Une des causes majeures de cette dualisation tire son origine dans l’organisation en marché de notre système scolaire : en tant que parent, nous pouvons librement choisir l’école de nos enfants. Il serait illusoire à ce stade-ci de mettre en cause l’exercice de cette liberté, ancré dans la Constitution belge et encore davantage dans notre culture et pourtant … il faut pouvoir en mesurer toutes les conséquences à l’aune des effets mentionnés ci-dessus. Si à l’origine, ce libre choix était basé sur des critères philosophico-religieux (on choisissait l’école catholique ou officielle), il s’est transformé peu à peu et, dans un contexte scolaire fortement concurrentiel où la liberté des pouvoirs organisateurs s’est accrue également, il s’est déplacé vers des critères de niveau et de performance liés au public scolaire. Aujourd’hui, un ajustement subtil s’opère entre la demande des parents et l’offre des écoles et a pour conséquence majeure d’homogénéiser fortement les publics scolaires. Et alors ? Qui se ressemble s’assemble, dit le proverbe. Et c’est vrai qu’il y a dans ces regroupements quelque chose de rassurant voire d’identitaire.
Pourtant, deux arguments viennent contredire cette façon de regrouper les mêmes types d’élèves dans les écoles. Le premier est d’ordre éthique. L’homogénéisation va à l’encontre de l’objectif d’universalité de l’école. Ce qui spécifie, ce qui devrait spécifier l’école, c’est de rassembler en un lieu des individus provenant de milieux socio-culturels variés ; chaque école devrait être une première étape sur le chemin de la citoyenneté, chaque école devrait permettre de faire ‘société’. La question de l’hétérogénéité apparaît en filigrane de la recherche éthique : comment construire du sens ensemble avec nos différences ? Cette question, nous l’avons transposée dans l’école qui, à nos yeux, constitue une caisse de résonance des problèmes de société. La légitimité de l’école est actuellement remise en question, les morales ‘traditionnelles’ ne font plus l’unanimité dans le monde scolaire. La volonté de démocratisation, d’égalité des chances par l’école est en net recul.
Pourtant, nous considérons que l’hétérogénéité culturelle et sociale constitue un enjeu majeur de nos sociétés. Il va de soi que cet enjeu doit se retrouver dans l’école. Toute homogénéité, qu’elle soit idéologique, sociologique, cognitive appauvrit l’école, la transforme en un lieu où je ne peux rencontrer l’Autre. « L’homogénéité renvoie au mythe identitaire qui est le contraire même de l’institution scolaire » (Meirieu, 2004). Actuellement, il y a un danger à ce que l’école soit instrumentalisée à d’autres fins que celles auxquelles elle est principalement destinée : la rencontre avec l’Autre. Nous plaidons pour que la réflexion à propos de l’éducation renoue avec une visée éthique portant sur une interrogation sur les valeurs qui fondent l’école.
Le deuxième argument est issu des sciences de l’éducation et plus particulièrement des comparaisons internationales : les systèmes scolaires les plus efficaces sont les plus égalitaires et se caractérisent par une série de mesures qui incitent à l’hétérogénéisation des écoles et des classes.
Des dispositifs que l’on retrouve précisément en partie dans le Contrat Stratégique : un allongement du tronc commun jusque 15-16 ans comprenant peu d’options, et une progression dans la scolarité qui utilise peu ou pas le redoublement.
Il faut saluer notre gouvernement qui, dans ce contexte d’engluement de l’école francophone, prend l’initiative et propose une vision et une action à long terme. Mais comment y arriver et avec qui ?
Sans ambages, la question de la qualité, de l’efficacité et de l’égalité de l’Ecole se pose à chaque acteur éducatif et rejoint in fine le projet de société que nous souhaitons pour nos enfants. Dans une société marquée par les replis communautaires, la crainte est grande voir surgir les démons extrémistes du passé. L’école, projet culturel de société et caisse de résonance par excellence, n’échappe pas à ce débat. La tentative est forte d’un retour à un ordre moral, voire sécuritaire qui envahirait le champ scolaire. Le Contrat Stratégique prend une autre option, il ne se trompe pas quand il précise que l’éducation est le premier vecteur d’émancipation individuelle et collective où chacun à son niveau dispose de sa propre marge d’action et doit prendre ses responsabilités.
À titre d’exemples, mentionnons deux pistes structurelles prometteuses dans cette lutte contre les inégalités.
La première porte sur l’interdépendance et la nécessaire collaboration entre établissements scolaires. En clair, il s’agira de rendre l’offre scolaire moins concurrentielle au sein de zones géographiques prédéfinies, encore appelées bassins. Une étude inter-universitaire est en cours.
La deuxième piste a trait au mode de financement des écoles. Un décret d’avril 2004 stipule que, dans le cadre du refinancement de la Communauté française, chaque école recevra plus de moyens mais surtout que les établissements accueillant des enfants moins favorisés en recevront davantage. Dans l’architecture complexe de notre système scolaire, il faut creuser l’idée des incitants financiers et surtout autres (encadrement supplémentaire, confort pédagogique, prime à l’hétérogénéité) qui pousseront certains établissements à sortir de leur ‘niche’ et à oser la mixité sociale souhaitée.
En tant que parents, il est souhaitable de poursuivre dans la voie du partenariat avec l’école afin qu’elle s’ouvre à une plus grande hétérogénéité. Cela ne sera possible que si l’Ecole et les familles font l’effort de se comprendre mutuellement et si la diversité des modèles familiaux est prise en compte et valorisée. Il ressort d’une enquête menée récemment par le journal Vers l’Avenir (22/03/05) que les parents font confiance à l’école. Il faut s’appuyer sur ce genre de constat pour redire la nécessaire complémentarité des rôles éducatifs des uns et des autres.
Les critiques que nous adressons au pouvoir politique à ce stade-ci portent sur les modes de communication.
Il est regrettable que le Contrat Stratégique n’ait pas fait l’objet d’une diffusion plus large au sein des médias pour informer l’ensemble des citoyens des enjeux éducatifs et ainsi en faire un véritable débat de société. Pour preuve, les soirées-rencontres organisées par la Ministre, ont majoritairement et légitimement drainé des enseignants quelque peu déboussolés par la multiplicité des propositions et leur manque de phasage. Les débats ont manqué de souffle citoyen, les corporatismes en tous genres se sont fait entendre sans qu’il y ait de véritable contrepoids.
La lutte contre les inégalités sociales et leur traduction scolaire mérite avant tout un sérieux travail d’information à destination des parents, des enseignants et de tous les acteurs de l’éducation. Quitte à faire reculer le politique dans son calendrier trop étriqué, prenons-le au mot quand il dit qu’il veut susciter un vaste mouvement d’adhésion : lisons à notre tour ce document long et décisif, faisons-nous notre propre opinion et lançons un réel débat public !
Notes de bas de page
↑1 | Voir www.contrateducation.be |
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