L’école n’a jamais été centrée sur les apprentissages. Elle est centrée sur la transmission d’informations et la réalisation d’un ensemble d’activités permettant des productions rapides (20 à 50 minutes) dont les résidus aléatoires sont parfois des apprentissages.
Recentrer l’école sur ce genre d’activités ne sera vraiment pas plus utile que ce qui s’est passé jusqu’à présent. D’ailleurs l’école s’est-elle vraiment ouverte aux activités extérieures ? Si c’est le cas, tant mieux.
Par contre, centrer l’école sur les apprentissages semble indispensable si l’on veut permettre à tous ceux qui arrivent à l’école en ne sachant pas déjà l’essentiel de ce qu’il y a à savoir, de mieux (s’)en sortir avec de nouvelles compétences. Et dans ce cas, l’ouverture de l’école n’est qu’un complément nécessaire et indispensable aux activités davantage centrées sur les apprentissages intellectuels, sociaux et affectifs, ces trois aspects étant indissociables dans les bonnes activités de développement personnel. Le problème de ce lien entre les différents types d’activités n’est pas neuf.
Un peu d’histoire
En 1991, J.-M. Dumont, inspecteur dans l’enseignement fondamental de la communauté française, proposait dans un petit fascicule[1]CCEMPC, Pour la pratique d’une pédagogie active, globale, fonctionnelle et interdisciplinaire dans le cadre d’une école chrétienne qui veut éduquer tout l’enfant, 1991. destiné aux enseignants de l’école fondamentale libre une « autre gestion du temps scolaire impliquant une réorganisation de la classe ». Il essayait ainsi d’ouvrir cette dernière à d’autres activités que celles habituellement pratiquées. C’est ainsi qu’il proposait trois axes de travail : l’axe du programme, l’axe du sens et l’axe de la gratuité.
Dans l’axe du programme pouvaient s’inscrire « les leçons dont les sujets sont prélevés dans l’éventail des exigences du programme : la lecture, les pronoms, l’accord du verbe, l’aire du rectangle, la multiplication écrite, le relief de la Belgique,… ». Dans l’axe du sens pouvaient s’inscrire « les expériences réellement vécues par les enfants, les projets, les enquêtes dans le milieu, la correspondance interscolaire, les saynètes, le jeu du magasin, la rédaction d’un conte,… ». C’était le lieu de l’ouverture de l’école sur l’extérieur. Bien sûr, il ajoutait aussi dans cet axe « les défis intellectuels, les « problèmes » défiant les élèves, la confrontation des constructions, les résultats des manipulations effectuées en équipes ou individuellement ».
À côté de ces deux axes « visant l’efficacité des apprentissages », il ajoutait celui de la gratuité, « cette part du temps scolaire où l’enfant devrait pouvoir agir pour son seul plaisir, prendre des initiatives,… : lire un livre de son choix sans devoir répondre à un questionnaire ; assister à un spectacle sans devoir rédiger de compterendu ; se rendre dans un parc sans devoir ramasser des feuilles pour les classer, jouer au scrabble, etc. ».
Axe du sens
Ces propositions ont été reprises plus officiellement pour tous les réseaux, lors de la semaine pédagogique de 1992 et, pour lutter contre l’échec scolaire, l’accent a été mis sur l’axe du sens, et donc essentiellement sur les projets, les visites à l’extérieur, les invitations de personnes extérieures. On espérait le transfert, en termes de compétences, des savoirs partiels appris dans l’axe du programme. Mais la déception suivra souvent l’espoir : il y dans les classes une opposition entre les apprentissages conditionnant de l’axe du programme et les projets. Ou les activités de l’axe du sens restent anecdotiques, ou les enseignants se plaignent de n’avoir plus assez de temps pour les leçons habituelles parce qu’ils constatent, malgré le plaisir évident des enfants de venir à l’école, la non maitrise des compétences de base pour les enfants qui ne les avaient pas en entrant.
En septembre 1994, la Fédération de l’enseignement fondamental catholique met sur pied une équipe d’enseignants[2]Martine Coquette(institutrice), Stéphane Hoeben (instituteur), Françoise Lucas (professeur de mathématique en École Normale), Joseph Stordeur (professeur de pédagogie en École Normale). pour travailler avec les écoles sur les conceptions de l’apprentissage servant de base au programme intégré[3]Conseil Central de l’Enseignement Fondamental Catholique, Programme Intégré, 1993-1994.. Entre les tenants des projets pour apprendre et les tenants des situations-problèmes[4]Voir notamment Philippe Meirieu, Objectif, obstacle et situations d’apprentissage, in La pédagogie : une encyclopédie pour aujourd’hui, ESF, 1993. dans une démarche dite « constructiviste interactive » les débats sont cordiaux mais parfois houleux. Il faudra du temps et de l’énergie pour construire une cohérence de perception et de vocabulaire, adopter la conception constructiviste interactive de l’apprentissage, préparer des animations, mieux situer les activités d’apprentissage strictes parmi toutes les activités possibles de l’école, et… redécouvrir les propositions de J.M. Dumont.
Dans un premier temps, on se met d’accord sur les trois axes, avec une petite modification. Dans l’axe du programme, on placera les véritables activités d’apprentissage[5]En quelque sorte, la deuxième partie de l’axe du sens décrit plus haut., un peu la deuxième partie de l’axe du sens décrit ci-dessus. Et c’est alors que nous apparait l’horreur[6]On ne peut juger le passé avec le présent au risque d’être prétentieux. C’est pourquoi cette constatation n’enlève rien à la qualité des propositions de départ. des dénominations utilisées. Parler d’un axe du sens par rapport à un axe du programme, c’est implicitement tout au moins, reconnaitre que le programme n’a pas de sens. En fait, le programme, ce sera pour le groupe de travail l’axe des activités complexes permettant la construction des compétences personnelles de chaque enfant. C’est pourquoi nous l’avons appelé l’axe du développement personnel. Ces activités ont bien du sens. Le sens de se sentir grandir, de se sentir devenir plus fort pour pouvoir réaliser des projets, pour s’impliquer dans la vie.
Axe de l’implication dans le milieu
Mais le temps scolaire ne peut pas être seulement occupé par ce genre d’activités. Elles exigent trop de dépense d’énergie. Elles doivent donc être équilibrées par d’autres activités, plus globales, plus utilitaires dans le sens traditionnel du terme. Il s’agit notamment des projets, mais également des activités réalisées pour être en règle avec les aspects institutionnels, comme avoir des cahiers en ordre par exemple. C’est ainsi que le deuxième axe a été appelé l’axe de l’implication dans le milieu. Dans un premier temps, l’axe de la gratuité a été gardé. Il est devenu peu à peu l’axe de l’autogestion, ce terme exprimant mieux l’intention de ce troisième type d’activités. Ces dénominations en trois axes ont été reprises dans la deuxième version du programme intégré[7]FédEFoC, Programme intégré adapté aux socles de compétences, 2001., malgré les difficultés d’un certain nombre d’intervenants d’accepter que le projet, par exemple, n’est pas le lieu privilégié de l’apprentissage, notamment parce qu’il n’en laisse pas le temps à ceux qui doivent vraiment tout apprendre. Le texte final porte les traces, et donc aussi les contradictions, résultat de ces tensions toujours très présentes dans les formations des Hautes Écoles.
Dans cette optique, la lutte contre l’échec scolaire met l’accent sur l’axe du développement personnel. Il s’agit donc bien dans ce cas de se centrer sur l’apprentissage. Les activités proposées dans l’axe de l’implication dans le milieu scolaire et non scolaire sont d’abord destinées à utiliser les compétences apprises, parfois à se construire le projet d’apprendre d’autres compétences. Mais attention ! Ces temps de réalisation collective sont tout autant des moments pour affermir ses compétences que des moments pour croire qu’on ne pourra pas apprendre telle ou telle compétence en admirant trop leurs présences chez les autres.
Faut-il se recentrer sur l’apprentissage ? Non, il faut seulement se centrer sur l’apprentissage, tout en équilibrant les types d’activités, et en n’oubliant pas qu’il y aura souvent plus ou moins chevauchement entre les trois logiques. Il s’agit alors de se centrer sur la logique prioritaire de l’activité pour mieux l’animer. Se poser la question de la situation de telle ou telle activité n’a d’autre intérêt que de mieux gérer, équilibrer le travail des enfants.
Organisation du temps scolaire
1991 | Axe du programme | Axe du sens | Axe de la gratuité |
1996 | Axe du développement personnel (Logique d’apprentissage) | Axe de l’implication dans le milieu (Logique de production) | Axe de l’autogestion (Logique de choix) |
Notes de bas de page
↑1 | CCEMPC, Pour la pratique d’une pédagogie active, globale, fonctionnelle et interdisciplinaire dans le cadre d’une école chrétienne qui veut éduquer tout l’enfant, 1991. |
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↑2 | Martine Coquette(institutrice), Stéphane Hoeben (instituteur), Françoise Lucas (professeur de mathématique en École Normale), Joseph Stordeur (professeur de pédagogie en École Normale). |
↑3 | Conseil Central de l’Enseignement Fondamental Catholique, Programme Intégré, 1993-1994. |
↑4 | Voir notamment Philippe Meirieu, Objectif, obstacle et situations d’apprentissage, in La pédagogie : une encyclopédie pour aujourd’hui, ESF, 1993. |
↑5 | En quelque sorte, la deuxième partie de l’axe du sens décrit plus haut. |
↑6 | On ne peut juger le passé avec le présent au risque d’être prétentieux. C’est pourquoi cette constatation n’enlève rien à la qualité des propositions de départ. |
↑7 | FédEFoC, Programme intégré adapté aux socles de compétences, 2001. |