C’est M’sieur Mégot qui a raison

Intérimaire et prof de gym : double merde. Élèves, collègues, direction, parents, tous sont d’accord pour considérer ma présence dans l’école comme totalement vaine. Et le soir les mêmes s’extasient devant les exploits des sportifs de haut niveau ou relisent leurs magazines santé, régime, beauté.

01b.jpg Pendant mes études secondaires, je me suis rapidement passionné pour les sciences, la nature et les sports. Soutenu par mon professeur d’éducation physique pour faire reconnaitre aux yeux des autres profs, la valeur et la difficulté de mes entrainements en dehors de l’école, j’ai pu combiner études scientifiques et compétitions sportives. La licence en éducation physique me semblait la continuation naturelle de mes humanités, alliant formation scientifique exigeante et performances sportives.

J’ai voulu faire de ma vie professionnelle un plaisir partagé. J’ai voulu transmettre en le vivant le plaisir du mouvement et du jeu. Faire découvrir à chacun ses propres capacités physiques en insistant sur ses qualités donne envie de les faire fructifier et de les conserver. C’est par le mouvement qu’on prend conscience de son corps, de toutes les possibilités qu’il offre, du plaisir qu’il apporte, de la discipline qu’il exige et de l’importance de le développer et l’entretenir. J’ai appris et décidé de faire apprendre que le développement corporel est indispensable au développement cognitif. Cela fait très longtemps que les sportifs pratiquent les compétences. C’est donc avec enthousiasme et conviction que j’ai posé ma candidature dans toutes les écoles.

Cinq ans de galère. Des intérims de toutes sortes dans un rayon de 100 km : enseignement ordinaire de tous niveaux et tous types, masculin et féminin, enseignement spécial en Communauté germanophone, toutes disciplines, sciences, EDM, Géo,… mais pas maths et français, bien entendu, réservés à l’élite, et même éducation sportive en milieu carcéral avec contrat en noir à en-tête du ministère de la Justice. Et partout la même considération.

Morceaux choisis

Allergie au chlore dans la population : 3 % ; allergie au chlore dans les écoles : 25 %. Fréquence des règles dans la population féminine : 3 jours par mois ; dans les écoles et parfois pour les garçons aussi : 2 jours par semaine. Pour la médecine, l’activité physique, c’est la meilleure prévention et pour les médecins et les parents, la meilleure prévention, c’est pas d’activité physique. Pour ne pas prendre froid, pas de natation ; pour éviter la fatigue, pas de course à pied ; pour éviter les accidents, pas de gymnastique. En 5 ans, j’ai vu une participation assez constante : 50 % pour les cours de natation et les activités d’endurance (courir !) et 75 % pour les cours d’éducation physique. Et en 5 ans, je n’ai jamais vu une direction qui soutienne les profs de gym dans leurs exigences. D’ailleurs, la plupart des profs de gym rencontrés ont renoncé à toute exigence. Et je ne parle pas des infrastructures déplorables : 4 classes de 28 dans le même (petit) hall de sports.

St-Machin, bon collège, bonne population, infrastructures exceptionnelles, intérim long, le pied ! Conseil de classe en avril : on parle de Fabian. Connais pas, jamais vu, pas de certif’, je me permets de le faire remarquer devant des collègues toujours étonnés qu’un prof de gym sache parler. Je suis curieux de voir comment le cas va être traité. Le directeur dit qu’il prendra contact avec les parents et tout le monde a l’air de rigoler doucement. Conseil de classe de fin d’année : toujours pas de Fabian, j’ai mis zéro et suis bien décidé à demander l’échec. Le directeur m’apprend alors qu’il vient de recevoir un certificat médical daté de juin et couvrant toute l’année scolaire passée ! Et ça passe. L’année finie, un collègue m’avouera que tout le monde sait dans l’école que Fabian fait pompiste en dehors des cours et pendant certains cours.

Ste-Machine, école professionnelle pour filles, population difficile, infrastructures nulles, intérim court, la galère. Les filles font tout pour ne rien faire. Mes collègues ont, pour la plupart, capitulé et m’incitent presque à en faire autant. Ne voulant pas abandonner avant d’avoir commencé, je décide quand même de les pousser à participer : concertation quant au choix des activités, encouragements, intégration dans les activités de celles qui ont oublié leur tenue et des dispensées selon leurs possibilités, feedbacks positifs, auto discipline de rigueur pour rester enthousiaste et de bonne humeur,(…) ; menaces de sanctions, sanctions, refus des mots d’excuses bidon, travaux écrits à rendre pour les certificats médicaux de longue durée et/ou trop fréquents, conflits répétés et de plus en plus durs…

Quelques incidents plus tard (une fille en sous-vêtements poussée hors du vestiaire par les autres, des élèves qui restent enfermées dans les vestiaires pendant la moitié du cours pour me pousser à la faute, et l’une ou l’autre qui pousse la provocation jusqu’à s’asseoir sur ma farde avec une attitude de Marilyn au moment où je dois prendre les présences), je me retrouve à la sortie du hall, confronté avec un oncle et un beau-frère qui veulent me casser la gueule en me traitant de voyeur. Ma journée se termine dans le bureau du directeur à la suite de 7 parents en colère m’accusant de violences (pour les faire travailler) et de voyeurisme (pour les faire sortir du vestiaire) sur leurs pauvres filles innocentes… Pas de suites, mais la prochaine fois, je fais comme mes collègues, je capitule !

Ste-chose, population très (trop ?) favorisée, école élitiste, intérim de quelques mois, tenue correcte de rigueur ! Le conseil de classe est animé par le sous-directeur, qui donne le tour de parole à partir d’une grille récapitulative des points. Nous devons donc attendre qu’on nous interroge pour exprimer notre avis, sauf le vieux prof de math qui a carte blanche. Les profs de petits cours ne sont interrogés qu’en cas de problèmes dans leur branche. Je repère donc mes « problèmes », me prépare à m’expliquer et attends mon tour. Premier problème en gym, on fait comme si je n’étais pas là : distraction ? Deuxième problème, idem : oubli ? Et la suite, itou : politique délibérée, les muscles n’ont pas de cerveau !

Anti-mégottages

Évidemment, il est difficile de défendre deux heures d’activité physique par semaine. Les recherches montrent bien qu’un bénéfice pour la santé n’est obtenu qu’à partir de minimum trois séances effectives par semaine. Il n’empêche que, pour les jeunes qui ne connaissent rien d’autre, ces deux heures d’activité constituent leur seule chance de comprendre les plaisirs et les bénéfices du sport. Et les familles qui culturellement ont la capacité de faire d’autres choix de loisirs et qui peuvent se permettre de mépriser l’éducation physique à l’école, particulièrement les collègues, et de multiplier les mots d’excuses et les certificats de complaisance, ceux-là sapent quotidiennement notre travail et banalisent, voire valorisent la défection des familles qui auraient bien besoin.

Évidemment, il est difficile de défendre la santé contre les médecins. Le problème prend une telle ampleur qu’on se demande quand le Ministre de l’Éducation va poser le problème et exiger des actions auprès de l’Ordre des Médecins. Car, en faveur de la santé, c’est la collaboration des acteurs de la santé qui est à rechercher plutôt que leur opposition. Lorsqu’une contre-indication à l’activité sportive existe, nous avons justement la formation qui nous permet d’en tenir compte et de proposer les exercices adaptés. Les deux heures de gym scolaires devraient être considérées dans ce cas comme deux heures de kiné gratuites. Une seule fois en 5 ans, j’ai connu un certificat médical accompagné de prescriptions d’aquagym et me considérant comme un auxiliaire de la santé.

Évidemment, il est difficile de défendre les coupérous [1]Roulade-avant en wallon liégeois. contre les maths. Il n’empêche que, si la santé importe et si l’activité physique y contribue, ce qui n’est pas contestable, il faudrait le montrer : nombre d’heures de cours, infrastructures, encadrement, pondération dans l’évaluation, considération et prise en compte des avis des spécialistes… Dans un système qui ne valorise que l’évaluation et les points, il est indispensable d’accorder le même poids à tous les cours. Nous disposons de moyens d’évaluer de manière bien plus objective et équitable que n’importe quel autre cours la progression et les performances relatives (tables de comparaison). Nous disposons aussi d’une connaissance de l’élève (observation et dialogue dans des activités différentes et avec un autre contact) qui mériterait d’être entendue au moins autant que ce que justifie 1/2 heure d’entretien au PMS.

Comment résister et continuer à y croire ? Comment ne pas devenir petit à petit un M’sieur Mégot désabusé ? Comment se mobiliser et se soutenir entre profs de gym pour maintenir et imposer les exigences ? Comment faire comprendre à l’institution, aux parents et aux médecins l’importance de ces exigences et la nécessité de moyens pour les imposer ?

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Roulade-avant en wallon liégeois.