« Obéissance, respect des règles, politesse ». Telles sont les valeurs plébiscitées par deux mille adultes consultés, en 2005, sur ce qu’il « faut inculquer » aux enfants de chez nous.
[1]Conseil francophone des femmes.
En queue du même classement : l’autonomie, l’honnêteté, la confiance en soi … Ca sent fort l ‘appel au « retour de l’autorité » et cela témoigne du précipice qui sépare les « bons » auteurs (de Trace et autres) du « bon » peuple des sondés. A moins que ce sondage ne mette crûment en lumière des aspirations et des inquiétudes que nous partageons tous, peu ou prou ?
Mettons-nous donc dans le paquet. Voulons-nous nous convaincre nous-mêmes que nous méritons cette politesse, que nos règles méritent ce respect ? S’agirait-il d’apprendre à ne pas trop s’interroger sur la légitimité des ordres reçus, sur la pertinence des règles ? « Parce que c’est comme ça ! ». La nostalgie d’un ordre stable nous guette tous, un jour ou l’autre. Mais qui de nous voudrait du retour à régime autocratique, de la restauration de l’autorité d’un « paterfamilias » craint et vénéré ( ?) par ses enfants et même par sa femme ? Du prof redouté et respecté ( ?) par des élèves au garde à vous quand il pénètre en classe ?
Voilà qui me rappelle un petit souvenir … d’autorité. An de grâces 1951, mon titulaire de 6e primaire donne volontiers quelques coups de sa petite règle en métal sur nos petites mains innocentes, consentantes et coupables ! Autorité ? Dans la même école, un très « bon » collège des bons pères, en ces belles années où on ne contestait pas encore l’autorité, n’est-ce pas, nombre de nos profs étaient chahutés « à mort ». Une mort professionnelle en tout cas. Mais, en façade, l’ordre régnait ! Autorité ?
Non, je n’ose pas croire que note profond malaise nous pousse à désirer la restauration d’un « ordre » anté-(et anti)démocratique. Quand l’autorité n’avait pas à se justifier, quand ses décisions devaient être mises en œuvre quelles qu’en soit la légitimité. Pourtant, dans nos têtes, dans les mentalités contemporaines, je pense que les conséquences du passage à la démocratie ne sont pas totalement assumées. « Car la démocratie, c’est justement l’affirmation que nul n’est habilité à exercer l’autorité en permanence et au nom de sa nature. Y compris en matière éducative. Nul n’est par essence et de droit divin détenteur de la moindre autorité. L’autorité s’exerce toujours par délégation et sous réserve que l’on se conforme aux règles du droit. C’est vrai évidemment pour le politique, mais aussi pour les professeurs et les parents. (…) Ceux qui exercent le pouvoir le font au nom du mandat qu’ils ont reçu. Ce qui constitue une société démocratique, c’est que le lieu du pouvoir est vide. Cela veut dire que quand on exerce le pouvoir, on l’exerce à titre provisoire et toujours en tant que »[2]P. MEIRIEU, L’enfant, l’éducateur et la télécommande, pp. 49-50, Labor..
« Nous y voilà ! », diront certains, « les ravages de la pensée 68, le laxisme assuré … ». Pas sûr du tout, pour autant qu’on assume jusqu’au bout les exigences de la démocratie : « Ce n’est pas parce que quelqu’un pose un interdit au nom de la charge qui lui a été confiée par le collectif qu’il doit être moins ferme. On est d’autant plus fort quand on agit dans le cadre d’un mandat précis et qu’on n’est pas suspect d’exprimer un caprice personnel. On est d’autant plus fort que l’interdit que l’on pose exprime l’intérêt collectif que l’on peut être fier légitimement d’incarner. Parents et enseignants ont un rôle déterminant à jouer dans cette éducation progressive à la démocratie : par l’exemple qu’ils donnent et par les dispositifs éducatifs qu’ils mettent en place »[3]P. MEIRIEU, L’enfant, l’éducateur et la télécommande, pp. 49-50, Labor..
Il ne s’agit donc nullement de savoir s’il faut de l’autorité. Elle est nécessaire. Mais l’appel incantatoire à l’autorité est dangereux et source de confusions. Par contre, s’impose aujourd’hui l’effort permanent de redéfinir l’autorité et les conditions de son exercice (« les dispositifs éducatifs »).