Il y a de bonnes raisons de croire qu’en formation d’adultes, enseignants de surcroît, la question de l’autorité du formateur ne se pose pas.
Ce sont des adultes, ils sont « éduqués », socialisés et savent donc comment se comporter en société. Confrontés eux-mêmes au quotidien à des difficultés de gestion de groupe, ils savent ce qu’il ne faut pas faire pour perturber un groupe en apprentissage. Ils ont besoin et envie d’améliorer leurs compétences pour faire face aux situations professionnelles problématiques. Et s’ils rencontrent une difficulté de compréhension ou un problème relationnel, ils vont faire les démarches.
Hé bien détrompez-vous !
En effet, même en formation d’adultes sur base volontaire, il n’est pas rare de devoir faire face à des incidents comme sonneries de GSM, sorties du local à des moments inadéquats, arrivées tardives, départs anticipés, bavardages, prises de parole intempestives, bouderies, distributions de bonbons, remises en cause du bien-fondé d’une activité, refus de faire un exercice ou de présenter un travail collectif, …
Comment cela s’explique-t-il ?
Être adulte et socialisé n’empêche personne de retrouver des attitudes infantiles dès qu’il vit en situation de groupe. Venir en formation, c’est se remettre en situation d’apprendre et donc, immanquablement, revivre inconsciemment des souvenirs et des attitudes scolaires et cela d’autant plus vivement que la formation est obligatoire. C’est aussi être sous le regard des autres avec tout ce que cela comporte d’angoisse et de fantasmes. C’est ainsi qu’on peut retrouver, parmi les participants, un certain nombre d’attitudes qui ressemblent à celles des élèves avec ce que ça peut avoir d’étonnant !
C’est pourquoi, même si ce sont des adultes, il est important que le formateur fasse preuve d’autorité : d’une part en veillant à ce que chacun puisse trouver sa place et d’autre part, en assumant pleinement sa fonction de garant du groupe.
Dans un premier temps, un groupe en formation est souvent insécurisé : qu’est-ce qu’on va me demander de faire ? Est-ce que je serai à la hauteur ? Et les autres, vont-ils me juger ? Vont-ils m’aimer ? Vais-je trouver ma place dans le groupe ? Et qui est ce formateur ? Est-ce qu’il va m’apprendre quelque chose ? Chacun est là, dans une attitude d’observation et d’attente.
C’est pourquoi, il est du devoir du formateur de fixer les règles de protection du groupe, c’est-à-dire préciser ce qui est attendu de chacun en termes de présence, de participation et de comportement. Cela fait partie de la fonction de formateur de dire comment on va vivre et travailler ensemble.
Toutefois, il est important d’éviter de tomber dans l’excès d’attitudes trop normatives qui naturellement provoquent soit la soumission à l’autorité soit son rejet. C’est pourquoi, à côté des attentes, le formateur veillera également à donner des permissions : avoir le droit de donner son avis, de ne pas être d’accord avec le formateur ou avec d’autres participants, de ne pas prendre la parole, d’essayer une mise en situation sans être jugé, de ne pas réussir comme on voudrait, de formuler des demandes, …
Il s’agit donc bien d’autoriser chacun et chacune à ressentir ce qu’il vit, à dire ce qu’il pense et à agir en adulte capable d’autonomie, … c’est-à-dire rendre l’autre « auteur » de lui-même, de ses actes, de ses sentiments et de ses pensées.
Ce qui précède peut apparaître comme une évidence et pourtant, ce n’est pas si simple d’oser assurer cette fonction de garant d’un groupe d’adultes. D’une part, en formulant le cadre et d’autre part, en confrontant les participants en cas de non respect de celui-ci.
Il s’agit bien pour le formateur de s’autoriser à réagir face au groupe.
Voici quelques situations vécues à partir desquelles j’ai compris quelle devait être ma position d’autorité dans un groupe d’adultes.
En tout début de formation, un professeur à la mine renfrognée s’assied ostensiblement à l’arrière du groupe, en dehors du cercle prévu. Je ne lui ai rien dit, me disant intérieurement : « Celui-là, il n’a pas l’air commode, laissons-le bouder dans son coin ! ». Et c’est ainsi qu’il m’a préoccupée toute la journée (et d’autres participants sans doute aussi), au point que je n’ai pas pu être vraiment disponible pour le groupe et que la journée a été bien difficile pour tout le monde. Depuis lors, lorsqu’un participant prend ainsi une place de retrait, je l’invite à rejoindre le groupe. S’il résiste ou refuse, je lui dis « Ça a l’air d’être bien lourd pour vous de venir travailler avec nous aujourd’hui ! ». S’il persiste dans ses attitudes bougonnes, je précise mes limites de tolérance et je le questionne sur le sens de sa présence.
Il est 14 heures, nous sommes en pleine préparation d’un jeu de rôle sur les conseils de classe quand entre, sans frapper, un professeur que je n’avais pas encore vu de la journée et dont je n’avais entendu parler par personne. Tout sourire, sans rien demander, il cherche une place et s’installe. J’ai le souffle coupé, je le suis du regard et je poursuis le travail avec le groupe : jeu de rôle et ensuite analyse du vécu de mise en situation. C’est à ce moment-là que notre nouveau venu se permet de mettre en doute la pertinence de ce type d’animation qui, d’après lui, ne correspond en rien à la réalité et n’apportera aucune solution au problème. En le laissant s’asseoir dans le groupe sans y être autorisé, je lui laissais l’occasion d’avoir une place dans le groupe qui ne lui revenait pas. En effet, n’ayant pas participé à la matinée, il lui était difficile d’entrer dans la dynamique du groupe et de comprendre le sens de notre jeu de rôle.
Aujourd’hui, je n’autorise plus des entrées tardives dans un groupe sans au moins qu’il y ait une parole préalable avec moi et ensuite avec le groupe.
Ce jour-là, le repas de midi s’était éternisé, nous amenant à démarrer l’après-midi près d’une heure plus tard que prévu. Nous prévoyons donc de travailler sans pause, pour le temps qui nous reste. En milieu de séance, une des personnes sort sans rien dire. Au moins un quart d’heure plus tard, elle entre, les mains remplies de biscuits trouvés dans le couloir et claironne « Qui veut des bonbons ? », sans se préoccuper aucunement de l’exposé en cours et se met à les distribuer à tous, y compris aux formateurs. Tellement surprise, j’ai laissé chacun manger son biscuit. Elle a réussi à détourner sur elle l’attention de tout un groupe. Je n’ai pas osé la confronter ni avec sa sortie, ni avec son entrée. Je l’ai ainsi laissée prendre toute la place, m’éclipsant à son profit, en donnant plus d’importance aux biscuits qu’à l’apprentissage.
C’est ainsi qu’au fil des expériences d’incidents qui parasitent le travail d’un groupe en formation, je comprends mieux que l’inconscient de chacun s’active en situation de groupe et qu’il est de ma responsabilité, non pas d’analyser et de comprendre le comportement de chacun mais, de border le groupe, de le contenir dans l’espoir que quelque chose de neuf puisse se passer sans que cela nous dépasse.