Le plaisir d’apprendre

Ce livre, c’est celui de Philippe Meirieu et de ses douze invités, selon le
principe de la collection « Manifeste ».

Je l’ai lu goulument. Avant chaque nouvel invité, j’ai repris ma respiration,
curieuse de l’apport attendu de ces regards pluriels. Pour chacun,
Philippe Meirieu consacre une page de présentation. Découvrir ce qu’ils
sont ou ce qu’ils font alimente encore le désir de lire leur propos. Leur
contribution s’appuie sur leurs expériences professionnelles ou leur vécu.

La conception du livre, avec ces différentes plumes, permet aussi de le lire
par bribes.

Beaucoup de phrases interpellent et invitent à un autre regard. Les
phrases sont bousculantes et à la fois implicantes, elles incitent à enseigner
autrement. Quelques extraits apéritifs :
« C’est l’élève qui détient le pouvoir. »

« Rien ne s’enseigne que l’élève ne désire apprendre, rien ne s’apprend qui ne requiert son engagement. » Mais alors, « Comment mobiliser sans manipuler, convaincre sans contraindre, instruire sans domestiquer ? » « _ Comment dans des institutions très largement dominées par la reproduction de la conformité au moindre cout, faire évènement, ne fut-ce qu’un instant ? » « Comment “réinternaliser” le désir d’apprendre ? Le véritable enjeu est
de faire passer l’élève de l’intérêt de l’usage à la jouissance de comprendre.

Du “à quoi ça sert ?” au “comment ça marche ?” » Intéressé ? Lire « Plaisir
d’apprendre » est une des pistes.

« Rien ne démobilise plus que l’échec. », nous en sommes tous conscients,
peut-être avons-nous même eu la chance de le vivre (ça, c’est plus difficile
à comprendre, mais l’expérience aide à se mobiliser pour lutter contre
l’échec scolaire de ses élèves), et pourtant, sommes-nous tous convaincus
que « Rien n’est plus hypocrite que cette obsession d’évaluation qui brandit la justice pour abandonner au bord de la route celles et ceux qui n’ont pas eu la chance, dans leur histoire, de découvrir la fierté de la réussite exigeante et le plaisir de se dépasser. » ?

L’auteur nous livre aussi sa réflexion, sur « apprendre » aujourd’hui :
« Savoir sans apprendre, c’est le rêve, en effet, de l’efficacité immédiate et
absolue. Le rêve de la toute-puissance. Mais justement, voilà que l’invraisemblable est devenu notre quotidien. Le progrès technique exonère l’utilisateur de la machine du moindre apprentissage. »

« … l’enfant — vulnérable entre tous —… entre, de fait, dans un monde où
l’apprentissage est destitué par le prêt-à-porter technologique. » Bon à se rappeler quand on enseigne !

« … ne pas passer à côté du plaisir d’apprendre et de la joie de penser,
entrer dans l’intelligence des choses plutôt que se soumettre au marché scolaire et jouer le jeu de l’utilitarisme scolaire. On n’enseigne plus que ce qui est employable et rend employable. »

Meirieu consacre un chapitre au plaisir d’enseigner et y écrit : « Le
maitre donne à voir le plaisir d’apprendre à travers son plaisir d’enseigner.
Parce ce que pour lui, enseigner, c’est toujours aussi apprendre. » Mais il écrit aussi : « La confrontation quotidienne avec l’exigence de transmission assigne à la modestie. Elle déjoue toute suffisance. Elle invite à l’invention besogneuse et obstinée. Elle n’exonère personne de l’inquiétude consubstantielle du projet d’enseigner. Avec l’âge et contre toute évidence, elle ne diminue point. » Il évoque « même si l’on a appris à faire bonne figure », « la peur au ventre »…

Convaincue du « Tous capables », pas pour la beauté du slogan, mais par
l’expérience, j’ai lu avec intérêt les propos du psychiatre et psychanalyste :
« les enfants – quand ils accèdent au monde de la parole – n’éprouvent le désir d’apprendre que s’ils ont d’abord intériorisé dans leur mémoire biologique une “base de sécurité.” “Il faudrait une école ouverte et très souple, une école qui privilégie le plaisir, qui permette les pauses et le détour, qui laisse du champ à l’exploration et à la créativité. Un cadre trop rigide stimule les mécanismes de défense. L’enfant insécure privilégie sa ‘base’. Il n’a peut-être pas d’angoisses immédiates, mais il est empêché dans son développement. »

Je vois là un beau défi pour l’école, l’École pour tous, celle qui accueille
aussi les enfants des familles précarisées, tous les ‘dys’ et les ‘hyper’…

Ph. Meirieu, ‘Le plaisir d’apprendre’, Éditions Autrement, Paris, 2014.