Soupir !
J’ai décidément le désir et le souci de faire virer tout ça à gauche.
Depuis trois ans, nous participons à un concours d’affiches dont le thème est ouvert, à caractère social ou politique. « l’engagement », « le travail » « images du monde, monde des images » étaient les thèmes des années précédentes. Cette année, le thème est « drogues, plaisir, risques, dépendances ».
Pour chaque thème, chaque étudiant doit pouvoir avoir quelque chose à dire. Et ça je peux les y forcer, et le groupe peut aider : on récolte les infos extérieures, on travaille sur nos représentations propres sur le sujet, chacun détermine ce qu’il a envie ou besoin de dire, décide à qui il le dit… On fait du graphisme politique. Chacun fera son affiche, parce que chacun doit pouvoir s’exprimer.
Il faut faire un tirage grand format pour le concours. Cela coute minimum 1500 francs. Trop cher. On passe par la caisse de l’école. La directrice accepte de payer les frais de 15 tirages plus les frais d’envois vers la France. En attendant les projets sont présentés en classe en technique libre et format réduit.
Il faut sélectionner les 15 affiches. Il y en a 75 en jeu, répartis en 3 classes et 2 profs. Chaque classe élit 2 délégués à la sélection. Avec les deux profs, nous sommes donc 8 à choisir les 15 affiches qui seront envoyées.
La récompense ? Toutes ces affiches seront exposées au festival international de l’affiche à Chaumont et reproduites dans un catalogue distribué dans toutes les écoles participant au concours et réparties aux quatre coins du monde. Le premier prix ? L’étudiant dont l’affiche a été primée reçoit comme mission de réaliser l’affiche du festival de l’année suivante dans le cadre d’un stage, aidé par une équipe de professionnels. Ce travail est rémunéré.
Nous n’établissons pas de lien à priori entre le fait que des affiches soient sélectionnées et les notes attribuées lors de l’évaluation finale. L’évaluation est faite par le prof d’un côté (je propose une note que je garde un certain temps secrète) et par l’étudiant de l’autre (il propose une note pour son travail sur base d’une grille d’évaluation reprenant les objectifs et critères liés au travail). Lorsqu’il y a concordance entre la note de l’étudiant et la mienne, elle est fixée et on n’en parle plus. S’il y a différence, l’étudiant peut, s’il le désire, venir avec ses arguments écrits défendre son point de vue, la note peut alors être discutée sur base des arguments respectifs.
J’aurais pu éviter ce concours, par principe. Mais la pratique des concours est une longue tradition dans l’enseignement des arts, et celui-ci nous permet de travailler à gauche :
– sur le contenu et le rapport au savoir ;
– sur la démarche ;
– sur les décisions et le rapport au pouvoir ;
– sur le rapport au travail et à l’argent.
Reprenons les 4 points du petit briefing
– Un projet en graphisme peut viser à répondre aux exigences d’un client commercial qui s’offrira le luxe de pouvoir choisir au moindre cout 75 projets répondant à sa commande. Projet qu’il pourra exploiter à des fins commerciales incontrôlables par les étudiants. Nous avons choisi d’essayer de rendre les étudiants capables de se situer politiquement.
– Un projet de graphisme peut viser à un projet abouti de qualité professionnelle et apprendre à se servir des technologies nouvelles, mais les étudiants ne sont pas des professionnels, leurs moyens financiers sont très inégaux. Nous avons choisi de ne pas tenir compte de ce critère pour le choix des meilleures affiches, et de trouver un moyen de financement identique pour toutes.
– Tout travail mérite salaire. Pas seulement le meilleur. Nous avons choisi de participer à un concours valorisant un maximum de participants et ou personne ne reçoit, par un choix sinon hasardeux au moins subjectif, une somme tombée du ciel.
– Bien sûr que dans la vie réelle il y aura quelquefois un client ou un patron qui choisira unilatéralement ce qu’il aime ou qu’il n’aime pas sans s’en justifier. Nous avons choisi la participation et la réflexivité critique.
Nous avons aussi visé la prise de conscience de tout ceci par les étudiants.