Nombreux sont les modèles d’enseignement de par le monde. Vincent DUPRIEZ distingue néanmoins trois grandes tendances relatives à la structure de l’enseignement secondaire : celle qui opte pour un tronc commun général le plus longtemps possible (le modèle anglo-saxon), celle qui sélectionne, dès le plus jeune âge, les élèves destinés à l’enseignement professionnel et, enfin, celle qui se situe entre les deux modèles précités (le modèle dit « latin »). État de la question.
Lorsque nous l’avons contacté, Vincent DUPRIEZ nous a proposé de commencer par poser ensemble la question de la place de l’enseignement professionnel dans l’enseignement. « Il faut savoir que dans le passé, la formation technique et professionnelle était une formation qui se faisait dans des lieux clairement distincts des collègues et lycées, que l’école comme institution noble s’en mêlait peu. Elle était prise en charge sur le tas par les corporations et puis, à la fin du 19e, par les écoles agricoles ou industrielles. Dans les collèges, on s’occupait des connaissances générales. On apprenait une discipline culturelle et intellectuelle, mais on n’y mêlait pas de formation technique et professionnelle. Donc dans les pays industrialisés, les lieux de formations sont distincts. C’est le schéma de tous les pays du monde au 19e et jusqu’au début du 20e. »
La période qui suit la Deuxième Guerre mondiale voit les États-Unis bousculer ses structures différenciées des jeunes. Ce changement donne naissance à ce que l’on appelle aujourd’hui le modèle anglo-saxon qui voit le jour suite au besoin de main-d’œuvre qualifiée. « L’option prise en terme de politique éducative est la suivante : il faut une formation générale pour tous qui va bien au-delà de l’enseignement primaire. Jusqu’à ce jour, ceci n’a pas vraiment changé. Le projet éducatif est de dire que l’enseignement secondaire doit donner une formation générale à tous. » nous explique-t-il. Aujourd’hui, on retrouve ce modèle de l’Australie au Canada, en passant par les pays scandinaves.
« Je plaide pour un modèle avec un tronc commun long et général. »
Quid de la formation professionnelle ? « Elle est postposée et n’a plus sa place avant la fin de cette formation de tronc commun pour tous jusqu’à 16 ans. » Conséquences ? Les jeunes que l’on retrouve dans les lieux de formation professionnelle ne sont donc plus soumis à l’obligation scolaire. Vincent DUPRIEZ a eu l’occasion de visiter certains centres de formation au Québec. « Ces centres regroupent des jeunes de 16 à 17 ans, mais aussi des adultes en recyclage qui suivent la formation. On a donc affaire à un public hétérogène que ce soit en termes d’âge, de parcours ou encore de projet professionnel. Cette réalité change radicalement les conditions de travail et de formation. Personne n’est contraint d’être là. » Étroitement connecté au monde de l’entreprise, il fait remarquer que « Dans ces centres, le climat éducatif n’a rien à voir avec celui de nos écoles professionnelles. Il y a une socialisation professionnelle qui se fait dans le contact avec les adultes en formation continue et au moyen d’outils technologiques de pointe ».
Mais que deviennent les élèves qui ne s’en sortent pas dans l’enseignement général ? « On ne peut pas reléguer des élèves vers des filières professionnelles vu qu’elles n’existent pas ! En fonction des pays, on peut alors observer diverses formes de prise en charge des élèves en difficulté. : du soutien pédagogique étroit des pays scandinaves à la différenciation intra classe des pays anglo-saxons. En Angleterre, par exemple, au sein de la même école ou la même classe, il y a différenciation. Dans la même classe, pour la même discipline, tout le monde ne passe pas toujours le même examen, par exemple ».
Le deuxième modèle est propre à l’Allemagne, l’Autriche ou encore le Luxembourg. Ce modèle, appelé sans grande surprise le modèle germanique, a une double caractéristique. « Ils n’ont pas fait le choix de la même formation pour tous pendant longtemps, mais bien une séparation précoce des élèves. », explique Vincent DUPRIEZ. En Allemagne, par exemple, la séparation a lieu à l’âge de 10, 11 ans déjà. Aussi, l’enseignement professionnel dispensé par la suite à ces jeunes est construit sur le modèle de l’alternance.
« Ce modèle fonctionne sur base d’une collaboration très étroite avec les entreprises. En effet, ils passent la moitié du temps scolaire au sein de l’entreprise. Reste alors deux jours et demi à l’école. » Jusque-là tout va bien ? Pas vraiment. « On connait bien les effets pervers du modèle allemand : ce modèle est le moins égalitaire. Les inégalités sociales des parcours scolaires sont très importantes. Leur plus grande faiblesse c’est la sélection précoce. Car la possibilité une fois que l’on a été orienté de revenir est presque impossible. »
Par contre, ce modèle permet rapidement aux jeunes de trouver un emploi à la sortie de l’école, car « La connexion forte qui existe entre l’école et le monde du travail fait que les élèves ont eu une formation très proche de ce que demandent les employeurs. Du coup, les élèves trouvent beaucoup plus vite un travail que dans les autres pays. »
N’y a-t-il pas, au sein de l’opinion publique, une opposition à cette connexion entre l’école et le monde de l’entreprise ? « À ma connaissance, non ! J’ai l’impression qu’une part importante de l’opinion en Allemagne et en Suisse tient à ce modèle. En Allemagne, ce modèle existe depuis longtemps et n’est pas remis en question, car c’est un modèle scolaire qui fait partie de la culture professionnelle. Il est ancré dans la culture des entreprises et reconnu comme valide par les syndicats. C’est ce qui en fait sa force. » Mais sa force est aussi sa faiblesse. « Certes, l’adéquation est assez forte entre la formation dans ces filières professionnelles, l’école et le monde de l’entreprise. Cependant, des recherches montrent que le manque de formation générale apportée à ces jeunes les met aussi en difficulté par rapport à des perspectives d’apprentissages, tout au long de la vie, de changement de métier, car il a été trop étroitement connecté à des besoins spécifiques d’emploi qualifié, dans un secteur spécifique », conclut-il.
Face à ces deux modèles, comment situer l’enseignement professionnel et technique en Belgique francophone ? « On est en fait dans une sorte d’entredeux. C’est ce que l’on peut appeler le modèle latin, que l’on retrouve aussi en France ou dans le sud de l’Europe. On n’a jamais fait le choix clair d’un tronc commun avec un report de la formation ou d’une séparation précoce. » Présenté comme une école multilatérale, où il y a plusieurs voies de développement des compétences des élèves qui seraient formellement sur un pied d’égalité, Vincent DUPRIEZ est formel : « Tout le monde sait pourtant très bien que l’enseignement professionnel est souvent une voie de relégation pour les élèves en difficulté dans l’enseignement général. »
Et la conclusion fait mal : « Donc au final, on n’a ni le bénéfice du système anglo-saxon ni l’avantage du système germanique. La formation professionnelle dispensée en Belgique francophone est en fait un produit de qualité très relative, car l’enseignement professionnel a comme fonction non déclarée de gérer les élèves relégués de l’enseignement général. » Il est d’avis que l’enseignement professionnel n’est, en fait, satisfaisant à aucun égard. « On n’a pas le bénéfice qui est de dire en sortant de là, on a du travail. On a le problème de la sélection précoce et, pas les moyens d’offrir une formation de pointe. » (…) « Cela ne retire rien au mérite de nombreuses écoles professionnelles qui se mobilisent pour offrir une formation de qualité. Mais, j’attire l’attention sur une difficulté structurelle qui rend leur travail particulièrement difficile. » rajoute-t-il.
Anglo-saxon, germanique et latin, autant de modèles, autant d’avantages, autant d’inconvénients, mais lequel choisir ? « J’ai une nette préférence pour le modèle anglo-saxon, car il est plus cohérent. Chez nous, on empoisonne les conditions de formation professionnelle en envoyant toute une série d’élèves en difficulté qui n’ont pas toujours envie d’apprendre un métier précocement. Je suis d’avis que c’est à l’enseignement général de gérer ces élèves. Par conséquent, je plaide pour un modèle avec un tronc commun plus long et général. » Pourquoi ? « La tendance lourde est la suivante : plus la sélection se fait tôt, plus la reproduction des inégalités existantes est forte. Mais, il ne faut toutefois pas se faire d’illusions, les inégalités sociales des parcours éducatifs existent dans tous les pays du monde, même dans les pays dont on vante les mérites. Un autre argument est le besoin d’une solide formation générale, en termes de maitrise de la langue, de raisonnement mathématique, de culture informatique, de culture générale… que peut apporter le tronc commun long et dont auront besoin ensuite tous les élèves, quel que soit le métier qu’ils exerceront. »