Une formation obligatoire pour les enseignants, mais dont on peut choisir le contenu et me voilà partie, intriguée, pour trois journées de travail, animées par deux formatrices : Johane CHARLEBOIS (chorégraphe) et Marina PUISSANT (plasticienne écrivaine !). Elles proposaient une articulation entre la danse et l’écriture, deux domaines où le mouvement est à la source, mixant deux langages pour qu’ils s’enrichissent.
S’enrichir des imprévus et des ratés
Les formatrices ont construit un cadre solide : un menu de la journée et un horaire afin qu’on puisse se situer dans le temps, avec le souci de respecter cet horaire et de le faire respecter, alternance de moments de travail individuel, collectif, en petits groupes avec des aller-retour et la volonté de s’enrichir mutuellement (d’autant plus qu’à côté des enseignants, il y avait des danseurs et donc un public diversifié). Elles nous proposaient des références culturelles (textes, extraits vidéo) pour qu’on ne parte pas de rien mais avec un capital commun. Nous étions mis au travail avec des consignes qui nous permettaient d’imaginer, sans devoir faire face à l’angoisse du totalement libre.
Depuis lors, je suis convaincue que plus le cadre[1]NDLR : On entend souvent dire, ces derniers temps, qu’« il faut les cadrer », qu’il faut « mettre un cadre »… et souvent il s’agit d’une espèce de retour à des velléités … Continue reading est soigné, plus les imprévus sont les bienvenus et les ratés acceptés. On peut, par exemple, détourner une consigne. Dans les démarches artistiques, les imprévus et les ratés sont d’ailleurs nécessaires au risque qu’autrement, il ne se passe pas grand-chose. Ne faut-il pas aussi des ruptures pour apprendre ?
Quelle que soit l’activité, chacun avait une place. Lorsqu’un groupe proposait sur le plateau une proposition en mouvement, les autres étaient spectateurs et, en tant que tels, ils avaient une consigne qui leur apprenait à regarder activement. Par exemple, mettre des mots sur ce qu’ils voyaient. Ces mots risquant bien de « resservir » plus tard…
Des liens étaient tissés pour donner de la cohérence au travail. On exerçait ainsi des compétences transférables dans d’autres apprentissages : savoir regarder, savoir tenir compte des remarques des autres pour améliorer son travail, oser, expérimenter, savoir parler, savoir se situer dans l’espace, savoir respecter l’espace des autres, savoir représenter les déplacements sur papier, savoir lire ce qu’on a écrit à un groupe… Enfin, je vivais le comment faire, depuis le temps qu’on me disait et que je lisais le comment ce serait bien de faire !
Se nourrir des autres
Je voulais en faire profiter mes élèves. Je savais que seule, je ne suffirais pas pour imaginer un projet mixant différents langages et proposer un cadre fort. Donc, on s’y est mise ensemble, avec l’autre institutrice de la classe (j’ai une classe à 1/5e temps) et les deux formatrices, Marina et Johanne. Et on a pensé un projet autour de l’artiste HUNDERWASSER et de sa théorie des cinq peaux[2]Ce projet est décrit dans l’article Peaux d’âmes, paru dans le n° 179 de TRACeS de changements et lisible sur le site www.changement-egalite.be.
, où la danse, l’écriture et les Arts plastiques étaient nos trois langages de prédilection.
Lors de la finalisation du projet, qui consistait à montrer l’ensemble du travail réalisé pendant l’année scolaire, une élève qui devait lire un texte produit dans le cadre du projet l’avait appris par cœur et avait décidé de laisser sa feuille en coulisse. Nous n’avions pas voulu imposer ce travail de mémorisation par peur de les mettre en danger face au public, et voilà qu’une élève prend l’initiative, chez elle, de mémoriser le texte et d’y aller sans filet. Elle avait confiance en elle. L’année d’après, elle quittait l’enseignement spécialisé pour poursuivre dans l’ordinaire. Le projet lui a donné un cadre dans lequel elle a pu s’exprimer, choisir, décider, expérimenter, créer, mémoriser, apprendre. Au fil de l’année, nous l’avons vue se redresser physiquement, moralement et intellectuellement.
Depuis, en classe, je continue à faire de la place au corps pour se faire du bien et se recentrer (souvent après une récréation). Un menu de la journée pour savoir ce qu’on va faire pendant la journée et, de temps en temps, un point d’interrogation pour une petite surprise.
J’encourage les élèves à copier, à se nourrir des autres, à se repérer grâce à eux. Les activités créatives sont suscitées par des consignes et précédées d’un échauffement collectif, l’observation de référents. Elles font lien autour d’une ligne qui varie d’une année à l’autre. D’une semaine à l’autre, on se rappelle ce qu’on a travaillé, ce qu’on a fait et ce qu’on a appris. Notre travail se clôture par un évènement pour montrer ce qu’on a fait ensemble.
Notes de bas de page
↑1 | NDLR : On entend souvent dire, ces derniers temps, qu’« il faut les cadrer », qu’il faut « mettre un cadre »… et souvent il s’agit d’une espèce de retour à des velléités d’autoritarisme avec force lois, sanctions, exclusions et tarifs pour les méfaits. Souvent, on pense que c’est ce cadre-là qui va tout arranger, remettre de l’ordre, faire apprendre. Or ce serait faire cadre sans penser à la photo qui serait dedans ! La photo, l’unique de chacun et ce qui fera moteur pour, avec d’autres, dans un groupe, se mettre à apprendre. Ici, le cadre dont il s’agit est de cet ordre-là : ce qui donne envie, un dispositif d’organisation du temps, de l’espace, des offres de matériau, d’alternances de travail… Et la possibilité de prendre, de s’inscrire, de se poser soi dans ce cadre pour y être ce quelqu’un à qui on reconnait les facettes de désir. 2 |
---|---|
↑2 | Ce projet est décrit dans l’article Peaux d’âmes, paru dans le n° 179 de TRACeS de changements et lisible sur le site www.changement-egalite.be. |