sans le soutien de ses collègues, à poser avec ses élèves. C’est pourquoi la mise en place de dispositifs au sein de la classe offre une piste intéressante : par exemple des lieux d’écoute active mutuelle, de réels espaces de paroles où les échanges et partages d’idées offrent aux élèves et à l’enseignant des sas, où les uns et les autres apprennent à se respecter. Des conseils de classe, voire des conseils d’école[La mise en place de tels conseils ne s’instaure pas n’importe comment et demande une formation préalable des enseignants qui s’y impliquent.] sont aussi des lieux où les choses peuvent être dites et où les élèves, en étant pris en considération, peuvent partiellement construire leur cadre (du moins dans la partie négociable) et se responsabiliser. Cela apporte à la fois d’autres interrelations et un climat plus serein qui atténuera probablement quelques difficultés.

Ainsi, j’ai eu l’occasion d’instituer tant dans mes classes (comme instituteur) qu’au niveau de toute l’école (comme directeur) des conseils qui avaient un double objectif : proposer et construire ensemble des projets que nous nous approprions conjointement, et avoir un espace de gestion des relations entre élèves et avec les adultes. Chaque semaine le conseil de classe, préparé par trois élèves et moi-même (un président de séance, un secrétaire et un gardien du temps), traitait de trois thématiques en lien avec les objectifs décrits précédemment.

Ces temps, minutés et cadrés, d’échanges, d’écoute, de confrontations, de prises de décisions (actées par le secrétaire) et donc d’apprentissages ont permis de construire avec les élèves non seulement des projets, mais aussi une dynamique de groupe qui, de façon plus implicite et pas toujours garantie, apporte un climat plus apaisant, en particulier avec des groupes plus difficiles. De la même manière, au niveau d’une école, des projets collectifs ont vu le jour et des conflits latents de cours de récréation (comme le partage du territoire pour les jeux de ballon) ont partiellement trouvé des issues favorables.

Un regard extérieur

Lorsque l’école est confrontée à d’importantes difficultés, je crois aussi qu’il ne faut pas hésiter à faire appel à des partenaires extérieurs. Ainsi, pour une classe de 6e primaire[La dernière année du primaire en Belgique.] agitée par de nombreux conflits, j’ai fait intervenir une psychologue d’un centre de planning familial voisin de l’école. Quelques heures de dialogue avec le groupe, sans ma présence, ont fait naitre un nouvel esprit plus positif. Ce type de démarche n’est certainement pas la panacée, mais mérite d’être plus utilisé par les enseignants. C’est souvent par méconnaissance de ce que d’autres peuvent apporter ou par peur d’un regard extérieur jugeant que l’école peine à travailler avec ces partenaires. Or, l’école n’est pas toute seule. L’aide de personnes qui ont à la fois un autre rapport avec les élèves, mais aussi un regard neutre peuvent souvent être bénéfiques. Elle nous rappelle que les enseignants ne sont pas des thérapeutes et n’ont pas pour mission (impossible) de résoudre tous les maux des élèves, qui sont souvent les maux de l’institution et de la société.