Ouvrir les portes

Comment l’école maternelle développe-t-elle les compétences en lien avec l’écrit ? À quoi doit-elle être particulièrement vigilante pour ne pas mettre en difficulté, dès leur plus jeune âge, des enfants dont la culture familiale est plus ou moins éloignée de la culture scolaire, par exemple les enfants issus de milieux où la culture orale est privilégiée ?

L’école est un milieu qui confronte l’enfant à des objets culturels c’est-à-dire des objets construits par l’homme, par la culture humaine (le langage, l’art, les symboles mathématiques, les systèmes de mesure, etc.). Parmi
ces objets culturels, il y en a un qui occupe une grande place : l’écrit. Il s’agit d’un acquis essentiel de la culture humaine qui mérite d’être communiqué à tous.

« Le bain décrit ne suffit pas »

L’ensemble des acteurs de notre enseignement est d’accord avec l’idée que l’école maternelle n’est pas le lieu de l’apprentissage formel, systématique de la lecture et de l’écriture. Néanmoins, cela ne signifie pas qu’il ne s’y joue pas des enjeux importants.
Quatre grandes composantes entrent en jeu dans l’apprentissage de la lecture et de l’écriture. L’enfant doit apprendre à identifier et produire des mots écrits, à comprendre des phrases et des textes, à se familiariser avec la culture écrite (ses œuvres, ses codes et ses pratiques sociales) et à produire des textes (très courts et avec l’aide de l’enseignant au début). Quel est le rôle de l’école maternelle dans le développement de ces compétences ?

LES MOTS, LES SYLLABES ET LES PHONÈMES
L’école doit, avant de débuter l’apprentissage formel de la lecture, permettre à tous les élèves de prendre conscience que la parole n’est pas un flux continu, qu’elle se décompose en mots, en syllabes puis en phonèmes.

En première primaire, les élèves vont apprendre de manière formelle à lire, c’est-à-dire apprendre à identi- fier des mots écrits, des phrases et à en comprendre le sens. Pour cela, ils vont apprendre à déchiffrer.

Or, il existe une distinction radicale entre l’appren- tissage de la langue écrite et du langage oral. L’enfant peut apprendre à parler et à comprendre le langage oral sans connaitre consciemment la structure formelle (phonologique et syntaxique) de sa langue ni les règles qu’il applique et sans qu’il ait conscience d’effectuer un travail destiné à l’installation de nouvelles connais- sances. Pour le langage écrit, des tâches d’analyse de la structure formelle du langage sont nécessaires. Ces tâches requièrent un plus haut niveau d’abstraction, d’élaboration et de contrôle que pour le traitement du langage oral. Le simple contact avec l’écrit (le « bain d’écrit ») ne suffit donc pas à installer chez l’enfant des habiletés de traitement de ce niveau.
Pour apprendre à lire et à écrire, l’enfant va devoir faire la correspondance entre des graphèmes (lettre ou groupe de lettres) et des phonèmes (sons produits par les lettres). _ _ Un aller-retour incessant entre l’oral (par l’intermédiaire des phonèmes) et l’écrit (par l’intermédiaire des graphèmes) devra s’instaurer.

Pour les jeunes enfants, les sons de la parole constituent un flux continu. Ils entendent un flux dont ils comprennent la signification, mais dont ils ne per- çoivent pas le découpage en phonèmes comme nous, adultes, le percevons.

Les enfants prennent d’abord conscience de la dé- coupe de la parole en mots et en syllabes. La découpe en phonème est plus tardive, elle commence juste à apparaitre, partiellement, en troisième année maternelle et est inégalement développée chez les élèves à l’entrée en primaire.

L’école maternelle a un rôle à jouer dans cette prise de conscience, d’autant plus que cet apprentissage peut se réaliser de manière tout à fait ludique.

LE PRINCIPE ALPHABÉTIQUE
L’enfant doit aussi comprendre le principe alphabétique, c’est-à-dire comprendre que les sons (les pho- nèmes) sont représentés, dans notre écriture alphabétique, par une ou, parfois, plusieurs lettres. Il ne s’agit évidemment pas d’enseigner à l’école maternelle ces correspondances de manière formelle, mais d’amener les enfants à percevoir ce lien à partir d’un nombre réduit de correspondances graphème-phonème en se basant, par exemple, sur les prénoms des enfants de la classe.

Les plus jeunes enfants ne comprennent pas que l’uti- lisation des graphies est en lien avec la chaine sonore de la langue parlée. Il n’y a donc, dans leur production, pas de relation oral/écrit. Plus tard, ils comprennent que l’écrit repose sur une analyse sonore et font l’hypothèse qu’à une syllabe correspond une graphie. Ensuite, ils cherchent à repérer des unités plus fines que la syllabe, mais ils n’y parviennent pas toujours et continuent en partie à associer une graphie à une syllabe. Enfin, les en- fants font correspondre les phonèmes et les graphèmes, même s’ils font parfois encore des erreurs.

ÉCRIRE À L’ÉCOLE MATERNELLE
Dès l’école maternelle, il est intéressant de travailler avec les élèves cette relation entre la lecture et l’écriture par l’intermédiaire de l’écriture « inventée » ou « émergente » ou de la dictée à l’adulte.

L’écriture « inventée » ou « émergente » offre l’occasion aux élèves d’entrer dans le monde de l’écrit sans attendre de savoir lire, de mieux différencier l’oral de l’écrit, de différencier le texte de l’image (le signe gra- phique du symbole pictural), de prendre conscience de la nécessité de connaitre les lettres pour écrire et lire, mais aussi d’analyser la forme des lettres et de s’exercer aux gestes graphiques. Les élèves sont amenés à essayer d’écrire des mots qu’ils ne savent pas encore écrire. Cette situation problème les amène à poser des hypothèses sur ce qui s’écrit par rapport à ce qui s’entend. Cette pratique permet ainsi de soutenir l’enfant dans sa découverte du principe alphabétique.

Il est évident que lors d’une telle séquence, ce n’est pas la performance qui est recherchée, mais bien la dis- cussion, les échanges autour des représentations.

Les productions peuvent également être examinées au regard de critères graphiques clairement énoncés : « Pour que le mot soit réussi, pour qu’on puisse le lire, il faut qu’il y ait toutes les lettres, qu’elles soient bien pla- cées, qu’elles ne soient pas déformées ».

En utilisant la technique de la dictée à l’adulte, il est également intéressant d’amener les élèves, dès l’école maternelle, à produire des textes courts. Cette acti- vité amène les élèves à prendre une position d’auteur et d’approfondir les différences entre l’oral et l’écrit, à énoncer un « oral écrivable ».

À nouveau, même si l’objectif est de produire une phrase ou un texte, c’est la co-construction et les négociations, les discussions que cela implique qui sont inté- ressantes dans la mesure où elles permettent aux élèves de se représenter l’acte d’écrire (choix des mots, structure syntaxique, fonctionnement de la langue écrite, familiarisation avec des termes métalinguistiques du type histoire, début, fin, phrase, mot, lettre, etc.). Ainsi, prendre à un moment le rôle d’auteur permet à l’enfant de recevoir différemment les textes des autres auteurs, ceux des albums de jeunesse par exemple.

LIRE, C’EST COMPRENDRE
Pour apprendre à lire et à écrire, il faut aussi comprendre des phrases et des textes et se familiariser avec la culture écrite.

Il s’agit là des compétences les plus régulièrement exercées à l’école maternelle. Cela fait longtemps que les enseignants perçoivent l’intérêt de confronter les élèves à des histoires à travers les albums de jeunesse. Néanmoins, il peut être intéressant de se pencher sur cette tradition bien ancrée et d’en examiner les enjeux. Deux aspects sont à questionner : comment choisir l’al- bum et comment l’exploiter ?
Le choix d’un album s’appuie souvent sur le « thème » du moment. Pourtant les activités répétées au rythme des saisons, des anniversaires et des fêtes du calendrier, comme le travail par « thème », ne sont pas favorables pour permettre aux élèves d’apprendre à penser au sens où « penser, c’est créer des liens ». Dans une logique d’apprentissage culturel, il serait préférable de choisir et de réunir des albums sur base desquels des pratiques comparatives sont possibles : comparaisons fécondes sur les illustrations, la typographie, la mise en page, le format et sur des composantes linguistiques majeures comme les variantes de la « ritournelle », le lexique, etc.

POUR NE PAS CONCLURE
La fréquentation de l’école maternelle est favorable à la réussite en primaire. Cet enseignement participe statistiquement à la réduction de la difficulté scolaire à l’entrée à l’école primaire. Néanmoins, non seulement les enfants qui échouent en début de scolarité primaire sont très nombreux, mais aussi ils se recrutent principalement dans les milieux sociaux défavorisés. La plupart du temps, il n’y a pas de handicap « en soi ».

C’est dans les situations qu’impose l’école que certains en- fants paraissent connaitre des difficultés d’adaptation. Un enfant qui apprend n’est pas seul face à un objet de connaissance. Pour comprendre les difficultés de certains, il faut interroger l’ensemble des circonstances, des pratiques scolaires dans lesquelles sont mises en œuvre les activités cognitives. Il s’agit d’un domaine d’exploration vaste et passionnant[1]Une version longue avec des références bibliographiques est en ligne sur notre site. http://goo.gl/ ftKivs.

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Une version longue avec des références bibliographiques est en ligne sur notre site. http://goo.gl/ ftKivs