Y’a plus d’poissons, y’a plus d’reptiles !

Et si on se demandait quel animal était parent avec quel autre plutôt que de chercher de qui chacun était le descendant ?

Après la lecture de l’ouvrage coordonné par G. LECOINTRE, Comprendre et enseigner la classification du vivant[1]G. LECOINTRE (dir.), Comprendre et enseigner la classification du vivant, Guide Belin de l’enseignement, 2004., l’idée est venue d’organiser un atelier de formation professionnelle pour les futurs instituteurs maternels de premier Bac, axé sur le thème : trier, ranger, classer. Il est fortement inspiré de la démarche décrite dans cet ouvrage.

Observer pour trier

Par groupe, les participants observent et manipulent librement une vingtaine de figurines d’animaux en plastique disposés devant eux. Chacun à son tour, les participants choisissent un critère de tri sans le dévoiler aux autres membres du groupe et réalisent les groupes d’animaux correspondants. Les autres devinent le critère sélectionné et le notent.

Une mise en commun des critères utilisés par chaque groupe permet de dégager les critères pertinents dans cette situation de ceux qui le sont moins. Par exemple, trier les animaux selon le critère du milieu de vie ne semble pas pertinent, puisque l’observation, même fine, des figurines ne permet pas de définir clairement le milieu de vie. De même, faire appel à des acquis antérieurs non vérifiables par l’observation ne convient pas : insectivore, nocturne… Nous éliminons aussi les appellations de groupes qui ne se fondent pas sur l’observation : mammifères, chats, félins…

Les critères pertinents de tri des vingt objets doivent donc relever de l’observation directe des figurines, par exemple : la taille réelle[2]Une minuscule girafe sera considérée comme plus petite qu’un gros cochon ; alors que dans la réalité, c’est souvent l’inverse… de l’objet, la couleur, les textures, la présence de parties observables (dents, queue, yeux, bosses, creux, lignes…), la position de l’animal (couché, debout, tête inclinée…).

Alors que cette première partie pose rarement problème pour les étudiants ou les enfants, les collègues scientifiques, lorsqu’ils participent à cet atelier font, eux, d’abord appel à des connaissances antérieures pour dégager des critères de tri, avant d’observer le matériel fourni. Ils ont des difficultés à entrer dans l’exercice. De plus, certains critères vont entrainer un tri qui n’évoque pas pour eux nécessairement un travail scientifique : si le critère choisi pour trier est la texture du plastique de la figurine, une poule peut se retrouver dans le groupe d’un ours blanc…
Quand les étudiants sont au clair avec la notion de critère pertinent ou non, ils retournent en groupe et essayent de réaliser un arbre de tri (dichotomique) en utilisant des critères pertinents, de façon à isoler chacune des figurines dans une case. Les étudiants notent les arbres ainsi tracés.

Trier ou classer ?

Cette démarche de tri s’apparente à la démarche de détermination d’une espèce à l’aide d’une clé de détermination. On détermine pour « ranger » un individu dans un groupe défini au préalable par un ou plusieurs critère(s), mais cela ne raconte pas pour autant quels sont les liens qui unissent ou non les différents groupes entre eux, et surtout pas les liens de parenté.
Pour réaliser un exercice de classement, il faut d’abord bien fixer le but que l’on poursuit. Nous essayons de comprendre les relations de parenté entre les individus en recherchant les critères communs qui justifieraient l’existence d’un ancêtre commun.

L’exercice se poursuit sur une collection de cartes[3]On peut aussi utiliser le logiciel de travail gratuit proposé par l’équipe de LECOINTRE : http://www.inrp.fr/Acces/biotic/evolut/phylogene/accueil.htm représentant des animaux « de la ville »[4] Collection extraite du livre de G. LECOINTRE.. Il s’agit donc de trouver les caractères qu’ils partagent tous ou en partie et de dessiner des ensembles emboités pouvant signifier une parenté. Par exemple, parmi les animaux (avec bouche et yeux) qui ont un squelette interne et quatre membres, je distingue ceux qui partagent des mamelles, des poils et des oreilles à pavillons externes de ceux qui ont des plumes et de ceux qui ont des nageoires à rayons… On n’est donc pas dans une logique duale (« a » ou « n’a pas »…), mais dans un ensemble de caractères partagés par plusieurs individus, qui indique l’existence d’un ancêtre commun.

La difficulté ici est de bien comprendre la différence entre un arbre généalogique (qui descend de qui ?) et un arbre phylogénétique (qui est plus proche de qui ?). Ici, on cherche des caractéristiques communes qui signifieraient donc un ancêtre commun, identifié ou non.
Un tableau à remplir reprend les caractères dont on peut tenir compte (des yeux, trois paires de pattes…) pour construire les ensembles emboités avec la collection de fiches fournies. Pour pouvoir répondre aux questions qui se posent, des fiches documentaires sont disponibles contenant des informations d’ordre général et plus pointues : « Est-ce qu’une grenouille a un cou ? », « Combien de vertèbres le constituent ? ».

Avec le tableau à remplir (et pas à construire), l’exercice est plus aisé, mais les enseignants réalisent que choisir des critères pertinents au niveau phylogénétique est extrêmement difficile (ce que j’appelle « une griffe » chez la poule, est-ce la même chose, avec la même origine chez le chat ?). L’exercice doit être très cadenassé, avec un choix d’espèces puis de critères (états dérivés de caractères homologues) très précis. Certains parlent de « téléguidage » de l’exercice, d’autres parlent de la difficulté de réaliser l’exercice sans connaissances scientifiques poussées.

Quand les emboitements sont réalisés, on peut alors représenter les espèces en arbre phylogénétique, traçant ainsi la filiation la plus plausible entre les espèces de la collection.
Là aussi, c’est l’étonnement. Par exemple, le lézard apparait comme plus proche de l’oiseau que de la tortue. Le groupe des « reptiles » constitue un groupe paraphylétique (avec un ancêtre commun, mais ne comprenant pas tous les descendants – ici, les oiseaux). Cette appellation de groupe devra donc disparaitre du langage d’enseignement. De même, si on suit la logique de regrouper les individus selon des caractères partagés, le nom « invertébrés » ne peut subsister… On ne peut pas définir un être vivant par ce qu’il ne possède pas ; le groupe des invertébrés comprenait des espèces aussi différentes que le poisson l’est de la souris !

Déconstruire prend du temps, surtout quand les conceptions scientifiques sont ancrées depuis longtemps. Au-delà du respect de la phylogénie, il y va aussi de la construction de l’image de la place de l’homme parmi les espèces vivantes[5]Regardez aussi à ce propos le documentaire produit par France 5, ARTE, le CNRS et le Musée national d’histoire naturelle de Paris : Espèces d’espèces, vendu notamment avec le numéro 1105 de … Continue reading. À l’image de nos voisins de France, autant s’y atteler rapidement.

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 G. LECOINTRE (dir.), Comprendre et enseigner la classification du vivant, Guide Belin de l’enseignement, 2004.
2 Une minuscule girafe sera considérée comme plus petite qu’un gros cochon ; alors que dans la réalité, c’est souvent l’inverse…
3 On peut aussi utiliser le logiciel de travail gratuit proposé par l’équipe de LECOINTRE : http://www.inrp.fr/Acces/biotic/evolut/phylogene/accueil.htm
4 Collection extraite du livre de G. LECOINTRE.
5 Regardez aussi à ce propos le documentaire produit par France 5, ARTE, le CNRS et le Musée national d’histoire naturelle de Paris : Espèces d’espèces, vendu notamment avec le numéro 1105 de Science et vie (octobre 2009).