Dans l’école où nous travaillons, les livres Apprentissages numériques et résolution de problèmes[1]Apprentissages numériques et résolution de problèmes au CP ou en GS, par le collectif ERMEL aux éditions Hatier. écrits par un collectif désigné dans la suite de cet article par le nom « ERMEL » et publiés chez Hatier sont employés par les enseignants de la troisième maternelle jusqu’à la sixième primaire.
Théoriques et pratiques, ces ouvrages sont à la fois des « livres du maître », des « manuels » pour les élèves et des livres de didactique de l’apprentissage du nombre. L’utilisation de ces ouvrages, nous a permis de proposer aux enfants des activités pleines de sens, activités dans lesquelles nous avons pu analyser les procédures des enfants dans le but de les faire évoluer.
Les enfants de cinq ans manifestent tous un plaisir certain à fréquenter les nombres : nous le constatons chaque jour, Joanne et moi, dans nos classes de troisième maternelle et de première primaire : compter le plus loin possible (et même sans jamais pouvoir s’arrêter…), écrire des grands nombres (avec plein de zéros…), être capables de dire combien font 1000 + 1000 + 1000 + ….
Et l’hypothèse développée dans ERMEL nous paraît répondre à cet intérêt. Les auteurs partent en effet du principe qu’il serait vain de chercher à fabriquer le concept de nombre avant d’utiliser des nombres. Ils proposent donc des activités qui permettent aux jeunes élèves de faire quelque chose de ces nombres. Deux fonctions du nombre que les élèves de cet âge peuvent reconnaître et utiliser pour construire du sens sont identifiées : le nombre comme mémoire de la quantité et le nombre pour anticiper.
En troisième maternelle, chaque matin, un enfant est chargé de distribuer le lait et le choco aux enfants qui l’ont commandé. Ces boissons sont stockées sur une étagère éloignée du salon où sont assis les enfants quand ils reçoivent leur choco. L’enfant, dont c’est le service, doit donc compter le nombre de chocos demandés. Puis, muni d’un panier, il se dirige vers cette étagère, prend le nombre demandé de chocos et revient au salon.
Les jeunes enfants de troisième maternelle doivent souvent faire plusieurs trajets : ils ont oublié le nombre de chocos qu’ils devaient ramener au salon, ils n’en ont pas pris assez ou ils en ont pris trop. Mais, petit à petit, ils développent certaines procédures grâce aux différents outils mis à leur disposition dans la classe : une bande numérique, la connaissance de la comptine des nombres jusque dix ou vingt ou plus, une feuille et un papier pour y tracer autant de bâtonnets que de chocos commandés, … En première primaire, je reprends des activités du même genre, mais avec des contraintes plus fortes et qui doivent être respectées. Il s’agit d’activités dans lesquelles les enfants doivent dénombrer un certain nombre d’objets (des gommettes pour recouvrir le ventre d’un robot, par exemple), puis se déplacer pour se les procurer. J’impose d’abord un nombre d’aller retour maximum. J’exige ensuite que les enfants ne se déplacent plus qu’une seule fois. J’impose aussi l’utilisation de collections témoins utilisées dans la classe. Enfin, les enfants sont invités à utiliser des écritures chiffrées pour me commander les objets que je leur procurerai le lendemain.
Et nous, enseignants, quand utilisons-nous le nombre comme mémoire d’une quantité ? Très souvent et peut-être plus souvent qu’on ne le pense. Que diriez-vous si, pour connaître le nombre d’élèves présents dans votre rang, vous devriez utiliser votre registre et faire, à chaque fois, une correspondance terme à terme ?
Il s’agit de permettre aux élèves de prendre conscience que l’anticipation est possible, qu’on peut, à l’aide des nombres, connaître le résultat d’une action avant de réaliser celle-ci effectivement.
En troisième maternelle, Joanne propose régulièrement l’activité qui suit aux élèves. Un enfant met un certain nombre de cailloux dans une de ses mains. Il les compte à haute voix grâce à sa connaissance de la comptine numérique. Un autre enfant fait de même dans son autre main. Joanne rassemble alors les cailloux dans ses deux mains jointes et demande combien il y a de cailloux. Tous les enfants de maternelle utilisent alors des procédures qui relèvent du comptage pour résoudre ce problème. Beaucoup utilisent leurs doigts pour reconstituer les collections de cailloux de chaque main de l’enseignante puis recomptent la totalité. D’autres font de même mais à l’aide de bâtonnets qu’ils dessinent. Certains utilisent le surcomptage. Le nombre de cailloux présents dans l’une des mains de Joanne est mémorisé (trois par exemple). Les doigts sont utilisés pour réaliser une collection contenant autant de doigts qu’il y a de cailloux dans l’autre main de Joanne (quatre par exemple). L’enfant dit alors « 4, 5, 6, 7 » en désignant chacun des doigts levés. Aucun enfant n’utilise spontanément des procédures qui relèvent du calcul.
En première primaire, je propose bien entendu encore de type d’activité. Cependant, je cherche à faire vivre aux enfants des activités dans lesquelles le pouvoir d’anticipation des nombres est très explicite. L’appel quotidien fait partie de ces activités. En début de première année, un enfant compte les filles présentes en classe ; un autre, les garçons et un troisième tous les enfants. L’écriture chiffrée de chacune de ces quantités est identifiée par une pince de couleur différente sur la bande des nombres. Plus tard, j’interdis de compter tous les enfants : la plupart des élèves utilisent alors le surcomptage pour connaître le nombre total d’enfants présents en classe. Ce nombre est cependant de plus en plus vite perçu par les enfants (un absent, c’est un en moins sur la bande des nombres…). Je demande alors aux enfants de rechercher combien il y a d’enfants en tout dans des classes fictives dont je donne le nombre de filles et de garçons. C’est à ce moment-là que les enfants comprennent le pouvoir d’anticipation des nombres.
Et nous, enseignants, quand utilisons-nous le nombre pour anticiper ? Ne vous est-il jamais arrivé d’anticiper le nombre de cahiers manquants en soustrayant du nombre d’élèves de votre classe le nombre de cahiers rendus ? Vous n’avez pas fait correspondre chaque cahier avec chaque enfant parce que vous essayez de responsabiliser vos élèves et que vous attendez qu’ils disent d’eux-mêmes « c’est moi qui l’aie oublié ». Mais peut-être devrez-vous repasser à cette procédure mathématique de base qu’est la correspondance terme à terme si certains de vos élèves sont peu soucieux de leur travail scolaire !
Notes de bas de page
↑1 | Apprentissages numériques et résolution de problèmes au CP ou en GS, par le collectif ERMEL aux éditions Hatier. |
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